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Réussir ses études à l'ENPEI

Abdelkrim Kaaboub

Le présent travail se propose de décrire une expérience menée à l’ENPEI de Rouiba par des enseignants qui tentent d’aider leurs étudiants à mieux suivre les cours de spécialité. À l’ENPEI, répondre à ce besoin est une urgence. Les étudiants de cette école ont fait leurs études primaires et secondaires en langue arabe. Cependant pour un ensemble de raisons historiques et techniques, le vecteur de l’enseignement supérieur reste, pour l’essentiel, en français. Il apparaît donc de plus en plus nécessaire d’amener ces étudiants à développer des savoir-faire et des stratégies efficaces en lecture et production écrite notamment.

Un enseignement dépassé

Enseignants, parents, universitaires se plaignent du niveau des étudiants à l’université. L’examen du cursus peut expliquer cet état de fait aisément.

Qu’était l’enseignement à l’Indépendance ? Il a fait sien les slogans du socialisme : démocratisation, égalité des chances pour tous, uniformisation des méthodes, des programmes, des contenus. L’apprenant était censé être le même du nord au sud, de l’est à l’ouest. Les mêmes éléments étaient enseignés dans toute l’Algérie suivant les mêmes méthodes. La personnalité des apprenants était ignorée. Il y avait centration sur des objectifs linguistiques quelquefois communicatifs mais pas sur l’apprenant. L’élève était une espèce de soldat du socialisme.

L’enseignement du FLE en Algérie impose un manuel unique, dépassé. L’enseignant n’a aucune référence en dehors du manuel (pas de document authentique, ni écrit, ni oral). Ce manuel impose des exercices et des simulations coupées des réalités d’utilisation du FLE.

Les programmes, les contenus et les méthodes uniformes supposent des enseignants et des publics uniformes. La pédagogie du modèle laisse donc peu de place à l’initiative de l’enseignant, à la créativité des élèves et des maîtres.

Les exercices offerts par les manuels sont des exercices de calque, de reproduction, de reconstitution… Ils sont évidemment nécessaires mais pas suffisants car ils n’entraînent pas à la communication véritable.

Cet enseignement n’est en somme que l’application de théories didactiques. Les étudiants formés par ce type d’enseignement ont au plan des performances un niveau de langue médiocre. Au niveau des compétences, ils restent dépendants puisqu’ils sont incapables d’analyser, de synthétiser, de prendre des initiatives dans leurs apprentissages.

Les pratiques pédagogiques de l’école algérienne sont, comme on le voit, dépassées compte tenu des nouveaux impératifs économiques et socioculturels. Elles doivent être autres.

Ce que devrait être l’enseignement aujourd’hui

À notre humble avis, il doit s’adapter et composer avec le paysage sociopolitique du moment pour être crédible. Aujourd’hui, l’ouverture vers l’économie de marché impose au système d’enseignement d’autres valeurs, d’autres principes : adaptation, efficacité, compétitivité, prise en compte de la psychologie des apprenants, respect des différences entre les apprenants, différences au niveau des rythmes et des styles d’apprentissage, prise en charge des lacunes, des besoins. L’enseignement doit être personnalisé et l’école doit fonctionner comme une entreprise de prestation de services.

Une entreprise prestataire de services reçoit une commande ponctuelle. Elle étudie le projet, fait l’inventaire des contraintes et des ressources, établit un devis, met en place des stratégies appropriées, répond aux besoins spécifiques du terrain.

Ainsi, l’enseignant face à des apprenants, doit élaborer et faire des tests pour déterminer les lacunes, les besoins. À partir de cette analyse des besoins et en fonction du profil, il met en place un programme qui tienne compte des contraintes et des spécificités des apprenants et qui permette à ces derniers d’atteindre les objectifs fixés. L’enseignant met en œuvre ce programme, en évalue l’application et y apporte les correctifs nécessaires. C’est cet esprit qui a animé les enseignants du département de français de l’ENPEI.

L’expérience de l'ENPEI

Au sein de l’ENPEI, des enseignements en français sont dispensés. Ce qui fait problème pour des étudiants ayant suivi leurs études primaires et secondaires en arabe.

Nous, enseignants de français, devrons leur faciliter la communication orale et écrite c'est-à-dire leur permettre d’accéder à un certain nombre de connaissances par l’intermédiaire du français, dans le domaine d’étude qui est le leur.

