ressources


Accueil > Sommaire des dossiers > Le mur du son

L'importance de la prononciation
dans l'apprentissage d'une langue étrangère

Bernard Dufeu

page précédente > page suivante

Le déplacement des priorités de l'enseignement


"Le message avant de signifier quelque chose signifie pour quelqu'un."

(Jacques Lacan, Écrits)

Dans l’évolution de l’enseignement des langues on voit se dessiner le passage d’une pédagogie de l’avoir, dont le but essentiel est de transmettre des savoirs à des apprenants, à une pédagogie de l’être orientée vers les participants et le groupe, la langue étant acquise en conservant sa fonction de moyen de relation et de communication entre les participants (6). Cette pédagogie de l’être n’est pas seulement une pédagogie de l’action, mais est par essence une pédagogie de la relation (7) qui favorise la rencontre entre les participants à travers la langue étrangère, les informations transmises par l’intonation prennent donc une importance particulière dans cette évolution d’une pédagogie du "Quoi" à une pédagogie du "Qui".

"Le comment confère sa signification au quoi."

Ce changement d’orientation entraîne un changement d'approche de la langue étrangère et un déplacement des priorités. Il conduit à considérer le "comment" de l’énoncé, c’est-à-dire la manière dont il est prononcé, qui transporte la signification du message, comme aussi important que le "quoi", la forme linguistique qui véhicule le sens du message. Une attention particulière est donc accordée aux aspects prosodiques de la langue étrangère, car ils peuvent exprimer avec les éléments paraverbaux la participation personnelle du locuteur au message, le type de relation qu’il entretient avec son interlocuteur, son attitude générale par rapport à ce message et l’importance qu’il lui accorde, ses intentions de communication (pourquoi et à quelle fin il communique à quelqu’un), le contexte affectif de la rencontre, l’atmosphère de la situation dans laquelle l’échange verbal se situe… Ils constituent une infrastructure sonore qui reflète la relation entre les locuteurs.

Le changement de statut des participants

Alors que dans l’enseignement conventionnel les membres du groupe sont réduits à un statut d’apprenants, car ils sont chargés d’apprendre les contenus d’un programme déterminé par des personnes extérieures au groupe en fonction de critères plus ou moins étrangers aux personnes en présence (8), dans une pédagogie de la relation ils deviennent participants, c’est-à-dire qu’ils participent directement au processus de communication et d’apprentissage en tant que personnes, ils participent également à la vie du groupe en tant que membres du groupe. C’est en tant que sujets qu’ils expriment leurs désirs, leurs besoins, leurs impressions, leurs sensations, leurs sentiments, leurs pensées et leurs intérêts sur un plan réel ou imaginaire. Ils sont considérés comme des individus, qui portent la coresponsabilité de leur expression dans le processus d’acquisition. Ils déterminent les contenus des échanges dans le cadre de l’activité qui leur est proposée, c’est avec leur sensibilité qu’ils donnent vie à leurs énoncés. Il y a unité possible entre les locuteurs et leur parole, entre ce qu’ils disent et ce qu’ils veulent exprimer. L’intonation prend donc toute son importance dans la transmission du message, car elle traduit de manière sonore la subjectivité des participants. La communication n’est pas formelle ou réduite à un échange de formules neutralisées ou aseptisées pour des raisons didactiques, comme on peut souvent l’observer dans les dialogues de manuels conventionnels où les locuteurs sont interchangeables à merci (9).

Le changement de fonction de la langue étrangère


"[...] où la saveur des choses est déjà dans les mots"

(Yves Duteil, La langue de chez nous)

Dans un enseignement orienté vers les participants et le groupe la langue étrangère devient moyen de communication entre les participants, elle n’est plus seulement objet d’enseignement et objectif de l’apprentissage. La langue n’est plus essentiellement apprise, mais vécue et acquise en action et en relation. Nous passons d’une langue fonctionnelle à une langue relationnelle dans laquelle les mots deviennent paroles et sont porteurs d’une signification pour les locuteurs. Plus la langue remplit sa fonction expressive, communicative et symbolique, plus l’importance de la signification du message apparaît. L’intonation joue dans cette approche de la langue un rôle essentiel, car elle donne vie et résonance à la langue. Elle exprime le contenu émotionnel du message, sa coloration subjective, ses connotations. Elle permet de ne pas rester à la surface des mots, elle leur confère leur poids et leur portée.

> page suivante

Notes

6. Cf. Bernard Dufeu, 1982 : "Vers une pédagogie de l'être : la pédagogie relationnelle", Die Neueren Sprachen, Band 81, 3, 267-289.

7. Cf. Bernard Dufeu (1983): "La psychodramaturgie linguistique ou l'apprentissage des langues par le vécu", Le français dans le monde 175, février-mars, 36-44. Bernard Dufeu (1999) : "Les hypothèses fondamentales de la psychodramaturgie linguistique", Le français dans le monde, Recherche et application, janvier, 112-133

8. Ces critères sont pédagogiques mais aussi commerciaux, car pour une maison d’édition un bon livre n’est pas seulement un livre qui correspond aux exigences didactiques du moment, mais aussi un livre qui se vend bien, d’où le choix par les lecteurs des maisons d'édition d’auteurs qui correspondent à leurs attentes, d’où aussi leur intervention dans la construction du manuel par exemple en fonction d’une "étude de marché". Pour qu’un livre se vende bien, il doit s’adresser au niveau de formation moyen (et même un peu en dessous) des enseignants.

9. Qui parle à qui a peu d’importance, c’est le quoi qui domine.

Première publication : 07/04/08 - Mise à jour : 05/05/11

© Franc-parler.org : un site de
l'Organisation internationale de la Francophonie