Élaborer une unité didactique à partir d’un document authentique : l’extrait de film

cinma

Entretien avec Jean-Daniel Garabédian (responsable pédagogique, formateur, réalisateur de films institutionnels pour la classe de F.L.E.)

Jean-Daniel, vous êtes responsable pédagogique d’Eurocentres Paris et formateur dans la même école. Avec quel(s) niveau(x) travaillez-vous le plus ?

J’enseigne à tous les niveaux du C.E.C.R.L mais, c’est vrai, ces dernières années j’ai eu beaucoup de classes dans les niveaux B, B1 et B2, voire C1.

Je sais que vous utilisez beaucoup le cinéma et donc des extraits de film dans vos classes. D’où vous est venue l’idée au départ ?
Je suis cinéphile et le cinéma s’est imposé tout naturellement comme un média essentiel pour la classe de langue. En fonction des objectifs communicatifs et linguistiques du niveau dans lequel je travaille, il y a toujours un film qui correspond à l’objectif visé, qui va aider les étudiants à réfléchir à cet objectif, à se l’approprier. Les étudiants sont toujours curieux, disponibles, intéressés par le cinéma. À chaque fois, pour des raisons différentes, il y a quelque chose qui se passe au moment d’un travail à partir d’un film. C’est très motivant pour les étudiants comme pour le professeur.

Limiteriez-vous l’utilisation de ces documents authentiques aux niveaux B ou C ou bien pensez-vous que l’on puisse introduire l’extrait de film en A ?

Même si l’exploitation d’un extrait de film est optimisée dans les niveaux avancés, on peut tout à fait utiliser des extraits de film pour les classes de niveau débutant pour un travail sur des objectifs spécifiques comme la description, pour faire prendre conscience de comportements culturels ou pour faire faire de petites hypothèses au présent, par exemple.

Pourriez-vous expliquer comment vous procédez. Est-ce en voyant un extrait de film que vous pensez à la classe ou, à l’inverse, vous recherchez dans votre connaissance du cinéma français des extraits qui pourraient convenir aux thèmes culturels, sociaux, communicatifs, grammaticaux, lexicaux que vous souhaitez travailler ?

Je vais dire que cela marche dans les deux sens. Souvent, lorsque je prépare mon cours, je regarde quels sont mes objectifs communicatifs de la semaine, très vite j’associe à tel objectif, tel extrait de film. Ça fonctionne dans l’autre sens également, je vois, au minimum, quatre ou cinq films par mois au cinéma et lorsqu’il s’agit de films français, c’est un peu comme une déformation professionnelle, il y a un petit coin de ma tête qui pense à l’exploitation potentielle que je pourrais faire de telle ou telle scène en classe.

Une fois l’extrait trouvé, comment élaborez-vous le cours ? Proposez-vous systématiquement une transcription ? Pourquoi ? Dans quel(s) cas ?

Je sélectionne la scène qui correspond à mes objectifs, je la transcris toujours, le texte va être important pour moi pour voir la meilleure direction à prendre pour l’exploitation à venir et, par la suite, il sera essentiel pour les étudiants, tout à la fin de l’exploitation en classe. Les étudiants aiment bien réécouter les dialogues avec le texte. Cela permet, bien sûr, d’associer phonie et graphie mais cela initie aussi un travail sur du vocabulaire nouveau, les intonations, la ponctuation, les conventions sociales, etc.
Beaucoup de sites élaborés par des professeurs de FLE dans le monde permettent l’accès à un extrait de film mais, à quelques exceptions près, les didactisations ne sont pas proposées.
Ici, j’essaie d’adapter l’exploitation pédagogique au profil du public que j’ai. Je guide leur compréhension par des questions toujours très ouvertes, je les encourage à faire des hypothèses sur les contenus. Nous avons la chance de pouvoir travailler sur des tableaux blancs interactifs et donc cela enrichit encore énormément l’exploitation d’un film par le travail que l’on peut faire autour de l’extrait : sur l’affiche du film, sa bande annonce, les portraits des personnages, l’époque de l’histoire, les liens avec des sujets apparentés …
L’exploitation pédagogique inclut une expression orale ou une expression écrite.
Je peux aussi prolonger l’exploitation par des jeux grâce à tout un éventail d’outils proposé par le logiciel du TBI.

Où trouver les ressources permettant d’aborder ce thème en salle de classe ?

