Pourquoi faire découvrir aux élèves la chanson francophone ?
De plus en plus de professeurs de français souhaitent introduire la chanson dans leur salle de classe. Moyen ludique, motivant et original pour les jeunes comme les moins jeunes d’avoir accès à la langue française contemporaine, aux cultures francophones et de découvrir le français oral dans toute sa diversité, ce support reste cependant peu utilisé par les enseignants et peu abordé dans les manuels. Pourquoi faire découvrir aux élèves la chanson francophone ?
Comment introduire ce support en classe ? Quelles didactisations et activités peuvent être réalisées ? Où trouver des chansons sur le net ? Autant de questions que se posent de nombreux enseignants, curieux de découvrir et de faire découvrir des textes et musiques représentatifs du français moderne, contemporain et pluriculturel.
Fortes d’une expérience concrète en salle de classe, nos invitées abordent ici les thèmes de la chanson métisse et contemporaine et des usages actuels du français. Elles partagent quelques pistes de réflexion et d’application concernant les activités et compétences visées et proposent des ressources disponibles ou à créer.
- Elodie Ressouches, formatrice FLE, France
- Maria Lucia Jacob Dias de Barros, professeur de français, Brésil
- Lidia Marques, professeur de français, Portugal
Elodie Ressouches, formatrice FLE, France
Elodie, vous avez participé au XIecongrès de la Fédération internationale des professeurs de français et présenté un atelier sur « la chanson contemporaine et les usages actuels du français » : pourquoi avoir abordé ce thème dans le cadre de ce congrès dédié à la diversité ?
ER : La chanson contemporaine permet de découvrir le français oral dans toute sa diversité et d’aborder la question des usages. Je travaille sur le français « de France » car mes apprenants vivent à Paris.
En français, comme dans la plupart des langues, les locuteurs disposent d’une large palette de niveaux de langue pour adapter leur discours à son contexte : professionnel, scolaire, amical, familial, intime… Ces « français » diffèrent par leur éloignement ou leur proximité avec la norme grammaticale. L’exemple le plus répandu est l’omission de la négation « ne » dans le registre familier. Il existe aussi des différences aux niveaux phonétique, syntaxique et lexical, avec notamment l’usage de l’argot ou de procédés de transformation tels que le verlan.
Ces usages sont autant de codes qui jouent le rôle de marqueurs sociaux : il est utile de savoir les distinguer et de pouvoir à l’occasion les employer. Cette compétence linguistique et culturelle est difficile à enseigner car les usages sont en constante évolution. Ainsi des pratiques valables et répandues en 2003 ne le sont plus forcément en 2004.
Les chansons contemporaines permettent de suivre « en direct » ou presque les tendances du français. En écoutant un panel diversifié de chanteurs et de groupes populaires, il est possible d’entendre le langage de la rue sans être en France, ce qui est utile lorsqu’on enseigne à l’étranger. Les chansons proposent une approche du français plus diversifiée que celle des médias et font accéder à des pratiques qui ne sont pas toujours représentées à la télévision, à la radio et a fortiori dans les journaux.
On peut discuter de leur place et de leur pertinence dans le cadre d’un cours de français, dans la mesure où elles sont souvent éloignées de la norme. Il me semble cependant important de ne pas les condamner au nom du « bon usage ». Les esquiver revient à réduire les compétences de compréhension et d’expression de l’apprenant : il sera immédiatement confronté à la diversité du français lors d’une rencontre avec des locuteurs natifs ou à l’occasion d’un voyage ou d’un séjour en France.
Rachid Taha, Écoute-moi camarade (France)
Créez-vous et utilisez-vous des ressources dans vos classes afin de faire découvrir aux apprenants la chanson actuelle ?
ER : Je suis de près l’actualité musicale et sélectionne les chansons qui remplissent les critères suivants : qualité sonore (les paroles doivent être parfaitement « audibles »), qualité linguistique (les paroles doivent être représentatives d’usages avérés et répandus), qualité thématique (si par ailleurs la chanson est émouvante, drôle ou culturellement riche, c’est encore mieux !). Enfin, je choisis des chansons relevant de styles musicaux variés pour diversifier et dynamiser mes cours.
A partir des chansons sélectionnées, je relève les points à travailler (phonétiques, grammaticaux, lexicaux, culturels…) et crée des activités pédagogiques adaptables à plusieurs niveaux. Une même chanson, grâce à sa qualité, peut sans problème être employée avec des débutants ou des avancés.
