Comment évaluer les compétences linguistiques et mettre en place des dispositifs d’auto-évaluation avec le CECR ?
Le CECR et l’évaluation des compétences linguistiques
Synthèse de la conférence donnée par Christine Tagliante, responsable du Pôle évaluation et certifications au CIEP, en ouverture de l’atelier « Le CECR et l’évaluation des compétences linguistiques des élèves et des enseignants. Quels outils ? Quels résultats ? », lors du colloque 2007 de la FIPF.
C’est certainement dans le domaine de l’évaluation des langues que l’influence du Cadre européen a été la plus rapidement visible. Le CECR offre en effet la possibilité, pour l’ensemble des langues, de se référer aux mêmes six niveaux de compétence, présentant ainsi l’avantage de pouvoir comparer entre eux les résultats des évaluations. Comme le rappelait Christine Tagliante dans l’atelier « Le CECR et l’évaluation des compétences linguistiques des élèves et des enseignants » du dernier colloque de la FIPF, de nombreux tests de connaissance et certifications en français langue étrangère sont désormais calés sur le CECR. Le CIEP, chargé de l’organisation des examens institués par le ministère français de l’Éducation nationale pour évaluer l’enseignement du français langue étrangère, a ainsi conçu et calibré ces dernières années deux nouveaux diplômes – le Test de connaissance du français (TCF) et le Diplôme initiale de langue française (DILF) – sur les 6 niveaux du CECR. Le DELF et le DALF sont eux aussi harmonisés depuis 2005 sur les critères du Cadre. Outre l’évaluation sommative, le CECR a également permis, à l’échelle européenne et au-delà, l’harmonisation d’outils d’évaluation formative, à l’image des Portfolios européens des langues.
Si le CECR a permis la comparabilité des diplômes, favorisant notamment la mobilité professionnelle des citoyens, l’uniformisation des certifications n’est toutefois pas sans soulever quelques questions, abordées à l’occasion du même atelier. Ainsi, des enseignants de FLE en Afrique ont posé le problème de l’absence de contextualisation des diplômes du DELF et du DALF : conçus de façon centralisée au CIEP en France – de façon notamment à garantir l’équité des questions proposées aux étudiants des 150 pays concernés par les diplômes – certains items font en effet appel à des références culturelles françaises que les apprenants, en Afrique, ne comprennent pas toujours. Comment concilier ainsi la nécessaire uniformisation des diplômes avec une contextualisation de ces diplômes, qui permet de valoriser les différences culturelles ?
Les liens entre l’évaluation et la perspective actionnelle, préconisée par le Cadre, apparaîssent également comme problématiques. Selon Marie-Laure Lions-Olivieri, déléguée pédagogique auprès de l’éditeur espagnol Difusión, l’évaluation sommative des compétences en langues valorise encore trop peu l’approche actionnelle : alors que le CECR encourage le travail par tâches, la pédagogique de projets, le travail en équipe, etc., l’évaluation, dans les classes, continue trop souvent à porter sur « des savoirs et des acquis », des « connaissances décontextualisées », à prendre la forme d’exercices et de QCM, à solliciter des « tâches papier/crayon » et à favoriser le « chacun pour soi ». Certains enseignants déplorent également que le CECR reste flou sur l’évaluation des projets interdisciplinaires. Malgorzata Piotrowska, enseignante de FLE en Pologne, souligne ainsi la difficulté à évaluer, dans son établissement, les Itinéraires de découverte*. Les IDD, dans la mesure où ils font appel à des compétences de savoir-être et savoir-faire, permettent aux apprenants de mettre leurs savoirs au service les uns des autres, impliquent un travail en équipe, etc., sont des expériences largement valorisées par le Cadre. Le CECR apporte cependant peu d’outils pour aider les enseignants à évaluer leurs élèves sur ce type de projets.
Des articles à lire :
« Influence du cadre sur les programmes et les dispositifs d’évaluation« . Jean-Claude BEACCO. Le français dans le monde n° 336, novembre-décembre 2004. Évaluer l’impact du Cadre consiste, en premier lieu, à évaluer son influence sur l’enseignement des langues au niveau des programmes d’enseignement des langues, des certifications correspondantes, puis sur les pratiques de classe, dans leurs dimensions méthodologiques.
« L’évaluation et le Cadre européen commun de référence ». Christine TAGLIANTE. Le français dans le monde n° 344, mars-avril 2006. Le cadre européen de référence, bien qu’étant un outil essentiel aux professeurs de français langue étrangère, reste parfois assez obscur… Christine Tagliante, spécialiste des questions d’évaluation, ébauche ici une réflexion sur les apports et les limites de ce Cadre en ce qui concerne l’évaluation.
