Entretien avec Régine Dautry-Norguet (Docteur de l’université Paris V- Sorbonne)
Régine, vous êtes formatrice de formateurs FLE/FOS, Docteur de l’université Paris V-Sorbonne, diplômée de l’Institut des professeurs de français à l’étranger et du conservatoire d’art dramatique.
Dans quel cadre et pourquoi avez-vous commencé à utiliser le théâtre en classe de FLE ?
Vous allez être très déçue ! Je n’utilise pas le théâtre en classe de FLE, du moins comme on le pratique actuellement sous forme de jeux de rôle, de jeux d’improvisation, d’activités ludiques, d’expression corporelle ou d’exercices d’improvisation, etc.
Pour moi, le théâtre, tel que je l’ai appris, c’est, d’une part, l’art oratoire, c’est-à-dire la dimension technique et esthétique de la parole, et d’autre part, l’art dramatique, l’art de la mise en scène de soi et/ou d’une oeuvre. Il s’agit donc d’un ensemble de théories et de techniques qui s’apprennent et qui sont normées. Comme tout apprentissage, ce n’est pas inné et cela demande du travail. Soit qu’il s’agisse de canaliser ses émotions pour mieux les transmettre, soit qu’il s’agisse de maîtriser les éléments de la formation pratique à l’oral.
Ce sont donc les techniques de base de l’art oratoire et de la diction que j’ai associées au FLE : c’est un domaine très riche pour former les professeurs à l’animation d’un cours d’oral et de phonétique en FLE, mais surtout, c’est une innovation pour la prise de parole et la transmission des savoirs en filière francophone à l’université. L’autre domaine de l’art dramatique que j’ai transféré en FLE, c’est la mise en scène, dont j’utilise les principes et les étapes, pour les étudiants ou les professeurs qui souhaitent monter une œuvre intégrale en classe de FLE. Dans les deux cas, il s’agit d’un travail normé, très technique, mais une fois la technique acquise, les apprenants sont merveilleusement à l’aise et souriants.
J’ai commencé – et je continue ! – à associer le FLE et ces techniques dans le cadre de la formation de professeurs, en France et à l’étranger.
Cette mise en scène de pièces de théâtre, comment se déroule-t-elle ?
Je sélectionne une pièce du répertoire français, entière, intégrale, et j’apprends aux professeurs ou j’apprends à mes étudiants à la porter sur scène. Le temps dont on a besoin est variable : en cours de langue, quand il s’agit d’étudiants qui apprennent le français, c’est un module qui couvre facilement un semestre. Au centre de langue française de l’Université de Cergy-Pontoise, j’avais 3 heures par semaine avec des Erasmus de niveau B2-C1, et à la fin de l’année ils jouaient cette pièce lors de la folle nuit du théâtre. Par contre, quand il s’agit de professeurs de français en formation, en France ou à l’étranger, je peux les initier au montage d’une œuvre en l’espace d’une semaine. C’est le temps habituellement imparti à une mission. Cela leur permet, non pas de la jouer, mais de préparer leurs élèves à mettre en scène une œuvre intégrale, de la première lecture à la préparation de la représentation en passant par diverses étapes indispensables, comme le tri et les adaptations.
Limiteriez-vous cette pratique à certains niveaux B et C du CERCR ou pensez-vous que l’on puisse introduire le théâtre en A ?
Tout ce qui relève de la diction et de l’art oratoire peut être associé au FLE et utilisé à tous les niveaux du CECRL. Par contre, la mise en scène-FLE, à savoir le montage d’une œuvre théâtrale intégrale en classe de français, ne me semble possible qu’à partir d’un niveau B2-C1. Non seulement parce qu’il y a des points linguistiques ardus, comme les coupures et, si besoin, les adaptations, mais aussi parce qu’il s’agit d’une tâche collective de longue haleine, avec des responsabilités partagées, un engagement de chacun envers le groupe. Nous « portons » littéralement un projet ensemble.
