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Dossier artUn artiste dans la classe

Ghislaine Bellocq


Ghislaine Bellocq a enseigné de nombreuses années en France et à l’étranger – Espagne, puis Maroc –, pays dans lesquels elle a développé de multiples ateliers de pratique artistique, aussi bien auprès d'enfants que d'adultes. Auteure de plusieurs ouvrages sur l’enseignement des Arts Plastiques (1), elle centre actuellement ses réflexions autour des relations entre Art et Langage, en collaboration avec Hugues Denisot, et participe sur support associatif à la formation d'enseignants dans ce domaine. Elle a coordonné, en 2007, un projet pédagogique avec l’école primaire européenne de Bruxelles 1, piloté par Ghislaine Ginoux, enseignante de 1ère année, en collaboration avec l’artiste Nabili, à l'origine de la Fondation pour l’Imaginaire de l’enfant (2) à Benslimane (Maroc).

"Au village de Fatou"
Panneau collectif, classe de CP, G. Ginoux
École européenne Bruxelles 1
Techniques mixtes sur bois (feutres, peinture acrylique, sable)
1,20 x 1,20 m. 2007

Comment est née votre collaboration avec le peintre Nabili ?

Je crois beaucoup aux rencontres, aléatoires, provoquées, mais surtout choisies. Enseignante au Maroc, dans une classe d’enfants de douze ans, je souhaitais intégrer au projet d’école centré sur le patrimoine culturel de l’enfant (langue, histoire, géographie) une dimension artistique contemporaine.

Pour intervenir auprès d’enfants, le savoir-faire artistique, la maîtrise d’une technique ne suffisent pas… Il faut avoir l’envie de les transmettre, de les partager, dans un langage, une attitude à la portée de l’enfant. Après de nombreuses visites d’ateliers d’artistes, cette attitude, cette sensibilité, je l’ai trouvée à Benslimane chez l’artiste Nabili. Ce fut le point de départ d’une étroite collaboration, qui perdure depuis maintenant une dizaine d’années à travers divers projets. Je l’ai fait intervenir dans ma classe, dans le cadre d’un projet multidisciplinaire pour transformer les colonnes du préau de l’école, considérant l’environnement proche comme support de création. (3)

Vous avez participé en 2007 avec Nabili au projet "Graines de sable", à l’École européenne de Bruxelles 1, en coopération avec les enfants de l’école La Ribambelle de Casablanca. Pouvez-vous nous présenter ce projet ?

Ce projet lui aussi est né de belles rencontres, pleines de découvertes et de curiosités. Une enseignante de l’école primaire de Bruxelles 1, Ghislaine Ginoux, par ailleurs formatrice en FLE, avait décidé de monter pour sa classe et son école un projet de partenariat artistique avec la Fondation Nabili, projet humanitaire basé sur l’art. Soucieuse de documenter le projet, elle s’est d’abord rendue à la Fondation au Maroc pour réaliser un documentaire sur la Fondation, l’orphelinat de la ville et connaître en personne le peintre, son lieu de travail. Un projet de correspondance est né entre le peintre et sa classe, correspondance graphique et picturale basée sur l’échange de dessins, peintures, lettres illustrées, l’objectif étant de faire intervenir l’artiste dans l’école en fin d’année, pour animer des ateliers de pratique artistique.

Le projet s’est élargi peu à peu à 16 classes de nationalités différentes (sections françaises, espagnoles, allemandes, italiennes, anglaises, danoises, etc.) accueillant des enfants de 7 à 12 ans. À partir des documents collectés au Maroc (vidéos, catalogues, reproductions d’œuvres d’art de Nabili, mais aussi matériel authentique comme sable, pochoirs de henné, condiments, produits alimentaires, etc.), les classes se sont mises à produire… Le but était de faire connaître l’œuvre du peintre, la Fondation, le Maroc, en s’appropriant de manière personnelle mais aussi collective les recherches de l’artiste autour du sable, du signe berbère, de la couleur… tout en mettant parallèlement en œuvre diverses actions permettant de l’inviter à l’école (collectes de matériel pour l’orphelinat, collectes de fonds à travers l’organisation d’une brocante impliquant les élèves, d’une tombola impliquant les familles).

Atelier en classe de CP
École européenne Bruxelles 1

Lors d’un second séjour à Benslimane, l’enseignante responsable du projet a, de manière fortuite (mais y a t-il du hasard ?), rencontré la classe de moyenne section de l’école La Ribambelle de Casablanca en visite à la Fondation et noué des liens autour du projet européen. La classe maternelle marocaine a ensuite produit un conte (4) à partir de sa rencontre avec Nabili, qui a été choisi pour donner du sens aux interventions prévues à Bruxelles.

