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Dossier artComparer des œuvres et des textes





Au carrefour des arts, il est des œuvres où les parfums, les couleurs et les sons se répondent. C’est en particulier dans la peinture et dans la littérature que ces correspondances s’établissent. Voici des exemples de tableaux et de textes à mettre en rapport. Le va-et-vient d’un support à l’autre enrichit le regard et nourrit l’analyse.

Diderot et le portrait

En 1767, le peintre français Louis Michel Van Loo (1707.1771) exécute le portrait de Denis Diderot. La même année, dans son Salon, l’écrivain et philosophe commente l’image que rend de lui le peintre : "J’aime Michel, mais j’aime encore mieux la vérité"… Cette formule habile rend compte de la difficulté d’exécuter un portrait. Qu’est-ce qu’un portrait ressemblant ? Est-ce la représentation objective du modèle (si tant est que cela soit possible !) ou bien correspond-il à l’idée que le portraituré (ou d’autres) se fait de lui-même ?

Denis Diderot, écrivain, Louis-Michel Van Loo, 1767, huile sur toile, musée du Louvre

"Moi, j’aime Michel, mais j’aime encore mieux la vérité. Assez ressemblant ; très vivant ; c’est sa douceur, avec sa vivacité ; mais trop jeune, tête trop petite, joli comme une femme, lorgnant, souriant, mignard, faisant le petit bec, la bouche en cœur ; et puis un luxe de vêtement à ruiner le pauvre littérateur, si le receveur de la capitation vient l’imposer sur sa robe de chambre. L’écritoire, les livres, les accessoires aussi bien qu’il est possible, quand on a voulu la couleur brillante et qu’on veut être harmonieux. Pétillant de près, vigoureux de loin, surtout les chairs. Du reste, de belles mains bien modelées, excepté la gauche qui n’est pas dessinée. On le voit de face ; il a la tête nue ; son toupet gris, avec sa mignardise, lui donne l’air d’une vieille coquette qui fait encore l’aimable ; la position d’un secrétaire d’Etat et non d’un philosophe. La fausseté du premier mouvement a influé sur tout le reste. C’est cette folle de Madame Van Loo qui venait jaser avec lui, tandis qu’on le peignait, qui lui a donné cet air-là et qui a tout gâté. [...] Il fallait le laisser seul et l’abandonner à sa rêverie. Alors sa bouche se serait entrouverte, ses regards distraits se seraient portés au loin, le travail de sa tête fortement occupée se serait peint sur son visage, et Michel eût fait une belle chose. Mon joli philosophe, vous me serez un témoignage précieux de l’amitié d’un artiste, excellent artiste, plus excellent homme. Mais que diront mes petits-enfants, lorsqu’ils viendront à comparer mes tristes ouvrages avec ce riant, mignon, efféminé, vieux coquet-là ! Mes enfants, je vous préviens que ce n’est pas moi. J’avais en une journée cent physionomies diverses, selon la chose dont j’étais affecté. J’étais serein, triste, rêveur, tendre, violent, passionné, enthousiaste ; mais je ne fus jamais tel que vous me voyez là. J’avais un grand front, des yeux très vifs, d’assez grands traits, la tête tout à fait du caractère d’un ancien orateur, une bonhomie qui touchait de bien près à la bêtise, à la rusticité des anciens temps." Salon de 1767 (Source)

Les Salons

En 1759, à la demande de Melchior Grimm, Diderot rend compte pour la Correspondance littéraire des œuvres exposées au Salon de peinture de l'Académie royale de peinture et de sculpture. Pris au jeu et convaincu de la fonction morale de l'art et du développement du goût, il rédigera en tout neuf Salons de 1759 à 1781. Le développement de ses connaissances techniques enrichira progressivement la teneur de ces comptes rendus. Ces Salons restèrent confidentiels de son vivant car le ton très libre de sa critique ne permettait pas qu'ils fussent publiés. Aujourd'hui cependant l'importance de ces écrits est largement reconnue et Diderot est considéré comme pionnier de la critique d'art. (Source)