J’attends la sortie du DVD, aujourd’hui, les délais, en France, sont raccourcis : un DVD sort en général 4 mois après la sortie en salle. J’achète le DVD personnellement si c’est un film qui m’a beaucoup plu et sinon, je fais acheter le film par mon école. Je peux également enregistrer ce film sur mon lecteur DVD. Dans ce cas-là, je fais systématiquement un montage en extrayant la séquence qui me plaît. Je préfère monter car lors du travail en classe, on va ainsi droit au but, sans perdre de temps à rechercher le passage souhaité. Ensuite, c’est aussi un moyen de couper court aux sollicitations des étudiants qui demandent systématiquement à voir la suite. Je suis content qu’ils s’intéressent au film travaillé mais le visionnage du film dans son intégralité doit se faire à un autre moment, en dehors du temps de travail. J’indique aux étudiants où se procurer le DVD ou alors ils peuvent télécharger le film légalement sur Internet. Enfin, il y a les extraits de film en ligne sur You Tube par exemple, si l’extrait de film que je veux est déjà isolé et accessible sur You Tube alors c’est plus facile.

Avez-vous déjà pu évaluer ce travail avec vos étudiants ?

Leur compréhension est excellente, soit uniquement par le biais des informations visuelles qui souvent illustrent les propos, soit directement par les informations verbales. Cela permet aux étudiants d’être « en immersion » face à la mélodie, au rythme du français tel qu’il est parlé.Un rythme plus naturel, par exemple, que les consignes du prof qui sont souvent données bien articulées. Dans les exploitations de film proposées, je n’ai jamais eu de problèmes posés par la compréhension orale du document.

Ensuite, au niveau de la séquence pédagogique, ça fonctionne toujours très bien, à la fin du travail, on est arrivés aux objectifs visés, les étudiants ont pu réfléchir et peuvent pratiquer, réinvestir les notions qui ont émergé du cours. Les films travaillés sont souvent vus par la suite par les étudiants qui veulent découvrir l’oeuvre dans sa totalité.
Le niveau de langue travaillé dans l’extrait étant adapté au niveau auquel travaille la classe, cela permet également de voir ce qui est acquis ou en cours d’acquisition pour la C.O. des uns et des autres.

En quoi pensez-vous que le choix de ce type de support peut être un plus dans l’apprentissage d’une langue ?

Le cinéma, ça fait appel aux émotions, donc les étudiants sont touchés, embarqués par ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent, ils peuvent s’identifier aux personnages ou cela déclenche des réactions, des interactions entre eux. On capte directement l’attention tout en ayant des visées pédagogiques. Toutes les générations sont partantes, on peut travailler sur le parler des ados à travers L.O.L. de Liza Azuelos ou évoquer l’escalade verbale lors d’un dîner de famille comme dans Le prénom de Delaporte et Lapatellière qui plaît beaucoup à un public plus mûr.
Enfin, le cinéma permet de faire entrer dans la classe toutes les facettes du français et toute la francophonie puisque, par exemple, le cinéma belge est aussi très productif ces dernières années. Même chose pour le cinéma africain ou québécois même si la diffusion en DVD est parfois moins large.

Pourriez-vous nous citer des films/extraits de films que vous avez récemment didactisés. Quels sont leur intérêt pédagogique ?

-Pour les niveaux A, on peut travailler sur les films de Cédric Klapisch, par exemple, pour un travail sur la description, la caractérisation, la comparaison. Certaines publicités sont très bien pour cela aussi. Le support est plus court, souvent très visuel.
Pour les niveaux B, il y a un classique, Huit femmes de F.Ozon, une histoire policière donc intéressante pour travailler les récits au passé, la localisation dans l’espace et dans le temps.
Avec des B2+, j’ai fait tout un travail à partir de l’adaptation cinématographique du « Dieu du carnage » de Yasmina Reza : Carnage de Roman Polanski qui est, lui, pour moitié, français. Nous avons travaillé sur la version doublée, exceptionnellement. Le film est tourné en langue anglaise, mais le texte originel est, lui, en français. L’objectif était de travailler sur les structures du conflit et tout le début du film traite de cela. Le prégénérique montre la cause du conflit qui va opposer, par la suite, deux couples.