Le point fort du projet a sûrement été la venue de Nabili et moi-même à l’école où nous avons animé, une semaine durant, des ateliers pour 400 enfants de nationalités et langues différentes, utilisant le conte créé par les enfants du Maroc comme support des productions plastiques.

Ont été organisées deux expositions, une à l’école, une à la galerie Amart au centre de Bruxelles où travaux des enfants et œuvres de l’artiste étaient présentées au public en toute complicité. Une partie de cette exposition a illustré la conférence de politique de voisinage de l'Europe à Bruxelles en septembre 2007, où étaient présents les ministres des Affaires étrangères des pays d'Europe et de 15 pays voisins dont le Maroc. Une autre exposition est prévue au mois d’avril 2008 : celle de la totalité des réalisations des élèves et des tableaux de Nabili au Parlement européen… un bel exemple de réussite, un bel exemple d’échanges avec l’Autre dans toutes ses dimensions.

Exposition des travaux des enfants, parrainée par Mme Benita Ferrero-Waldner,
Commissaire chargée des relations extérieures et de la politique de voisinage
Commission européenne, à l'occasion de la conférence "Politique de Voisinage"
septembre 2007

Quelles disciplines scolaires ont été impliquées dans ce projet ?

Essentiellement les Arts plastiques, l’éducation à la citoyenneté et le français bien sûr ! avec quelques incursions dans la géographie…

Quel est, selon vous, l’intérêt pour les élèves d’être directement en contact avec un artiste ?

L’artiste plasticien est, comme chacun d’entre nous, un acteur social. Il me semble intéressant de désacraliser le statut de l’artiste et de le faire intervenir en classe au même titre que tous les professionnels qui peuvent partager leurs savoirs et savoir-faire avec les élèves (écrivains, musiciens, scientifiques, mathématiciens, artisans, jardiniers, médecins, cuisiniers, etc.). Pour les élèves, adultes ou enfants, l’intérêt est sans aucun doute d’approcher un mode de pensée spécifique qui a fait l’objet de nombreuses études au niveau psychologique : le comportement artistique. Un mode de pensée caractérisé comme divergent… L’artiste a besoin pour créer d’un certain repli sur soi (exemple : La Chambre de Van Gogh), l’artiste a besoin de mettre de l’ordre dans le chaos (organiser concepts, formes, couleurs, textures, dimensions), l’artiste est opportuniste – dans le sens où il tire part de procédés, de points de vue, du hasard, des contraintes du faire –, l’artiste a besoin de séduire… pour ne citer que quelques attitudes identifiées et souvent identifiables.

Les conduites créatrices sont peu sollicitées en classe, et la rencontre avec un artiste sollicite directement une forme d’intelligence trop souvent oubliée par les pédagogues : l’intelligence artistique.

Quel a été votre rôle, en tant que formatrice, dans ce projet ?

Ma première tâche a été celle de tout formateur : informer et apporter de la documentation aux enseignants sur le travail de l’artiste, ses préoccupations plastiques et ses possibles mises en relations avec des productions artistiques en classe : fournir des pistes de travail, en fonction de l’âge des enfants, des espaces et des temps disponibles.

La seconde a été d’assurer un lien entre l’artiste, l’enseignante responsable du projet à Bruxelles et l’équipe concernée, un rôle de coordination depuis l’Espagne où je réside, à mi-chemin entre le nord et le sud, entre Bruxelles et Benslimane.

Enfin, ma participation active avec Nabili lors des ateliers à l’école a permis sans doute de fédérer certains points de vue dans un projet complexe, faisant intervenir de multiples partenaires : artiste, enseignants, enfants, familles, institution, personnel de l’école, galeriste…

Commentaire d'une œuvre originale de Nabili
en classe de français

D’un point de vue linguistique, quelles compétences les élèves ont-ils pu développer au cours de ce projet ?

Cette question pourrait faire l’objet d’un autre entretien tant les apprentissages ont été nombreux, mais aussi différents en fonction de l’implication des élèves dans le projet !

Nous travaillons actuellement avec Ghislaine Ginoux sur l’évaluation de l’expérience, particulièrement celle des apprentissages langagiers réalisés par les élèves. Comment l’art peut-il se révéler vecteur de la langue ? Quelles relations existe-t-il entre les deux disciplines, dans le respect de leur spécificité ?

Le projet s’étant déroulé sur une année scolaire, les compétences linguistiques à développer définies par le Cadre européen commun de référence pour les langues ont fait l’objet de nombreuses séquences… Je ne citerai que quelques exemples :

  • écouter : comprendre des consignes simples pour mettre en œuvre une technique, comprendre un vocabulaire spécifique lié à l’art, comprendre les propos d’un artiste et ses intentions
  • lire : une lettre envoyée par l’artiste, un catalogue de l’artiste, un poème du monde arabe, une recette de cuisine marocaine, une fiche technique, un conte réalisé par une classe marocaine…
  • parler : s’exprimer sur une œuvre d’art, commenter aux autres (autres classes, familles) les œuvres du peintre, les productions personnelles et collectives (les enfants intervenaient comme guides des expositions), produire des questionnaires lors des entretiens avec le peintre…
  • écrire : produire une lettre (correspondance avec Nabili), une affiche, une invitation, un cartel (pour l’exposition), rédiger une fiche technique d’Arts Plastiques, rédiger un cahier de vie du projet, etc.

