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Dossier Enseignement précoceExtrait du Français dans le monde n° 356 (mars-avril 2008)

L’enseignement aux enfants :
les fondamentaux

Enseigner aux élèves de l’école élémentaire suppose d’abord que l’on soit clair sur les objectifs que l’on souhaite atteindre. Il convient ensuite de privilégier les démarches les plus efficaces.

"Que doivent faire les élèves (de l’école élémentaire) ? Apprendre quelques solides rudiments du système linguistique étranger ? Développer une conscience linguistique ? Des habiletés ? Des façons d’être ? Se décentrer par rapport à leur langue et à leur culture maternelles ou se conforter dans celles-ci ? Prendre confiance en se découvrant et en s’affirmant capable d’apprendre une langue autre ? Apprendre à apprendre ? Mettre en place une capacité minimale de compréhension de l’oral ? Jouer avec la langue étrangère et l’apprivoiser (notamment dans certaines de ses caractéristiques phonétiques ou rythmiques) à travers comptines et chansons ? Acquérir des connaissances autres ou pratiquer des activités scolaires autres (musique, éducation physique, etc.) par le médium de la langue étrangère ?"

(CECR, p. 130)

Le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR) indique "qu’il n’est pas interdit de courir plusieurs lièvres à la fois et que des objectifs distincts peuvent être combinés et enchâssés".

Les objectifs

Un premier scénario consisterait à proposer à l’élève une sensibilisation au français dans le cadre d’un "éveil aux langues", grâce auquel, par-delà cette sensibilisation, l’élève serait amené à découvrir et à reconnaitre la pluralité des langues et des cultures.
Un autre scénario permettrait à l’élève du primaire de viser une communication orale élémentaire tout en mettant en place les bases des systèmes phonétique et syntaxique du français : l’objectif à atteindre correspondrait alors au niveau A1 du CECR (niveau de l’utilisateur élémentaire, introductif ou de découverte). C’est ce scénario que nous allons envisager.

L’oral et l’écrit

À l’école primaire, les activités de réception orale (compréhension de l’oral), de production orale (expression orale en continu) et d’interaction orale sont tout à fait prioritaires. La langue orale étant privilégiée, les activités de réception écrite (compréhension de l’écrit) et de production écrite sont considérées comme des "points d’appui" aux activités orales et le recours à la langue écrite reste limité.

Néanmoins l’écrit peut favoriser une meilleure compréhension du fonctionnement du français, inciter à une comparaison fructueuse avec la langue maternelle et stimuler la mémorisation. La présence de la trace écrite facilite la perception de la segmentation de la phrase et met aussi en évidence le rapport graphie/phonie.

Démarches et formes de travail

Les objectifs sont mis en œuvre grâce à des démarches spécifiques où le jeu, le corps et l’imaginaire sont des vecteurs puissants d’apprentissage pour l’enfant. Ces démarches s’inscrivent souvent dans un contexte particulier où la "classe" est une classe à plusieurs niveaux.

Le jeu est un constituant fondamental de la vie enfantine ; il est aussi le meilleur atout pour permettre à l’enfant de s’impliquer et de maintenir sa motivation. Jouer, c’est être actif (et souvent c’est prendre des risques), mais c’est aussi réfléchir pour émettre des hypothèses, résoudre des problèmes, démêler des énigmes. "Jouer à", "faire comme si" sont aussi de merveilleuses occasions de découvrir non seulement la réalité quotidienne de l’aire culturelle française ou francophone, mais également sa dimension artistique à travers la littérature, la musique, la peinture, etc. "On dirait qu’on serait (1) Paris et qu’on jouerait à être la tour Eiffel !", etc. Le jeu de rôle (très simple), la simulation (même modeste) permettent d’engager les enfants dans un parcours d’apprentissage riche et diversifié et de leur faire voir "les choses de l’intérieur".

Le rôle du corps dans l’assimilation du langage est essentiel pour l’enfant. Le fait de lier activité en langue et activité physique (ou non-verbale), c’est-à-dire de lier le "dire" et le "faire" est une aide précieuse à l’appropriation. Ce constat se retrouve dans la théorie du Total Physical Response (2) (réponse, réaction physique totale). Au départ, l’objectif de cette méthode est de fournir à l’élève un contexte sécurisant qui réduise l’anxiété qu’il pourrait ressentir face à la production orale. L’accent est mis sur la compréhension auditive, sur le développement de l’écoute, sur le plaisir de comprendre et de faire, qui fera naître ultérieurement le désir de parler.