Le TBI a permis de travailler sur les affiches françaises et américaines. L’affiche française propose trois portraits des 4 personnages principaux, trois portraits dans lesquels on voit l’expression des visages changer. L’affiche américaine joue, elle, sur le contraste entre la photo des deux couples très paisibles et le titre « Carnage » qui tranche avec cette apparente sérénité.

carnage_4
carnage_3

Ensuite, tout le début du film s’attache à la négociation entre les deux couples sur la formulation du différend qui les oppose. C’est déjà très riche pour illustrer les thèmes du conflit et du reproche et réfléchir aux formes qui permettent de les exprimer. Par la suite, tout un travail lexical est aussi fait sur l’emploi du mot « truc » qui est utilisé dans cette séquence du film. « Truc », c’est un mot difficile pour les étudiants alors que c’est si pratique pour nous. Ce sont quelques pistes de travail.

Enfin, avec un niveau C, le film Polisse de Maïwenn, permet de travailler persuasion et dissuasion à travers une scène entre Marina Foïs et Karin Viard qui interprètent deux collègues policières. Malgré l’intensité et la crudité du dialogue qui correspond à une réalité du français, les étudiants ont pu identifier, formuler les expressions qui permettent de convaincre, d’argumenter. Un travail sur les registres de langue peut aussi être proposé.
On sent quand un film a un impact sur les gens lors de sa sortie, pendant la projection dans la salle, qu’il s’agisse d’un film populaire ou plus indépendant. L’intérêt, la curiosité qu’il suscite. La joie qu’il procure. C’est ce film-là que je recherche pour l’apporter à la classe.
Le cinéma dans la classe, c’est toujours du plaisir et le plaisir dans l’apprentissage, c’est moteur.

Sites utiles:

Rédaction : Fanny Kablan

Dans la même rubrique

Former à l’enseignement précoce

Spécialistes de l’enseignement précoce du français, Hugues Denisot et Catherine Macquart-Martin ont organisé des formations spécifiques pour les enseignants qui travaillent avec...

L’afrique dessinée

Entretien avec Christophe Ngalle Edimo, Président de l’association L’Afrique dessinée   Votre association regroupe douze membres actifs*, des dessinateurs et scénaristes...

Littératures francophones vues d’Italie

Entretien avec Andrea Calì, Professeur de littératures francophones à l'Università di Salento, Directeur de la Revue Interculturel et Président de l'Alliance française de Lecce....

Formation et renforcement des capacités des enseignants (Sénégal)

La littérature fait partie des arts qui ont très tôt rencontré Internet. Aujourd’hui, bon nombre d’internautes se rendent moins à la bibliothèque que dans les réseaux sociaux...

Des contes dans nos langues : du bilinguisme au plurilinguisme

Entretien avec Gabriella Vernetto, chargée du projet Regio "Des contes dans nos langues : du bilinguisme au plurilinguisme". Dans le cadre de la réactualisation du dossier de...

Entretien avec Céline Mezange (T’enseignes-tu) et Gabrielle Chort (GABFLE)

Entrez dans les coulisses de deux blogs de FLE : T’enseignes-tu (le FLE) ? et GABFLE. Bonjour, Céline, bonjour Gabrielle, et merci d’être venues aujourd’hui à Paris pour nous...

Comment aborder les francophonies en classe de langue

Entretien avec Anne Vangor, lectrice Wallonie-Bruxelles International à l'Université de Concepción – Chili Anne, pouvez-vous vous  présenter et nous expliquer d’où vous...

Portraits francophones (2)

Paroles d'enseignants au congrès de la Commission Asie-Pacifique en 2010. Franc-parler était présent au dernier Congrès de la CAP (Commission Asie-Pacifique) de la FIPF qui s'est...

L’hôtellerie et la restauration

Comment motiver les élèves du cycle professionnel à l’apprentissage du français ? de Daniel Professeur en FLE (et FOS) à l'École de l’hôtellerie et de la restauration Ter Groene...

Festival « Je sais faire en français »

  Andrea Šteflová, organisatrice du festival « Je sais faire en français », en République tchèque (Lycée Josef Bozek à Cesky Tesin) témoigne.   Devise Le français est comme la...

Introduire la chanson en classe de français

Pourquoi faire découvrir aux élèves la chanson francophone ? De plus en plus de professeurs de français souhaitent introduire la chanson dans leur salle de classe. Moyen...