L’écriture des Salons est l’occasion pour Diderot d’une expérience intime de l’image : il ne se contente pas de décrire, de plus en plus précisément, les tableaux. Il restitue l’idée même de la composition, il manipule, réforme, juge cette idée en amont de la représentation à laquelle elle a donné lieu : indépendamment même de son titre, quel est le sujet réel du tableau ?, le peintre l’a-t-il bien représenté ?, l’a-t-il bien choisi et conçu ? Le jugement de la peinture ne sera donc pas seulement, pas principalement un jugement technique, une évaluation du "faire" (qualité et agencement des couleurs, proportions des corps, finitions des pieds et des mains, rendu des tissus). Le peintre est d’abord un intellectuel, un philosophe qui manipule des idées. Ce qui compte, au-delà du "faire", c’est "l’idéal", c’est-à-dire tout ce qui dans la représentation relève de l’idée : l’invention du sujet ; dans le sujet, donc dans l’histoire qu’il raconte, la sélection d’un moment à peindre ; et pour représenter ce moment, la disposition des personnages, le choix des accessoires, la tonalité d’ensemble de la scène. (Source)

Les artistes aux Folies Bergère

Le peintre Edouard Manet, les écrivains Guy de Maupassant et Émile Zola ont fait le portrait du milieu des demi-mondaines de la fin du XIXe siècle. L’étude et la comparaison d’œuvres telles que les tableaux Un Bar aux Folies Bergère (Courtauld Institute Galleries, Londres), Nana (Hamburger Kunsthalle, Hamburg) et les romans Bel Ami et Nana permettent de l’appréhender sous des formes diverses et complémentaires.

Edouard MANET
Nana, 1877
© Hamburger Kunsthalle, Hamburg

Jacques Joubert, professeur de lettres, est l’auteur de la fiche pédagogique "Les Folies Bergère - De Manet à Maupassant". Dans la perspective de comparer ces deux œuvres, il y propose l’analyse fouillée du tableau de Manet Un Bar aux Folies Bergère ainsi que l’étude approfondie de l’extrait du roman Bel Ami de Maupassant se passant aux Folies Bergère.

Ce travail est destiné à des lycéens français dans le cadre d’un cours de lettres mais les activités d’analyse proposées par Jacques Joubert pourraient rencontrer les attentes d’un professeur de français souhaitant diversifier ses cours et ses supports. Pour un public d’apprenants de niveau B1 minimum, l’étude comparée du tableau de Manet et d’un extrait du roman de Maupassant remplit des objectifs linguistiques et culturels et pourrait même donner lieu à des activités transdisciplinaires en collaboration avec les enseignants d’histoire et d’art.

Libre à vous de sélectionner dans cette fiche les activités les plus pertinentes pour votre classe, et d’en adapter ou non les contenus. La trame définie par Jacques Joubert est la suivante :

  • l’étude démarre par l’observation et la description d’Un Bar aux Folies Bergère, qui débouchent sur la définition des composantes plastiques et graphiques de cette œuvre. Il est notamment question de sa composition, des cadres mis en place par le peintre, de la lumière, des couleurs, des axes et de l’énigmatique point de vue porté sur ce bar ;
  • des pistes sont ensuite proposées aux élèves pour qu’ils effectuent une recherche documentaire sur Manet et les Folies Bergère ;
  • cette séance permet de resituer Les Folies Bergère chez Manet et dans l’histoire ;
  • basée sur l’analyse réalisée au cours de la première séance, ce travail conduit les élèves à passer de l’analyse du tableau à son interprétation ;
  • enfin, la dernière séance est consacrée à l’analyse de l’extrait de Bel Ami évoquant les Folies Bergère et donne des éléments permettant de comparer le texte et l’œuvre.