Je développe aussi des « groupements » de chansons en fonction de leur thème ou de leurs caractéristiques linguistiques pour approfondir le travail et l’ouvrir sur des activités d’expression, orale ou écrite.
Karkwa, Échapper au sort (Québec)
Quelles activités développez-vous et quelles compétences sont alors visées ?
ER : Les activités visent des compétences diverses. Pour les débutants, le travail est essentiellement axé sur la phonétique : prononciation, débit, rythme de la phrase, placement de l’accent… En écoutant et en reproduisant les paroles, les apprenants s’imprègnent d’usages courants qu’ils appliquent ensuite dans leur pratique orale. Les chansons fournissent aussi un grand nombre de « phrases-clés » utiles dans la vie quotidienne.
Pour les niveaux intermédiaires et avancés, les chansons permettent de définir ou redéfinir les normes au regard des écarts constatés : contractions les plus courantes (ex : il y a > ya), champs lexicaux mêlant des termes standards et familiers, déformations grammaticales. Ce travail permet aux apprenants de distinguer les variétés du français et ainsi d’adapter leur discours au contexte rencontré.
Les chansons proposent en outre un formidable réservoir culturel sur la vie quotidienne en France, les coutumes, les débats politiques et sociaux ou encore les évolutions des mœurs, à mettre en relation avec des films, des articles ou encore des reportages.
Il est important de choisir des chansons qui séduisent les apprenants, en particulier le public adolescent. Si elles leur plaisent, ils l’écouteront et l’apprendront avec plaisir et travailleront leur français sans même s’en apercevoir…
Quels conseils ou pistes donneriez-vous aux professeurs qui souhaiteraient aborder la chanson contemporaine, parfois difficile d’accès, et la faire découvrir aux élèves en salle de classe ?
ER : Pour bénéficier des apports de la chanson contemporaine dans la classe de langue, le principal est de bien sélectionner les titres proposés aux apprenants. Pour cela, il est utile de suivre l’actualité des ventes de disques et des téléchargements de paroles sur Internet – un bon indicateur sur la popularité d’un titre !
Ainsi, on trouve sur Internet de bonnes ressources pour découvrir les nouveautés et actualiser son répertoire. Les sites commerciaux tels que la FNAC ou Amazon donnent des indications sur les meilleures ventes, et l’ABC de la chanson francophone ou France-jeunes.net donnent le classement des paroles les plus consultées.
Les sites commerciaux, ceux des artistes et des maisons de disque mettent de très nombreux extraits en écoute gratuite. Certains proposent d’acheter des chansons à l’unité en les téléchargeant, ce qui permet de pallier la faible diffusion des nouveautés musicales à l’étranger.
Lorsque le texte est un peu obscur, comme parfois dans le rap / hip hop, des dictionnaires en ligne (entre autres celui « de la zone« ) permettent de trouver la signification de termes peu courants ou émergeants.
Voici une petite sélection d’artistes dont les chansons marchent bien en classe de français :
Bénabar : Des tranches de vie émouvantes et drôles, finement observées : histoires de copains, de couples, souvenirs et saynètes. Victoires de la musique 2004 : « album de chansons/variétés de l’année » pour Les Risques du métier.
Vincent Delerm : L’un des auteurs-compositeurs qui font le renouveau de la chanson à texte française : ses descriptions des choses de la vie font mouche.
Mickey 3D : Un groupe engagé qui traite de l’écologie, de la société et de l’avenir politique. Victoires de la musique 2004 : « album de pop/rock de l’année » pour Tu vas pas mourir de rire.
Kyo : Une pop musclée qui traite de la vie quotidienne des jeunes entre passion et révolte. Victoires de la musique 2004 : « album révélation de l’année » pour Le chemin et Kyo élu « groupe de l’année ».
Diam’s : Nouveau souffle sur le rap : cette jeune artiste habituée de la scène apporte une dimension féminine dans un milieu très masculin. Victoires de la musique 2004 : « album rap/hip hop de l’année » pour Brut de Femme.
Maria Lucia Jacob Dias de Barros, professeur de français, Brésil
Maria, vous avez présenté un atelier sur la chanson francophone d’aujourd’hui, la chanson métisse lors du congrès : pourquoi faire découvrir cette « chanson métisse » à vos étudiants de français langue étrangère ?