Les couleurs de la classe, des techniques et des activités efficaces et motivantes

“Nous sommes des artistes, des créatrices de motivation. Chaque classe représente  le défi de faire naître les forces qui poussent à agir les apprenants, s’ils sont motivés, nous...

Former à l’enseignement précoce

Spécialistes de l’enseignement précoce du français, Hugues Denisot et Catherine Macquart-Martin ont organisé des formations spécifiques pour les enseignants qui travaillent avec...

Formation et renforcement des capacités des enseignants (Sénégal)

La littérature fait partie des arts qui ont très tôt rencontré Internet. Aujourd’hui, bon nombre d’internautes se rendent moins à la bibliothèque que dans les réseaux sociaux...

L’afrique dessinée

Entretien avec Christophe Ngalle Edimo, Président de l’association L’Afrique dessinée   Votre association regroupe douze membres actifs*, des dessinateurs et scénaristes...

L’hôtellerie et la restauration

Comment motiver les élèves du cycle professionnel à l’apprentissage du français ? de Daniel Professeur en FLE (et FOS) à l'École de l’hôtellerie et de la restauration Ter Groene...

« Messages de Pâques » Une expérience pédagogique eTwinning

Partage d’expérience pédagogique réalisée sur eTwinning  par 11 enseignants et une centaine d’apprenants de français langue étrangère de 9 pays différents. Chers...

Techniques journalistiques et création d’un webzine en classe de FLE

Entretien avec Frédéric Lauray-Quantin, enseignant de FLE à l'Alliance française de Taipei, Taïwan. Frédéric, pourriez-vous vous présenter et nous dire les fonctions que vous...

Motiver les apprenants par la compétition

Inspecteur pédagogique en Algérie, M. Thameur Brahimi propose d'utiliser la compétition pour motiver les élèves dans leur apprentissage du français.Il propose plusieurs activités...

Le jeu en classe de FLE

Entretien avec Haydée Silva, Docteur en littérature et civilisation françaises, professeur en didactique du FLE à l’Universidad Nacional Autónoma de México, et spécialiste du jeu...

Introduire la chanson en classe de français

Pourquoi faire découvrir aux élèves la chanson francophone ? De plus en plus de professeurs de français souhaitent introduire la chanson dans leur salle de classe. Moyen...

Le conte, un art de la transmission orale

Christian Tardif a été enseignant pendant 10 ans. Depuis 1992, il est également conteur, ce qui l'a amené à réfléchir autrement à la pédagogie de l'oral. Conteur et pédagogue,...

Les blogs, nouvel outil pour la classe

Entretien avec Barbara Juzwiak Dieu : un projet blog en classe de langue   Barbara Juzwiak Dieu enseigne l'anglais au lycée français de São Paulo (Brésil) où elle est...

Portraits francophones (2)

Paroles d'enseignants au congrès de la Commission Asie-Pacifique en 2010. Franc-parler était présent au dernier Congrès de la CAP (Commission Asie-Pacifique) de la FIPF qui s'est...

JAPON : échange culturel par correspondance avec le Niger

Pendant l'année scolaire 2016-2017, nous avons établi une correspondance avec une classe de jeunes au Niger. Nous avons envoyé les lettres depuis le Japon en juillet 2016 et...

Écrire à plusieurs grâce aux blogs

Jeux de langues, langues en jeu, un projet Netdays d’écriture collaborative, Gabriella VERNETTO Gabriella Vernetto est chargée de mission auprès de l’Inspection technique de la...

Techniques journalistiques et création d’un webzine en classe de FLE

Entretien avec Frédéric Lauray-Quantin, enseignant de FLE à l'Alliance française de Taipei, Taïwan. Frédéric, pourriez-vous vous présenter et nous dire les fonctions que vous...

Étonnants voyageurs angolais…

Les enseignants de français en Angola, décrivent leur pays tout en reprenant  le style des poètes français célèbres pour « Ecrire à la manière de… »   « Étonnants voyageurs !...

Le jeu en classe de FLE

Entretien avec Haydée Silva, Docteur en littérature et civilisation françaises, professeur en didactique du FLE à l’Universidad Nacional Autónoma de México, et spécialiste du jeu...

Techniques oratoires en FLE

Entretien avec Régine Dautry-Norguet (Docteur de l'université Paris V- Sorbonne) Régine, vous êtes formatrice de formateurs FLE/FOS, Docteur de l'université Paris V-Sorbonne,...