"La scène, contrairement aux apparences, n’a pas été peinte au bar des Folies Bergère mais a été entièrement recréée en atelier. La jeune femme servant de modèle, Suzon, est en revanche une véritable employée de ce célèbre café-concert. Les nombreux éléments présents sur le marbre du bar, qu’il s’agisse des bouteilles d’alcool, des fleurs ou des fruits, forment un ensemble pyramidal allant trouver son sommet, non sans malice, dans les fleurs qui ornent le corsage de la serveuse elle-même. Mais l’aspect ayant le plus retenu l’attention des critiques a été le reflet de Suzon dans le miroir. Ce dernier ne semble pas renvoyer une image exacte de la scène, tant en ce qui concerne la posture de la jeune femme que la présence de l’homme en face d’elle, si rapproché qu’il devrait logiquement tout cacher aux yeux du spectateur. Il est difficile de conclure si cette anomalie est le fruit de la volonté de l’artiste ou une simple erreur d’appréciation." (Source)

Guy de Maupassant (1850-1893), Bel-Ami (1885)

Bel-Ami est un roman réaliste de Guy de Maupassant publié en 1885 sous forme de feuilleton dans Gil Blas. L’action se déroule à Paris au XIXe siècle, en pleine Révolution industrielle. Ce roman retrace l’ascension sociale de Georges Duroy, un homme ambitieux et séducteur employé au bureau des chemins de fer du Nord qui parvient au sommet de la pyramide sociale parisienne grâce au journalisme et à ses maîtresses. (Source)

"Duroy, perplexe, ne savait que dire ; enfin, il se décida : "Je ne connais pas les Folies-Bergère. J'y ferais volontiers un tour."

Son compagnon s'écria : "Les Folies-Bergère, bigre ? Nous y cuirons comme dans une rôtissoire. Enfin, soit, c'est toujours drôle."

Et ils pivotèrent sur leurs talons pour gagner la rue du Faubourg-Montmartre.

La façade illuminée de l'établissement jetait une grande lueur dans les quatre rues qui se joignent devant elle. Une file de fiacres attendait la sortie.

Forestier entrait, Duroy l'arrêta : "Nous oublions de passer au guichet."

L'autre répondit d'un ton important : "Avec moi on ne paie pas."

Quand il s'approcha du contrôle, les trois contrôleurs le saluèrent. Celui du milieu lui tendit la main. Le journaliste demanda : "Avez-vous une bonne loge ?

- Mais certainement, monsieur Forestier."

Il prit le coupon qu'on lui tendait, poussa la porte matelassée, à battants garnis de cuir, et ils se trouvèrent dans la salle.

Une vapeur de tabac voilait un peu, comme un très fin brouillard, les parties lointaines, la scène et l'autre côté du théâtre. Et s'élevant sans cesse, en minces filets blanchâtres, de tous les cigares et de toutes les cigarettes que fumaient tous ces gens, cette brume légère montait toujours, s'accumulait au plafond, et formait, sous le large dôme, autour du lustre, au-dessus de la galerie du premier chargée de spectateurs, un ciel ennuagé de fumée.

Dans le vaste corridor d'entrée qui mène à la promenade circulaire, où rôde la tribu parée des filles, mêlée à la foule sombre des hommes, un groupe de femmes attendait les arrivants devant un des trois comptoirs où trônaient, fardées et défraîchies, trois marchandes de boissons et d'amour.

Les hautes glaces, derrière elles, reflétaient leurs dos et les visages des passants.

Forestier ouvrait les groupes, avançait vite, en homme qui a droit à la considération.

Il s'approcha d'une ouvreuse.

"La loge dix-sept ? dit-il.
- Par ici, monsieur."

Et on les enferma dans une petite boîte en bois, découverte, tapissée de rouge, et qui contenait quatre chaises de même couleur, si rapprochées qu'on pouvait à peine se glisser entre elles. Les deux amis s'assirent : et, à droite comme à gauche, suivant une longue ligne arrondie aboutissant à la scène par les deux bouts, une suite de cases semblables contenait des gens assis également et dont on ne voyait que la tête et la poitrine.