MB : Je suis enseignante à la Faculté de lettres de l’université fédérale du Minas Gerais, au Brésil, et la chanson, tout particulièrement, représente déjà un atout pour nous qui enseignons le français. En effet, la langue française était il y a trente ou quarante ans très présente dans notre enseignement, aussi bien au collège et au lycée qu’à l’université (sauf quelques exceptions). Aujourd’hui, surtout dans l’état du Minas où j’enseigne, cet enseignement a chuté énormément en quelques années seulement et il n’est pratiquement plus présent qu’à l’université. Cela constitue donc un défi, pour nous enseignants, de sensibiliser ces étudiants à apprendre une autre langue que l’anglais ou l’espagnol (langues dominantes, même au lycée). Nous sommes un peuple dont la culture est très musicale et enseigner la langue à travers la chanson est une démarche qui nous convient tout à fait. Or la diffusion de la chanson francophone au Brésil n’est pas évidente et, le plus souvent, nos étudiants ne connaissent pas la chanson qui se fait en France actuellement. Pour nous Brésiliens qui connaissons de près ce que c’est que le métissage, rien n’est plus attrayant que cette chanson francophone qui est devenue métissée.
Perle Lama, Elle et toi (Antilles)
Quelles activités développez-vous concrètement et où trouver les ressources permettant d’aborder ce thème en salle de classe ?
MB : En me rapportant à ce que je viens de dire précédemment, la diffusion de la chanson francophone au Brésil est très précaire. On ne l’écoute pas ni à la radio ni à la télévision et l’achat de disques est presque impossible étant donné leur coût et la rareté du produit. Pour nous procurer des titres, nous devons faire appel à des amis ou à des collègues quand ils effectuent un séjour en France (ou bien nous-mêmes), nous utilisons Internet ou le matériel distribué par l’Ambassade de France aux bureaux des services de coopération, même si quelquefois c’est à nous de le leur faire découvrir et d’en passer ensuite la commande. Les associations de professeurs de français jouent un rôle très important au Brésil et, en particulier, dans notre état, l’Association des professeurs de français du Minas Gerais (APFMG) est très dynamique de ce point de vue. Par ailleurs, nous avons un partenariat très riche avec l’Alliance française et surtout avec le Service de coopération de l’Ambassade de France.
Quant aux activités que, pour ma part, je développe à l’université, puisque je m’intéresse beaucoup à ce support, j’ai souvent l’occasion d’enseigner des disciplines de langue française à travers la chanson, aussi bien en français qu’en portugais, ce qui bénéficie surtout aux nouveaux étudiants, de vrais débutants qui n’ont pas encore choisi leur champ d’enseignement : le portugais ou une langue étrangère. Nous organisons des mini-cours sur la chanson dans les activités annuelles de notre faculté (Semaine des Lettres) et nous avons également mis en place une chorale dans une classe, avec l’aide d’une stagiaire de la Faculté de musique, qui malheureusement n’a pu exister que pendant un semestre étant donné les horaires de cours très différents de nos étudiants.
En quoi la chanson francophone d’aujourd’hui permet-elle d’aborder les cultures francophones à travers le monde ?
MB : La chanson francophone est devenue la chanson de toutes les cultures à travers le monde, c’est pour cela que je l’ai nommée chanson ”métisse”. Aussi bien par les origines de leurs auteurs/compositeurs et interprètes (qui écrivent et chantent en français) que par les langues qu’elle véhicule (on chante en français mais aussi en occitan, en espagnol, en arabe, en anglais, en wolof, etc.) et par les cultures, si diverses, qu’elle revendique (y compris les cultures francophones régionales, en France même), à travers les thèmes qu’elle plébiscite, la façon dont elle les traite et évidemment, puisqu’il s’agit avant tout d’une culture musicale, par ce métissage de musiques et rythmes de tous genres.
Lidia Marques, professeur de français, Portugal
Lidia, vous avez initié un projet original sur la chanson francophone contemporaine : en quoi consiste ce projet et pourquoi avoir choisi de travailler sur la chanson actuelle ?