Pour la tutelle, répondre à ce besoin est une urgence, dans une école à dominante essentiellement scientifique et technique. La méthode mise en place permet aux étudiants à l’issue de la première année, d’être en mesure de consulter des ouvrages et autres publications en langue française, d’assister à des cours et conférences tenues en cette langue, d’assurer dans de bonnes conditions les tâches qui leur sont assignées.

Cette méthode a été conçue et mise en place par des enseignants de l’ENPEI sous la direction de Madeleine Rolle-Boumlic. (Lire son article)

Pourquoi le français à l’ENPEI ?

Qui sont ces étudiants ?

Des non-francophones veulent (encore) apprendre le français pour pouvoir suivre sans difficultés leurs études de spécialité dont la langue d’enseignement n’est autre que le français. Ils ont un capital de mille heures de français langue étrangère avant de décrocher le billet pour l’université. À l’ENPEI, les mathématiques, la physique, la chimie, l’informatique, le dessin industriel sont dispensés en français. La réussite dans les études passe indubitablement par le français. Le français change de statut : il devient langue d’enseignement. Quant aux étudiants, ils sont déstabilisés. Après avoir suivi des études primaires et secondaires en arabe (notamment pour les mathématiques, les sciences naturelles et la physique), ils se voient contraints de changer de langue.

Le parcours

Le parcours de formation dure trois ans. Il est réparti selon une programmation semestrielle définie comme suit :

Six semestres comportant chacun seize semaines (l’année universitaire pédagogique étant composée de 32 semaines), sans tenir compte de la formation militaire programmée en plusieurs périodes bloquées au début et à la fin de chaque semestre et ce pour éviter toute perturbation qui pourrait affecter le déroulement normal de l’enseignement technique et scientifique ainsi que l’enseignement des sciences humaines et sociales.

L’enseignement des sciences et de la technologie

L’enseignement scientifique et technique est perçu comme l’épine dorsale de la formation à l’ENPEI eu égard à l’importance qu’il occupe dans les programmes. Il porte sur des disciplines aussi bien théoriques que pratiques des sciences fondamentales.

Le but recherché est de développer chez l’élève le goût de la rigueur et le sens concret et d’éveiller sa curiosité intellectuelle et son esprit de recherche.

La technologie figure également en bonne place dans les programmes car elle est une introduction aux sciences de l’ingénieur de façon générale et une mise en application des connaissances scientifiques et techniques enseignées.

L’informatique revêt un caractère tout particulier dans les programmes aussi bien en tant qu’objet que moyen d’étude. Il s’agit de développer la connaissance de l’outil informatique dans ses différents aspects théoriques et pratiques et d’habituer l’élève à se servir de logiciels qui fournissent un support au raisonnement par la confrontation rapide et commode des hypothèses et résultats.

Les travaux pratiques occupent un volume horaire important dans les programmes de formation, en particulier en physique, chimie et sciences de l’ingénieur. Ces travaux pratiques ne se limitent pas à de simples applications du cours, mais doivent au contraire être une étude globale des problèmes et phénomènes mettant en œuvre divers chapitres des programmes enseignés.

Pour répondre à ces objectifs, l’école met à la disposition des élèves et des enseignants des laboratoires dotés d’équipements et de matériels performants dont les champs d’investigation correspondent aux matières enseignées : physique, chimie, mécanique, électronique, électrotechnique, technologie et automatique.

L’enseignement des sciences humaines et sociales

À l’ENPEI, l’élève suit une formation scientifique et technique pour devenir un ingénieur, futur cadre de l’État. Cet objectif ne peut être atteint sans que cette formation ne soit complétée par l’enseignement des sciences humaines et sociales pour que l’élève puisse acquérir le sens du bon raisonnement inhérent à l’apprentissage de la science philosophique, et pour qu’il comprenne les valeurs de l’histoire et de la civilisation qui l’aideront à apporter sa contribution au progrès de l’humanité en général.

L’enseignement des sciences humaines et sociales

Les langues constituent un outil favorable à l’ouverture et la compréhension du monde environnant et représentent un moyen d’accéder à d’autres cultures. Aussi leur enseignement dans les classes préparatoires doit-il bénéficier des mêmes privilèges que les enseignements des matières scientifiques.

