Entretien avec Barbara Juzwiak Dieu : un projet blog en classe de langue
Barbara Juzwiak Dieu enseigne l’anglais au lycée français de São Paulo (Brésil) où elle est coordinatrice du département des langues étrangères et membre de la commission TIC.
Vous utilisez dans vos classes ce nouvel outil qu’est le blog : pourquoi un tel intérêt pour les blogs et qu’apportent-ils concrètement dans l’enseignement des langues ?
Personnellement, comme enseignante et aussi comme apprenante (car nous apprenons et nous nous perfectionnons tout au long de notre vie), ce qui m’attire vers cet outil de publication c’est d’abord sa simplicité d’utilisation et sa flexibilité mais surtout la liberté de pouvoir produire, publier et partager mon propre contenu avec d’autres personnes tout en interagissant avec eux. Un blog favorise la communication et nous permet de créer des réseaux à partir de nos propres pôles d’intérêt.
Le blog ne requiert pas de compétences informatiques particulières, et dans la sphère pédagogique il permet, en très peu de temps, de créer des espaces multimédia personnalisés sans devoir dépendre d’une infrastructure sophistiquée ni posséder des compétences techniques avancées. Le blog encourage la créativité car les usagers peuvent choisir leur propre design et la mise en page, ils rédigent leurs textes selon leurs goûts et les objectifs qu’ils se sont fixés, tout en intégrant, par exemple, des images, du son, des liens utiles…
Le format RSS et l’agrégation des contenus permettent de relier et diffuser ces initiatives individuelles sans recours à un mode central et hiérarchique.
La fonction « commentaires » permet à différents lecteurs de réagir et donner leurs avis sur les différents contenus du blog. Pour les apprenants de langues étrangères « bloguer » leur permet d’aller plus loin, de prendre des risques, d’expérimenter avec la langue, d’exprimer leurs idées dans des contextes plus réels et authentiques que le cadre classique du cours. En lisant les blogs d’autres pays et cultures, sur des sujets qui les intéressent, les apprenants élargissent leurs horizons et découvrent d’autres perspectives.
Les étudiants doivent apprendre à analyser une information, la déchiffrer et la comprendre. Une fois analysée, ils la synthétise et émettent des opinions. Ils réutilisent les connaissances et compétences acquises, en se servant de leurs expériences antérieures. Il faut leur laisser la chance de découvrir leur propre capacité d’apprentissage sans l’interférence directe ou le contrôle systématique du professeur.
Cet outil peut donc servir pour la lecture réflexive, et est un espace personnel pour la structuration de la pensée, pour la collaboration, et le partage de ressources. Les apprenants peuvent poursuivre la publication d’un blog tout au long de la vie, créant un webfolio qui enregistre leur parcours, leur processus d’apprentissage dans la langue cible.
Comment organiser son cours en utilisant un tel outil ? Quelles activités proposer et comment les intégrer au programme général ?
Le blog est un instrument de gestion de contenu, un endroit qui nous permet de compiler, classifier et enregistrer de l’information, mais il est surtout un lieu où l’on peut s’engager dans la réflexion et dans des conversations sur des sujets divers. Il donne à l’individu la possibilité de s’exprimer sur le web, ce qui lui permet (par les échanges dans lesquels il s’engage) de transformer et enrichir ce qu’il sait et par conséquence de se transformer lui-même et de se sentir capable d’influencer le monde dans lequel il vit. Un blog devrait donc devenir un espace d’enseignement interactif, un lieu de dialogue personnel et collectif, un espace de liberté.
L’enseignant peut créer un blog tuteur où il modèle l’usage de la langue cible dans des situations diverses tout au long de son cours. Il peut placer sur le côté des liens vers des sites d’intérêt : dictionnaires, actualités, d’autres blogs intéressants, albums photos.
Il peut poster ses réflexions au sujet de ses cours mêmes ou sur l’actualité en général, faire des commentaires sur des films ou des livres tout en invitant ses élèves ainsi que d’autres intervenants (personnes ressources, experts, parents, d’autres élèves) à dialoguer, discuter, enregistrer leurs commentaires sur des sujets divers.
