Entretien avec Christophe Ngalle Edimo, Président de l’association L’Afrique dessinée
Votre association regroupe douze membres actifs*, des dessinateurs et scénaristes sensibles aux réalités africaines : quels sont les objectifs de votre association et comment travaille ce réseau sur les deux continents (Europe-Afrique) ?
Notre objectif principal est de produire une bande dessinée africaine, c’est-à-dire qui présente des héros et des situations africaines. En effet, nous pensons que la BD est un art populaire, dans lequel les gens peuvent se reconnaître à travers les situations auxquelles sont confrontés les personnages ; c’est aussi un art populaire dans la mesure où il fait intervenir l’imaginaire local voire l’inconscient collectif. Nous pensons qu’il existe peu de possibilités pour les africains de se « voir agir », et que la BD peut combler en partie cette lacune, surtout s’il existe des éditions locales. C’est surtout là que le bât blesse.
Pour arriver à cet objectif nous tissons des liens avec des associations africaines de bandes dessinées, espérant « former » et informer les auteurs en herbe à l’occasion d’ateliers. Le plus intéressant pour nous est que ces ateliers débouchent sur une production visible par le public local : expositions, et si possible, édition d’une BD, ce que nous avons pu réaliser une fois avec l’album collectif Shegue, produit lors du Fescarhy de Yaoundé, en juillet 2003. Nous espérons obtenir le même résultat lors du prochain atelier de Bamako, que nous allons animer la première quinzaine de juin 2007. Il existe semble-t-il un éditeur local intéressé.
Planches de Une journée d’un Africain d’Afrique
présentées à l’exposition Printemps Africain au FIAP Jean Monnet en mai 2006
Séance de dédicace d’Armella Leung
Comment se porte, d’après vous, la bande dessinée en Afrique ? Existe-t-il un engouement pour cette expression artistique ou souffre-t-elle d’un manque de visibilité ?
La bande dessinée en Afrique se porte mal, à l’image de l’économie africaine. Les obstacles à cette expression sont d’une part qu’elle est proche de la caricature, d’où une confusion pour le public (car les auteurs de BD en Afrique sont souvent caricaturistes dans des journaux) et une méfiance des autorités politiques. Par ailleurs, peu de monde lit en Afrique : le livre est cher, les journaux sont chers, et surtout survivre au jour le jour est tellement important que lire devient superflu. Enfin, peu de lecteurs disposent des « codes » pour interpréter la bande dessinée européenne (italienne surtout, par les BD dites de gare des éditions Bonelli) ou japonaise.
Au niveau de la mobilisation et de l’information du public, il existe peu de festivals, et lorsqu’ils existent, ils ont une périodicité incertaine. De ce fait, difficile de fidéliser un public, d’autant plus que le nombre de librairies est réduit.
Autre point : les auteurs africains intéressants sont quasiment tous exilés en Europe, où ils ne percent pas, ce qui peut se comprendre car leur imaginaire est à la base différent de l’imaginaire européen, d’où des difficultés à interpréter ce que veut dire un scénariste européen. Et ceux qui veulent parler de l’Afrique ne trouvent pas en Europe des éditeurs intéressés, du fait du risque économique.
Quant à l’engouement des africains pour la BD, il est réel. En novembre 2003, M. Fournier, un des dessinateurs de la série Spirou me disait, à l’occasion du Cocobulles de Grand Bassam (Côte-d’Ivoire) qu’il n’avait jamais autant dédicacé d’albums qu’à cette occasion. Mais vu le prix des BD importées, le public touché reste marginal.
Quand à la production locale, pour survivre, elle est soutenue, en général, par un quotidien ou un hebdomadaire : il existe peu d’albums de BD ludiques, et un peu trop d’albums de BD à thème (le sida, le paludisme, l’onchocercose etc. : faut-il être malade ou menacé par une maladie pour lire une BD en Afrique ?)
L’Afrique dessinée participe-t-elle à des manifestations (en France et en Afrique) ?
En France, le festival de Damparis, dans le Jura, nous invite tous les ans depuis 2003. Episodiquement nous allons à d’autres festivals, au gré de nos productions : Angoulême, Dijon, Illzach… Nous nous rendons aussi à des manifestations culturelles qui mettent l’Afrique à l’honneur : festival de Cozes, et bientôt le festival d’Africajarc, en juillet 2007. En Suisse, nous avons participé au festival de Sierre, aujourd’hui arrêté. En Hollande, nous étions au festival AfricaFest de Leeuwarden. En Allemagne, avec l’éditeur Lai Momo de Bologne (qui a édité trois ou quatre d’entre nous) nous avons été en 2005 au salon du livre de Francfort.