Le CECR et l’auto-évaluation
Les portfolios européens des langues
Qu’est-ce que c’est ?
Il s’agit d’un document dans lequel toute personne qui apprend ou a appris une langue – que ce soit à l’école ou en dehors – peut consigner ses connaissances linguistiques et ses expériences culturelles, ce qui peut l’inciter à réfléchir sur son apprentissage.
Enfants
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Collège
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Lycée
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Jeunes et adultes
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Deux buts principaux
– motiver les apprenants en reconnaissant leurs efforts pour étendre et diversifier leurs capacités langagières à tous les niveaux ;
– fournir un état des capacités langagières et culturelles qu’ils ont acquises (à consulter, par exemple, lorsqu’ils passent à un niveau supérieur d’apprentissage ou cherchent un emploi dans leur pays ou à l’étranger).
Trois parties
Le Passeport des langues :
Il donne une vue d’ensemble des capacités de l’apprenant en différentes langues à un moment donné. Cette vue d’ensemble est définie en termes de capacités (« Je peux… ») en relation avec les niveaux de compétence du Cadre. Le Passeport mentionne les certifications officielles et fait état des compétences langagières et d’expériences d’apprentissage linguistiques et interculturelles significatives.
Il réserve une place à l’auto-évaluation, à l’évaluation par des enseignants et des institutions scolaires, ainsi que par des organismes de certification. Il exige que soit mentionné explicitement sur quelle base, quand et par qui l’évaluation a été réalisée. Une grille lui permet de définir ses compétences linguistiques selon des critères reconnus dans tous les pays européens et de compléter ainsi les traditionnels certificats scolaires.
La Biographie langagière :
Elle englobe toutes les expériences faites dans les diverses langues parlées par l’apprenant. Cette partie est organisée de façon à favoriser l’implication de l’apprenant dans la planification de son apprentissage, dans la réflexion sur cet apprentissage et dans l’évaluation de ses progrès. Elle donne à l’apprenant l’occasion d’établir ce qu’il sait faire dans chaque langue et de mentionner les expériences culturelles vécues dans le contexte éducatif officiel ou en dehors de celui-ci. Elle est organisée en vue de la promotion du plurilinguisme (c’est-à-dire, le développement de compétences dans plusieurs langues).
Le dossier :
Il rassemble des travaux personnels attestant des performances atteintes et donne à l’apprenant la possibilité de sélectionner les matériaux qui lui serviront à documenter et à illustrer ses acquis ou les expériences mentionnées dans la Biographie langagière ou le Passeport.
En savoir plus :
– Sur le site du Conseil de l’Europe
Des tests d’auto-évaluation
Développé avec le soutien de la Commission européenne, Dialang est un outil logiciel simple et facile d’utilisation pour l’évaluation de son niveau en 14 langues étrangères : allemand, anglais, danois, espagnol, finnois, français, grec, irlandais, islandais, italien, néerlandais, norvégien, portugais, suédois. Dialang permet de tester ses connaissances en lecture, rédaction, écoute, grammaire et vocabulaire. Premier système majeur d’évaluation fondé sur le Cadre européen, Dialang peut être téléchargé gratuitement. Spécifiquement dédié au français, le site Lexique FLE propose un test à réaliser en ligne ou à télécharger pour les élèves débutants de FLE.
Quelles répercussions sur les tests et diplômes de FLE ?
Exemple de la Basse-Autriche : avec le DELF scolaire, le CECR devient plus concret aux yeux des enseignants, des apprenants et des parents
Synthèse de la présentation du « Projet pilote en Basse-Autriche » proposée par Michel Mareschal lors de l’atelier « Le CECR, un instrument pour bâtir les programmes officiels ? Comment ? Pourquoi ? Avec quelles limites ? »
Si officiellement le ministère autrichien de l’Éducation a introduit le CECR dans les programmes de langues vivantes, cette adoption a eu peu de répercussions. De manière générale, le Cadre est présent dans les esprits des acteurs de l’éducation, mais les pratiques ne traduisent pas encore concrètement la prise en compte de ce nouvel outil. En Basse-Autriche, où les enseignants trouvent comme ailleurs que le CECR est difficile à appréhender et à mettre en œuvre dans sa globalité, c’est grâce au DELF scolaire qu’il est entré dans les mœurs pédagogiques.
Ce projet pilote se propose de faire passer le DELF scolaire aux élèves volontaires. Ainsi, les concepts du Cadre tels que les niveaux, les descripteurs ou les compétences sont devenus plus accessibles aux yeux des professeurs… mais aussi des apprenants et des parents, dont le retour a été très positif aux dires de Michel Mareschal. Les participants à ce projet ont en outre apprécié la lisibilité des critères d’évaluation, la transparence des résultats et le caractère international du diplôme.