LM : Les élèves portugais connaissent très peu la chanson francophone contemporaine. Quand on leur parle de chanson française, leurs références sont toujours Jacques Brel, Edith Piaf, Joe Dassin, bref ce qu’écoutaient leurs parents à leur âge ou même leur grands-parents. Ils portent un jugement trop hâtif et pensent que tout ce qui est français est ringard, démodé. J’ai donc pris l’habitude de travailler avec des chansons, le plus possible. Un projet trottait dans ma tête : celui de trouver des chansons de tous styles musicaux qui s’adaptent aux contenus thématiques des programmes de FLE au Portugal et de les didactiser. Ceci fit l’objet d’une demande de licence sabbatique qui m’a été accordée pour l’année scolaire 2003-2004. En septembre 2003, j’ai accueilli chez moi, dans le cadre du Fadom, Elodie Ressouches qui m’a beaucoup aidée dans la découverte de la chanson francophone actuelle. Tout au long de cette année j’ai donc sélectionné des chansons qui correspondent aux programmes, j’en ai fait des fiches pédagogiques pour enseignants et élèves, en ayant souvent recours aux TICE, car je sais bien que nos élèves passent énormément de temps devant leur ordinateur.
Le centre de formation continue pour enseignants de la ville d’Espinho a soutenu mon projet et j’y ai animé des séances de formation. De même, le Groupe Nord de l’APPF et l’Institut français de Porto m’ont proposé d’animer des ateliers. Puis des collègues m’ont demandé d’aller dans leur établissement. Je me suis rendue compte que la chanson en classe de français intéresse beaucoup de personnes. Aujourd’hui, grâce à Internet, il est très facile d’être informé de l’actualité musicale francophone. Il faut donc que nous, enseignants de français, sachions en tirer parti !
Quel matériel et ressources créez-vous afin de faciliter l’introduction de ce support dans la classe de français ?
LM : J’élabore des listes de chansons susceptibles d’être travaillées pour chaque thème des programmes de FLE (bien spécifiques au Portugal), puis des fiches (voir liens en bas de page) pour tous les niveaux depuis l’initiation jusqu’aux niveaux plus avancés. Je prends bien soin de choisir des styles musicaux très divers (variété, pop, R&B, rap, etc.), des textes pas trop difficiles à comprendre, de proposer des activités très différentes qui permettent d’atteindre les quatre compétences. J’essaye aussi d’introduire l’utilisation d’Internet pour des recherches, des exercices on-line ou des activités bien précises. Je tiens compte aussi de l’importance de développer chez nos élèves la compétence interculturelle. On a en effet tellement la manie de voir les autres en fonction de notre réalité personnelle… Il y a des fiches pour les élèves, toutes prêtes à être utilisées en classe de français et d’autres pour les enseignants, avec l’indication des objectifs et des contenus, des conseils, des informations supplémentaires sur l’artiste, etc.
Avez-vous déjà pu appliquer et évaluer ce travail avec vos étudiants ?
LM : Non, pas encore, puisque je n’ai pas fait classe cette année. Par contre, lors des sessions de formation, des collègues se sont portés volontaires pour tester certaines de mes fiches. Je leur ai ensuite demandé de me remplir une fiche d’évaluation où ils ont indiqué ce qui a le plus plu aux élèves, là où ces derniers ont eu le plus de difficultés, de façon à pouvoir reformuler le matériel.
A la rentrée 2004, je vais tester ces fiches avec trois classes de dixième année (niveau seconde), à l’Escola Secundária Dr. Manuel Laranjeira, d’Espinho, où je travaille depuis 12 ans. J’ai choisi la dixième année car c’est le début d’un cycle mais aussi parce qu’il y a eu une réforme au Portugal. La pédagogie de la tâche est désormais à l’honneur, comme un peu partout en Europe, je pense, puisque nous travaillons à partir du Cadre européen commun de référence pour les langues. Le projet a été approuvé par le Conseil pédagogique. Les élèves n’auront donc pas de manuel scolaire. Ils auront cours, au moins une fois par semaine en salle informatique. Je crois vraiment qu’ils seront très motivés car c’est un projet qui correspond à leurs centres d’intérêt (musique et Internet notamment). Je vais évaluer leur motivation, la pertinence des fiches, les résultats scolaires.
J’espère aussi que, grâce à ces initiatives, l’attitude de mes élèves face au français changera. J’en ai assez d’entendre des élèves qui disent : « Je fais du français mais je déteste ça. » Faisons du français une langue branchée ! Telle pourrait être ma devise.
Liens :
Atelier sur la chanson francophone d’aujourd’hui, la chanson métisse
Exemples de fiche à télécharger :
Photo : © Elodie Ressouches