L’anglais, l’espagnol et le français n’ont pas le même statut au sein de l’école. Une place particulière est accordée au français : c’est la langue d’enseignement de toutes les disciplines scientifiques et techniques enseignées au sein de l’ENPEI.

Ainsi, pour renforcer les acquis linguistiques des élèves, l’école met à leur disposition cinq laboratoires de langues ainsi qu’un laboratoire de multimédia.

Répartition des enseignements durant la première année préparatoire :

Formation scientifique et technique
Enseignement des langues
Formation humaine et sociale
Formation militaire
Sport
675 h
180 h
90 h
270 h
90 h

Répartition des enseignements des langues en première année :

Anglais
Espagnol
Français
45 h
-
135 h

Le français est enseigné en premère année (135 h), l’espagnol en troisième année (45 h) et l’anglais durant les trois années (135 h).

La motivation

Un trait caractérise les élèves de l’ENPEI : la motivation. Elle est souvent plus forte que dans le cadre scolaire. La réussite à l’ENPEI passe inévitablement par la maîtrise du français. C’est ce qui explique un certain engouement pour l’apprentissage du français.

Comment aider les élèves à réussir à l’ENPEI ?

Avec un public aussi motivé, quelle est la manière la plus efficace de s’y prendre ? En d’autres termes, quel serait le mode d’intervention, voire la méthode qui conviendrait ?

L’ancien programme

Durant plusieurs années, l’enseignement du français à l’ENPEI se résumait à faire de la grammaire et du vocabulaire sans aucun lien avec la réalité du terrain ni avec les besoins réels des apprenants. Nous reprenons sommairement quelques intitulés :

  • les types de phrases ;
  • les modes et les temps ;
  • la classe des mots (le nom, l’article, l’adjectif, le verbe, l’adverbe, le pronom…) ;
  • l’analyse logique (avec l’étude des différentes propositions) ;
  • le discours direct et le discours rapporté ;
  • les suffixes et les préfixes.

Parallèlement à ce contenu essentiellement grammatical, on y enseignait quelques techniques rédactionnelles (le résumé, le compte rendu…) ainsi que la production écrite (le texte argumentatif occupe la part du lion).

Aujourd’hui, à l’Université des sciences et technologie de Bab Ezzouar (Alger), l’enseignement du français se résume à la lettre administrative, au curriculum vitae ainsi qu’à quelques notions grammaticales pour des étudiants préparant leur ingéniorat en biologie, chimie, électronique, informatique, mathématique, mécanique, physique, etc.

Décision de vouloir réellement aider l’élève à s’en sortir

La direction de l’ENPEI a compris qu’on n’apprend pas une langue gratuitement, pour le simple plaisir et qu’il fallait mettre en place un programme plus "sérieux". Un programme qui tiendrait compte des besoins réels des élèves et dont les contenus pourront les aider à mieux suivre les cours de spécialité dispensés en français. Il s’agit donc d’organiser une formation destinée à leur permettre d’acquérir les compétences linguistiques afin de réussir leurs études à l’ENPEI.

Comment aider les élèves à réussir à l’ENPEI ?

Il s’agit d’un processus en trois étapes qui part d’une demande de formation formulée par l’école à partir de laquelle est élaboré l’audit.

L'audit

Première étape :

Répertorier les différentes situations dans lesquelles l’étudiant utilise le français. Cela consiste à aller sur le terrain afin de collecter le plus de documents possible (programmes, polycopiés, sujets d’examens, copies d’étudiants, cours magistraux). Ceci nous aidera pour l’analyse des besoins réels des apprenants. Par ailleurs, une enquête est menée auprès des enseignants afin de cerner davantage les difficultés des étudiants et une autre auprès de ces derniers.

Deuxième étape : déterminer les compétences situationnelles requises.

Il s’agit de regrouper par famille les différentes situations relevées. À chaque famille de situations correspond une compétence situationnelle. C’est l’ensemble des compétences que doit maîtriser l’étudiant pour pouvoir suivre un cours de français. Exemples de compétences situationnelles : consulter un dictionnaire, prendre des notes dans un cours magistral, prendre des notes à partir d’un document écrit.

Troisième étape : définir les objectifs de la formation.