En Afrique, nous avons été essentiellement au Fescarhy de Yaoundé, Cameroun (2003, 2004) au Cocobulles de Grand-Bassam, Côte-d’Ivoire (2001, 2003 : depuis, du fait de la guerre civile, le Cocobulles a été délocalisé à Abidjan… mais n’a pas eu lieu). Nous irons en juin au festival de Bamako. Parmi nos objectifs : le festival du Cap, Afrique du Sud, et le festival de Tananarive… lorsqu’il aura lieu… Mais nous avons peur qu’il disparaisse, à l’image du Bédéboum de Libreville…
Proposez-vous des actions de formation, notamment pour les jeunes, en France et en Afrique ?
Oui, mais en utilisant la bande dessinée comme thème de réflexion (sur la citoyenneté, le métissage, etc.). D’où des interventions à la demande de l’association Citoyenneté jeunesse 93 du Drancy (93). A ces occasions nous nous rendons dans les lycées et nous intervenons soit lors de cours d’histoire-géographie, soit lors de cours de français. Il nous est arrivé aussi d’être invité par un lycée viticole du Beaujolais pour « préparer » une classe de terminale à un voyage en Afrique, ils devaient rencontrer des lycéens d’un établissement agricole du Bénin : nous avons travaillé sur les représentations.
En Afrique nous intervenons pour former non pas des jeunes mais des dessinateurs ou scénaristes qui veulent produire de la bande dessinée. Il nous est arrivé aussi d’intervenir dans un lycée, à Yaoundé, ou de rencontrer des élèves lors de festivals, mais sans action de formation concrète.
Quelles sont les caractéristiques des BD réalisées par vos dessinateurs ? Sont-elles plutôt comiques, dramatiques, caricaturales ? Quels messages souhaitez-vous délivrer à travers vos dessins ?
Nous avons aussi bien des dessinateurs comiques que réalistes. Il nous est arrivé de délivrer des messages, à l’occasion de bandes dessinées didactiques dont le cadre était fixé par le commanditaire (le cas actuel est celui d’une bande dessinée qui parle de la prostitution africaine et son exportation en Europe via des filières criminelles – commande du Mouvement du Nid, sortie probable en juillet 2007). Mais en général il s’agit surtout de nous faire plaisir… en espérant qu’un lecteur y trouvera du plaisir aussi.
Quelles nouvelles actions souhaiteriez-vous mettre en place dans les mois, les années à venir ?
Pour les prochains mois nous aimerions produire un fanzine dont l’objet serait les banlieues : de France et d’ailleurs. Ce thème serait traité à travers des histoires comiques ou réalistes. Nous n’avons pas encore les moyens de faire de l’animation, et il se peut que certains d’entre nous puissent migrer vers cet art si l’occasion se présente (nous avons déjà des sujets). Par ailleurs, aider à l’émergence d’une maison d’édition africaine en Afrique est un objectif essentiel pour nous, autrement nous ne voyons pas comment une bande dessinée africaine populaire à tarif intéressant pourrait voir le jour.
Témoignage d’Armella Leung
Une journée dans la vie d’un africain d’Afrique est la première bande dessinée où je m’essaie, et je suis très reconnaissante à l’association L’Afrique dessinée de m’avoir donné cette opportunité. C’était une aventure assez importante pour moi dans la mesure où cela touche à mes origines malgaches qui n’ont pas l’habitude de surgir dans mon travail habituel.
Etant graphiste de formation, j’ai abordé le sujet comme une graphiste : je voulais que le choix du style colle au maximum au sujet. Pour moi, l’Afrique, c’est fondamentalement la terre, tactile, puissante, primitive, aride. C’est pourquoi j’ai cherché un rendu de sculpture de terre. Et, comme mon chapitre parle en particulier de relations sociales biaisées, j’ai utilisé l’image des masques africains pour en faire des masques sociaux derrières lesquels intriguent les personnages. Certains personnages comme Marie et sa fille jouent leur propre rôle et ne se cachent pas derrière un masque ; je me suis amusée à les faire en relief, contrairement aux autres personnages dont la personnalité est plate, et qui sont en bas-relief.
Liens
- Planches d’Armella : premier exemple / deuxième exemple
Note
* L’association compte sept dessinateurs : Simon-Pierre MBUMBO (Cameroun), Faustin TITI (Côte d’Ivoire), Didier RANDRIAMANANTENA (Madagascar), Adjim DANNGAR (Tchad), Willy ZEKID (Congo Brazzaville), Maman Fifi MUKUNA (Congo démocratique), Rafaël ESPINEL (Colombie) ; une photographe : Ana-Maria CAMEJO (Colombie) ; un réalisateur de documentaires : Bruno POUNEWATCHY (Centrafrique) ; deux scénaristes : Christophe NGALLE EDIMO et Willy ZEKID. Enfin, Marian NUR GONI (Italie-Somalie), qui n’intervient pas dans la production.