Quelles démarches ou quels autres types de projets pourriez-vous conseiller à un enseignant de FLE qui souhaiterait faire entrer concrètement l’art dans la classe ?

En premier lieu, déculpabiliser ("je ne sais pas dessiner, je ne sais pas peindre, je ne connais pas l’histoire de l’art, je n’ai pas de relations dans le milieu artistique, etc."), oser se risquer dans une pratique trop souvent étrangère au monde du FLE. Il existe aujourd’hui de nombreux ouvrages et pages web sur lesquels l’enseignant pourra s’appuyer. Apprendre à regarder, ensuite. L’essentiel est d’avoir une attitude ouverte, curieuse, un regard toujours en éveil sur le monde qui nous entoure. L’art est partout si nous savons regarder autour de nous… les formes, les couleurs, les textures, les sons de notre maison, notre quartier, notre lieu de travail.

Puis se documenter : il s’agit de proposer aux élèves une démarche motivante, rigoureuse, cohérente, basée sur des savoirs, savoir-faire, savoir être.

Enfin :

  • faire venir un artiste à l’école (connu ou inconnu)
  • visiter une exposition, un musée, une galerie, un atelier d’artiste ou d’artisan
  • organiser dans la classe un coin images (photographies, images, reproductions d’œuvres d’art…) qui donneront lieu à des collections, tris, classements
  • pratiquer le dessin (dessin d’observation, dessin d’imagination), le modelage, la photographie, la vidéo, l’installation
  • organiser un petit atelier avec des outils et des supports simples pour expérimenter des techniques
  • créer des répertoires, des dictionnaires de couleurs, de formes, de textures, de matières
  • introduire une reproduction d’œuvre d’art en fonction d’un projet de classe (le portrait, le paysage, la nature morte, la peinture d’histoire… sont des genres très faciles à mettre en relation avec des thématiques de FLE)
  • consulter sur internet des sites (5) qui proposent de nombreuses activités pour les élèves (puzzles, jeux de familles, quizz…). La plupart des grands musées français ont conçu des activités didactiques tout à fait exploitables en classe de FLE.
  • visionner des films documentaires ou de fiction sur les pratiques ou la vie d’un artiste. Ex. : Pollock, Van Gogh, Goya, La Jeune Fille à la perle (6)
  • pratiquer l’exposition des travaux des élèves (productions de cartels, affiches, invitations…) pour créer un événement à partager avec les autres
  • etc.

À nous d’inventer, créer, car notre art est celui d’enseigner… avec rigueur, humour, imagination et grande curiosité, ouverture à l’Autre, ouverture aux Autres… ici, là-bas, ailleurs, aujourd’hui et demain.

"Pluie magique"
Panneau collectif, classe de CP, G. Ginoux,
École européenne Bruxelles 1
Techniques mixtes sur bois (feutres, peinture acrylique, sable)
1,20 x 1,20 m. 2007

Contacts :
Ghislaine Bellocq

Ghislaine Ginoux
Nabili

Notes :

1. Lautréart. Nicole Morin, Ghislaine Bellocq. CRDP Poitou-Charentes, 2001, 300 p. Mathéart. Nicole Morin, Ghislaine Bellocq. Scéren/CRDP Poitou-Charentes, 2002. Des techniques au service du sens. Nicole Morin, Ghislaine Bellocq. Scéren/CRDP Poitou-Charentes, 2004, 198 p.
2. La Fondation pour l'Imaginaire de l'enfant. BP 265 - 13000 BEN SLIMANE - MAROC
3. Ce projet est décrit dans Lautréart, "De Volubilis à Jean-Jacques Rousseau" p. 90-96. Nicole Morin, Ghislaine Bellocq. CRDP Poitou-Charentes, 2001, 300 p.
4. Lire le conte créé par les enfants de l'école Ribambelle - Casablanca - MAROC
5. Voir le parcours proposé par Franc-parler
6. Pollock, un film de Ed Harris, États-Unis, 2000. Van Gogh de Maurice Pialat, France, 1991. Goya de Carlos Saura, Espagne, 1999. La Jeune Fille à la perle de Peter Webber, États-Unis, 2003

Propos recueillis par : Haydée Maga - Première publication : 17/12/07 - Mise à jour : 17/12/07

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