Pourriez-vous expliquer comment vous procédez (élaboration du cours, exercices corporels et d’échauffement, déroulement du cours…)
Mon cours repose sur tout ce que j’ai pu apprendre au cours de mes études et de ma carrière en matière de formations de professeurs et de transmissions orales. Il comporte nécessairement un apport théorique, une mise en pratique et une transposition personnalisée dans le domaine visé, cours de FLE oral, cours en filière francophone à l’université, mise en scène-FLE. Pour vous donner un exemple, j’explique ce que sont les pauses dans la chaîne parlée, en prosodie, puis comment on passe de ces pauses aux diverses pauses et fausses pauses de l’acteur ; ces dernières font l’objet d’un exercice de sous- groupes ou de prestations individuelles, toujours estimés ou évalués en grand groupe. Ensuite, libre à l’apprenant de « jouer » de cette techniques des pauses dans son domaine professionnel. C’est alors un autre moment de la formation. Un moment magique où le professeur devient un orateur, qui maîtrise son public, qui convainc, qui s’adapte et se fait comprendre.
Où trouver les ressources permettant d’aborder ce thème en salle de classe ?
Il existe quantité de sites où trouver des ressources en ce domaine. Tout dépend du nombre d’apprenants, de leur niveau et de ce que l’on vise comme objectif, cours d’oral, prise de parole, mise en scène. Le seul conseil que je donnerais est de toujours vérifier qu’il s’agit, pour le théâtre, du répertoire français tombé dans le domaine public.
Comment évaluez- vous ce travail avec vos étudiants ?
L’évaluation se fait en deux temps : une évaluation générale en grand groupe, une évaluation en sous-groupes avec élaboration d’une fiche d’évaluation portant sur la définition des nouvelles compétences acquises. Mais le critère d’évaluation pour moi, le vrai, c’est l’extraordinaire plaisir de mes apprenants, leurs sourires heureux. Un domaine que l’on ne quantifie pas encore.
Il y a une fiche-retour qui se fait toujours en fin de stage. Parmi les critères : les atouts personnels développés, comme la confiance en soi, les progrès dans les domaines de la transmission et de la communication.
En quoi pensez-vous que le choix de ce type de support peut être un plus dans l’apprentissage d’une langue ?
Cela crée une ambiance propice à la prise de parole et fait appel à des qualités ou des atouts personnels que les apprenants découvrent, souvent avec surprise. Les techniques acquises lors de cette formation, les exercices élaborés et les travaux du groupe sont autant de ressources directement utilisables en cours. Et puis, il y a la confiance en soi et le plaisir, la découverte de ce que l’on est capable de faire, de dire, d’oraliser ! Si je vous donne simplement l’exemple de l’articulation et des différentes formes de dictions, vous ne pouvez pas savoir combien un professeur est heureux de découvrir qu’il peut innover pour animer un cours d’oral de façon attractive, combien un autre est heureux de prendre la parole dans un amphithéâtre sans plus de trac ni de barrières linguistiques !
Pourriez-vous nous citer des pièces/extraits de pièces que vous pourriez conseiller aux professeurs. Quels sont leur intérêt pédagogique ?
Je conseillerais aux professeurs qui souhaitent monter une pièce avec leurs élèves ou étudiants de choisir une œuvre dont l’intrigue est simple, si possible une pièce de boulevard. Pour la raison que ce théâtre est, le plus souvent, structuré en actes et scènes. Or, les scènes sont déterminées par les entrées et les sorties des personnages, ce qui facilite énormément la compréhension de l’œuvre et sa mise en scène. L’intérêt pédagogique de cette activité en cours, hormis les extraordinaires progrès que l’on constate dans les compétences langagières, culturelles et de communication, réside dans l’acquisition de nouvelles compétences que je considère comme essentielles pour parler et se sentir à l’aise. Ces compétences sont, par exemple, savoir placer sa voix évidemment, être capable de s’adapter au rythme d’un dialogue, savoir comment donner du sens aux énoncés, se jouer des sonorités, etc. Mais surtout, oser et savoir s’amuser dans le cadre d’une création collective, et je dis bien « s’amuser », c’est important pour oser parler.
Pour ce qui est des ressources, les sites FLE ont le plus souvent des liens vers des ressources didactiques en ce domaine. Vous trouverez quelques autres liens dans mes repères bibliographiques et sitographiques, que j’ai voulus très généralistes. En effet, tout dépend du niveau des apprenants et de leur nombre, de ce que l’on vise. Je laisse le choix à ceux qui me lisent de « piocher » à leur gré.
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