Lors de la création et de l’utilisation du blog, quels rôles sont attribués aux apprenants ? Et quelles tâches leur sont assignées (en individuel et en groupe) ?
Les apprenants peuvent créer leurs propres blogs individuels et être liés (ou non) (blogroll) à un blog tuteur. Le blog peut être utilisé comme un journal qui documente une narration personnelle mais aussi comme un espace pour fédérer les débats. Sur leurs blogs individuels, ils peuvent créer des liens vers des points de discussion du blog central, ceux des blogs des collègues ou d’autres blogs afin d’enrichir le dialogue et la réflexion. Ils peuvent aussi enregistrer une recherche documentaire ou s’exprimer sur des sujets variés en reliant leurs informations comme ils le souhaitent.
Les apprenants sont donc à la fois consommateurs et producteurs d’information. Ils cherchent et choisissent leurs sujets de lecture. Par leur variété, les blogs individuels nous montrent, sous de multiples prismes, la réalité sociale et le processus d’apprentissage dans lesquels nos élèves s’insèrent. Les blogs servent donc à filtrer les préoccupations, les inquiétudes et les choix d’un observateur critique, l’apprenant lui-même.
Quelle place occupe le professeur et comment évalue-t-il le travail effectué ?
Avec l’Internet, l’enseignant n’est plus le seul détenteur du savoir et il doit gérer une croissante hétérogénéité de contenus et de besoins pédagogiques. Il faut qu’il remette sa pratique en question (reflection in and on action). Son rôle se transforme en celui de tuteur et médiateur et le cours en espace collaboratif qui permet le développement d’intelligences multiples. Le professeur fait connaître à ses élèves les différentes sources d’information. Il les guide dans le repérage, la sélection et l’analyse de l’information. Il les conseille, valide leur production pour une éventuelle publication, etc.
Le blog est un outil qui invite au dialogue donc je pense qu’il faut le travailler en collaboration avec les élèves, en équipes et établir un climat propice, une atmosphère de respect, de partage et d’expérimentation. Il faudrait créer ensemble des situations d’apprentissage variées permettant aux participants de développer leurs aptitudes à faire des choix.
Il faut aussi se donner du temps pour partager, collaborer et expérimenter ce qui n’est pas toujours facile dans le système éducationnel tel qu’il existe actuellement avec ses horaires et ses contenus fragmentés. Lors de la création d’un blog, il faudrait pouvoir accorder des moments de réflexion aux apprenants leur permettant d’améliorer leurs publications, afin de les rendre responsables de leur propre apprentissage. Ils pourront ainsi devenir davantage conscients, actifs et autonomes.
Le blog est un véritable outil de communication et d’interaction. Avez-vous des exemples concrets d’utilisation de cet outil par vos élèves ?
Quelques exemples de blogs d’élèves au lycée (en anglais) :
Conseilleriez-vous l’utilisation du blog en classe à vos collègues enseignants de langue ?
Je pense que chaque outil informatique a une utilité, une fonction, et une culture qui se développe à partir de son usage. Il est donc nécessaire que les enseignants se familiarisent avec cette culture en lisant d’autres blogs, en participant et en discutant avec d’autres enseignants avant de les instaurer en classe.
Etant donné le caractère dynamique du blog et le potentiel qu’il offre pour la communication, il serait bien dommage, surtout pour l’enseignement de langues étrangères, d’utiliser cet outil à seules fins d’enregistrer le monologue du professeur et de reproduire une pratique pédagogique traditionnelle dans laquelle l’enseignant reste la seule source d’information, qui détient, dirige et contrôle les savoirs. Le blog permet la création d’un réseau à visage humain d’individus engagés et coopérants qui se parlent.
Notre objectif est de modeler, faciliter les connexions et rapprocher les participants pour qu’ils puissent pratiquer la langue d’une façon autonome, développer leur esprit d’analyse et de créativité en participant à un travail commun selon leurs propres intérêts.