Le CECR et le nouveau bac de langues en Slovaquie
Une contribution de Jana Bírová, qui prépare un PHD à l’université Constantin le Philosophe, à Nitra, en Slovaquie.
Avec l’entrée de la Slovaquie dans l’Union européenne en 2004, les responsables des politiques linguistiques dans le pays ont mis en œuvre avec succès la réforme en éducation qu’ils préparaient depuis cinq ans. C’est en 1999, en effet, qu’une équipe de spécialistes du ministère de l’Éducation et de l’Institut national de pédagogie (INP), en collaboration avec les enseignants des lycées et des écoles secondaires, a commencé à se réunir afin de réfléchir à la conception d’un nouveau modèle du baccalauréat. Les besoins et les caractéristiques de ce nouveau modèle sont notamment traités dans deux documents pédagogiques majeurs : le catalogue de demandes finales (CDF), d’abord, qui s’inspire du second document : le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR)**.
Les buts de la réforme
La réforme du baccalauréat s’est donnée comme premier objectif d’unifier et de comparer le contenu enseigné et les niveaux des apprenants dans les différents établissements scolaires du pays. Le second objectif consistait à donner au diplôme une plus grande valeur sur le plan européen : en calant le baccalauréat sur le CECR, la Slovaquie offre aux différents États de l’Union européenne la possibilité de mesurer la valeur de son diplôme national.
La documentation pédagogique : CECR et CDF
Le catalogue des demandes finales (CDF) détermine les niveaux qui peuvent être atteints par les élèves en fin d’études au lycée ou dans les écoles secondaires : niveau A (B2 du CECR), B (B1 du CECR) et C (A2 du CECR). Les lycéens de terminale qui souhaitent continuer leurs études de FLE choisissent l’épreuve de niveau A (ils ont suivi, pendant quatre ans, au moins 12 heures de cours de français par semaine). Le niveau B, plus facile, est réservé au reste des élèves. Le niveau C ne concerne pas le lycée mais seulement les classes inférieures.
Le CDF propose une vingtaine de thèmes, liés à la vie quotidienne, pouvant être traités avec les élèves***. Les thèmes se composent de plusieurs sous-thèmes : celui des relations humaines, par exemple, est divisé en a) les relations humaines : à l’école, dans la famille, avec les voisins, de génération ; b) amitié et amour : système des valeurs, attitudes, rencontres, fêtes ; c) problèmes sociaux : relations entre l’individuel, la société et les handicapés, les dépendants, les sans domicile fixe ; d) phénomènes négatifs : agressivité, vandalisme, égoïsme, indifférence ; e) possibilités de résolution de problèmes et de conflits. Le CDF analyse également de façon détaillée les compétences générales interculturelles ainsi que les compétences communicatives (linguistique, sociolinguistique, pragmatique).
Le document n’aborde par contre à aucun moment les spécificités des langues enseignées. L’INP n’a ainsi pas tenu compte du degré de difficulté structurale des différentes langues. Les structures grammaticales en FLE, par exemple, qui, avant d’être produites de façon fluide par un élève, doivent être longuement pratiquées et automatisées, ne peuvent en aucune façon être comparées avec celles de l’anglais (ALE). Cette uniformité dans le traitement des langues se traduit dans le volume horaire accordé à leur enseignement, qui est identique pour toutes les langues. Pendant que les lycéens d’ALE s’entraînent à une communication libre, les apprenants de FLE en sont donc encore à automatiser les formes ou les structures grammaticales. Cela a pour conséquence de meilleures compétences de communication des apprenants d’anglais.
En ce qui concerne les compétences communicatives, les spécialistes ont également appliqué l’uniformité et l’homogénéité du CECR dans le CDF pour toutes les langues. Par exemple, la compétence pragmatique, qui est la plus caractéristique pour une communication authentique et qui est différente dans chaque langue, n’a pas été décrite de façon détaillée ni adaptée selon les besoins des différentes langues****.
Le CDF propose ensuite un classement des habiletés langagières (compréhension orale, compréhension écrite, production écrite, production orale) et des moyens linguistiques (phonétique et phonologie, grammaire, lexique), la partie grammaire étant la seule qui fait l’objet d’un traitement détaillé.
Ce document pédagogique s’avère donc décisif pour le choix du manuel et la préparation des lycéens au baccalauréat de FLE.