Ce sont des objectifs que l’on formule pour identifier le résultat attendu de la formation. Il existe deux types d’objectifs :

  • les objectifs globaux qui explicitent le comportement global de l’élève qui doit être atteint à la fin de la formation (c’est le fait que l’étudiant soit capable d’enrichir ses cours à partir de sources variées) ;
  • les objectifs intermédiaires pour expliciter l’ensemble des compétences que doit acquérir l’étudiant pour atteindre l’objectif final de la formation (c’est être capable de choisir le dictionnaire qui convient à sa recherche et d’y trouver l’information désirée).

L’ingénierie pédagogique

Il s’agit de concevoir les documents qui accompagnent la formation.

Première étape : reformulation des objectifs situationnels en objectifs pédagogiques.

On distingue trois types d’objectifs pédagogiques :

  • les objectifs pédagogiques généraux (plans de formation, projet pédagogique, module) ;
  • les objectifs pédagogiques intermédiaires (séquences) ;
  • les objectifs spécifiques ou opérationnels (les actions que va réaliser l’étudiant).

Deuxième étape : la mise en plans de formation.

On met en place le dispositif de formation. Le plan de formation c’est un ensemble de compétences donc un ensemble d’objectifs généraux.

Troisième étape : élaboration d’activités.

Il s’agit de prévoir des exercices pour chaque objectif opérationnel, de choisir les supports adéquats et de spécialités. Avant l’élaboration des activités, il faut rédiger le guide séquence. Il importe donc de définir les objectifs et les étapes à suivre afin que les étudiants soient fixés sur l’orientation du cours. Il s’agit, au fond, d’une véritable leçon de méthodologie de l’enseignement du français : pour pouvoir exister, il est indispensable que "les objectifs de l’enseignement/apprentissage soient explicités. Ces objectifs ne sont pas indépendants des visées des apprenants et de l’usage que ceux-ci veulent faire de leur apprentissage". (Louis Porcher)

Quel français enseigner ?

En Algérie, il existe deux conceptions différentes de l’enseignement du français à l’université : les cours de terminologie et l’enseignement du FLE. Depuis le passage de l’enseignement des matières scientifiques en arabe (1988), dans les collèges et lycées, l’étudiant algérien s’est trouvé déstabilisé une fois à l’université. Pendant longtemps, il a subi des cours de méthodologie. Il a également subi des cours de FLE. Les résultats étaient médiocres.

Il fallait donc se démarquer de ces deux approches caduques. Le choix d’enseigner le FOS dans l’université algérienne de manière générale et à l’ENPEI en particulier s’est concrétisé avec l’aide de Madeleine Rolle-Boumlic. Mais quel français allons-nous enseigner à l’ENPEI ?

Les élèves rencontrent des difficultés dès le premier contact avec les cours de spécialité. Les mots qui leur paraissent les plus étranges ne sont pas nécessairement ceux qui sont les plus techniques. C’est toute la méthodologie qui sous-tend les disciplines dites scientifiques et techniques qui est à privilégier. Comment comprendre un cours magistral ? Comment adopter une stratégie de lecture ? Comment exploiter un visuel ? Comment adopter une stratégie efficace pour rédiger les réponses lors des TD, des examens et des TP ?

En somme, quand le public et la langue sont spécialisés, l’enseignement doit s’y configurer. Il est évident que le module Comprendre un cours magistral ne sera pas perçu de la même façon en sciences médicales, en informatique ou encore en physique. C’est la raison pour laquelle les contenus que nous enseignons ici et là ne peuvent être que spécifiques, la langue enseignée l’est également.

Conclusion

On peut penser que l’enseignement du français sur objectifs spécifiques a un avenir prometteur en Algérie sous réserve que l’enseignement des matières scientifiques se fasse en arabe dans les collèges et lycées – il gardera une place significative sur le "marché aux langues" (pour paraphraser Calvet) – et que la réflexion didactique soit au rendez-vous.

Abdelkrim Kaaboub
Enseignant à l’ENPEI de Rouiba-Alger

Contact : abdelkrimkaab1954@yahoo.fr

Bibliographie

Porcher L. (2004), L’enseignement des langues étrangères, Hachette, Paris.
Rolle-Boumlic M. (2004), Vers une ingénierie de la formation en milieu professionnel, Séminaire.
Guide de l’École nationale polytechnique aux études d’ingéniorat (2006), Rouiba, Alger.

Première publication : 07/03/08 - Mise à jour : 07/03/08

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