Sur la scène, trois jeunes hommes en maillot collant, un grand, un moyen, un petit, faisaient, tour à tour, des exercices sur un trapèze." (Source)

Edouard Manet (1832-1883) - Nana (1877)

Ce tableau d’une courtisane faisant sa toilette sous le regard d’un homme en redingote et chapeau claque fut rejeté à l’unanimité par le jury du Salon de Paris. Il a néanmoins été exposé dans la vitrine de la maison Giroux, où le vit l’écrivain Joris-Karl Huysmans, qui livre à son propos le 13 mai 1877 dans L'Artiste un article enlevé.

Une fiche publiée sur le site de l’Académie de Lille met en regard ce tableau avec Jeune femme se poudrant du peintre Seurat ainsi que les textes de Zola et de Maupassant Nana, Boule de suif et Mademoiselle Fifi.

Émile Zola (1840-1902) - Nana (1880)

Fille de Gervaise et Coupeau (L'Assommoir), Nana vend ses charmes pour subsister. Son ascension commence avec un rôle de Vénus, interprété dans un théâtre parisien. Entre passion et violence, ce roman conte les splendeurs et misères d’une courtisane sous le Second Empire.

Dans le chapitre V, Nana joue la "Blonde Vénus" et reçoit dans sa loge entre deux actes le prince d’Ecosse, le marquis de Chouard et le comte Muffat.

"Le prince prit place sur le divan, avec le marquis de Chouard. Seul le comte Muffat demeurait debout. Les deux verres de champagne, dans cette chaleur suffocante, avaient augmenté leur ivresse. Satin, en voyant les messieurs s'enfermer avec son amie, avait cru discret de disparaître derrière le rideau ; et elle attendait là, sur une malle, embêtée de poser, pendant que madame Jules allait et venait tranquillement, sans un mot, sans un regard.

- Vous avez merveilleusement chanté votre ronde, dit le prince.

Alors, la conversation s'établit, mais par courtes phrases, coupées de silences. Nana ne pouvait toujours répondre.

Après s’être passé du cold-cream avec la main sur les bras et sur la figure, elle étalait le blanc gras, à l’aide d’un coin de serviette. Un instant, elle cessa de se regarder dans la glace, elle sourit en glissant un regard vers le prince, sans lâcher le blanc gras.

- Son Altesse me gâte, murmura-t-elle.

C’était toute une besogne compliquée, que le marquis de Chouard suivait d’un air de jouissance béate. Il parla à son tour.

- L’orchestre, dit-il, ne pourrait-il pas vous accompagner plus en sourdine ? Il couvre votre voix, c’est un crime impardonnable.

Cette fois, Nana ne se retourna point. Elle avait pris la patte de lièvre, elle la promenait légèrement, très attentive, si cambrée au-dessus de la toi-lette, que la rondeur blanche de son pantalon saillait et se tendait, avec le petit bout de chemise. Mais elle voulut se montrer sensible au compliment du vieillard, elle s’agita en balançant les hanches.

Un silence régna. Madame Jules avait remarqué une déchirure à la jambe droite du pantalon. Elle prit une épingle sur son coeur, elle resta un moment par terre, à genoux, occupée autour de la cuisse de Nana, pendant que la jeune femme, sans paraître la savoir là, se couvrait de poudre de riz, en évitant soigneusement d'en mettre sur les pommettes. Mais, comme le prince disait que, si elle venait chanter à Londres, toute l'Angleterre voudrait l'applaudir, elle eut un rire aimable, elle se tourna une seconde, la joue gauche très blanche, au milieu d'un nuage de poudre. Puis, elle devint subitement sérieuse ; il s'agissait de mettre le rouge. De nouveau, le visage près de la glace, elle trempait son doigt dans un pot, elle appliquait le rouge sous les yeux, l'étalait doucement, jusqu'à la tempe. Ces messieurs se taisaient, respectueux." (Source)

Rédaction : Elodie Ressouches, en collaboration avec Magali Simon, musée du Louvre
Première publication : 14/12/07 - Mise à jour : 14/12/07

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