Analyse
Il est évident que la réforme constitue pour l’enseignement des langues étrangères (l’anglais, l’allemand, le français, l’espagnol, l’italien) en Slovaquie un succès incontestable. Elle emporte l’adhésion des professeurs et des élèves qui s’habituent aux nouveautés qu’elle implique. Malgré tout l’effort qui a été produit du côté des enseignants, lycéens, élèves mais aussi des experts, il serait cependant bon de ne pas perdre de vue la documentation de laquelle découle cette réforme. Nous avons mentionné précédemment que le CDF s’inspirait du CECR et que les compétences communicatives étaient, dans ce catalogue, ponctuellement analysées. C’est grâce à ces compétences que l’on peut atteindre l’objectif principal de l’enseignement d’une LE : la communication (voir l’annexe). Pourtant, le baccalauréat n’en est pas le reflet.
L’approche communicative, qui s’oppose à la méthode audio-orale dans tous ses principes, techniques et aspects, est porteuse de plusieurs idées parmi lesquelles celle de l’enseignement (mais également de l’évaluation) des fonctions langagières nous paraît la plus importante. Examinons le test distribué aux étudiants. La grammaire et le vocabulaire y sont omniprésents. Le mot « test » lui-même est en contradiction avec la technique communicative puisqu’il n’évalue que la connaisance et la compréhesion. Dans le test, le lycéen est amené à choisir ; soit il répond correctement, soit il se trompe. Oui ou non, jamais la moitié, jamais une communication, un malentendu réel qui pourrait être éclairé. Pour des raisons d’objectivité et de valorisation des « connaissances : points », les élèves sont donc évalués, dans le test, sur les connaissances et la compréhension.
La seule tâche au cours de laquelle l’élève peut prouver sa compétence sociolinguistique et pragmatique est celle du jeu de rôles. La taxonomie de Bloom (ou sa forme révisée) qui est utilisée depuis des années dans l’enseignement général et sur laquelle nous devrions nous appuyer pour construire (et évaluer) nos cours de LE n’est réellement utilisée que dans ses deux degrés inférieurs : 1. et 2.
Taxonomie de Bloom révisée
1. Connaissance
2. Compréhension
3. Application
4. Analyse
5. Évaluation
6. Création
À aucun moment l’élève ne peut démontrer ses compétences évaluatrices ou créatrices dans la communication en langue cible ou, s’il le peut, il le fait de façon trop limitée.
Le plus dommageable est que les enseignants, dans l’enseignement secondaire, sont bien entendu contraints de préparer leurs étudiants à l’examen décisif. Pour eux, il ne s’agit de suivre ni CECR ni CDF mais bien la structure ou la forme de l’examen final. Ils ont à peine le temps de mener des activités d’évaluation ou de création : ils essaient de préparer les lycéens au baccalauréat. Ils ne disposent en effet pas de moyens qui leur permettraient de pratiquer les compétences communicatives.
Conclusion
Il apparaît évident que la Slovaquie a fait un premier pas vers une conceptualisation et une harmonisation dans l’apprentissage et l’enseignement des langues étrangères, qui constituaient les objectifs principaux de la réforme : l’unification du système des plans pédagogiques, des programmes et cursus, et celui de la validation des élèves. Une question néanmoins reste posée : l’objectif qui consiste à évaluer le vrai degré de qualité et des compétences acquises est-il également atteint ? Il est nécessaire de veiller à ne pas négliger la visée principale de l’enseignement de LE : développer la compétence communicative et non la connaissance de la langue.
En savoir plus :
Manuel pour relier les examens de langues au Cadre européen commun de référence pour les langues : Apprendre, enseigner, évaluer. Ce manuel a pour principal objectif d’aider les concepteurs d’examens à mettre en œuvre des démarches transparentes et concrètes pour situer leurs examens par rapport au CECR, à les appliquer et à en rendre compte dans un processus cumulatif de perfectionnement continu.
Notes
* Les Itinéraires de découverte (IDD) sont des projets interdisciplinaires appelés aussi Voie de traverse, Parcours diversifiés ou encore Sentiers éducatifs.
** Version slovaque (Bratislava, 2006) : Spolocný európsky referencný rámec pre jazyky (SERR).
*** Relations familiales, Culture et arts, Activités physiques, Habitation, Commerce et services, Santé et soins médicaux, Tourisme, Éducation, Emploi, Relations humaines, L’homme et la nature, La science et la technologie, L’homme dans la société, Communication et ses formes, Médias, Les jeunes, La restauration, Les loisirs, La société multiculturelle, Les villes et les lieux, La mode et les tenues vestimentaires, Le livre, l’ami de l’homme, Idole et idéal, Le pays dont j’apprends la langue, Slovaquie, ma patrie.
**** La méthode pour faire un exposé (construire un monologue) en FLE est complètement différente de celle utilisée en anglais ou même en slovaque (langue maternelle). De même, les stratégies pour commencer ou finir un dialogue dans la langue cible se distinguent également des stratégies maternelles. Les formules de politesse et les niveaux et les registres de langue, les actes de parole ne sont pas non plus inclus dans le CDF.