Par ailleurs, l’enfant peut être également amené à utiliser les différents modes de la perception (auditif, visuel, tactile, voire olfactif ou gustatif), selon une approche "multisensorielle".

Le recours à l’imaginaire permet d’introduire des situations variées et très fonctionnelles. Faire inventer à ses élèves une identité imaginaire évite à l’enseignant(e) d’avoir à demander son (vrai) prénom à un enfant dont il connait l’identité depuis le premier jour de classe…

Recourir à l’imaginaire, c’est éviter de poser des questions dont on connait la réponse, des "questions sur l’évidence". Autre exemple : la famille, avec le champ lexical qui lui correspond, est un thème incontournable, mais parfois douloureux ou compliqué pour certains enfants. S’inventer une famille fictive peut avoir une valeur compensatoire.

Bref, s’imaginer une nouvelle biographie, un nouveau lieu d’habitation, de nouveaux passe-temps peut rendre la communication plus facile et plus productive.

La classe à cours multiples ou à plusieurs niveaux est une organisation qui n’est pas rare à l’école primaire. Il s’agit d’un groupe-classe constitué d’élèves de niveaux de compétence et/ou d’âges variés. Il s’agit à la fois de différencier les contenus et les supports et, en même temps, de prévoir des activités communes. Il faut à la fois "étonner" les plus jeunes, tout en continuant à mobiliser les plus avancés… Il s’agit tout d’abord de favoriser l’autonomie des élèves (travail par paires ou par groupes) pour qu’ils puissent travailler ensemble (pendant que l’enseignant s’occupe d’un autre groupe, par exemple) ; ils sont également invités à aller travailler sur des outils didactiques divers (affichages, livres, ordinateurs) dans un coin "lecture" (albums, BD, contes), "écriture" (traitements de texte, courriels, blogues) ou "écoute" (comptines, chansons, dialogues).

On privilégie l’alternance entre travail oral et travail écrit (le travail oral devant toutefois rester prioritaire), entre travail collectif, travail en groupes et travail individuel. On favorise le "tutorat", c’est-à-dire un travail en tandem où le plus âgé (ou le plus avancé des deux) aide et guide l’autre. De manière générale, un même objectif linguistique peut être découvert par les plus "petits", tandis qu’il est réactivé et approfondi par les plus "avancés".

Un "projet monstre"…

L’imaginaire des monstres appartient au monde des enfants : voir les dessins animés Monstres et compagnie, Shrek, les Pokemon et autres Digimon, ou en BD les aventures de Kid Paddle (3), fan de jeux vidéo, qui doit affronter les redoutables Blorks (mais aussi Harry Potter ou le Medieval Fantasy, etc.). Cet imaginaire peut être l’occasion de travailler de manière interdisciplinaire : c’est en effet un thème qui se prête à la fabrication de masques, de dessins ou à celle de figurines en pâte à modeler ; il se prête aussi au travail sur le mime, l’expression corporelle et la voix ; il peut déboucher en langue maternelle sur l’écriture d’une histoire ou d’un conte, etc.

Les objectifs linguistiques d’une séquence pourraient consister à introduire – ou réviser, pour les plus avancés – les fonctions de communication se décrire et, selon les niveaux ou les acquis antérieurs, se présenter, dire son âge, dire où on habite, parler de sa famille, de ses animaux familiers, de ses aliments et boissons préférés, de ses passe-temps favoris, etc. Le vocabulaire serait celui des parties du corps et permettrait la révision des nombres et d’autres éléments lexicaux.

Pour la grammaire, il s’agirait d’introduire ou de réviser le verbe avoir, la négation pas de et l’adverbe interrogatif combien (de) ? Un travail en phonétique sur les sons [b] (combien, bras, jambe) et [p] (pied, petit, etc.) pourrait s’avérer judicieux. L’objectif culturel pourrait être de découvrir le monde de Kid Paddle, petit héros de BD francophone, imaginé par Midam. Le matériel nécessaire consisterait simplement en une feuille blanche et un crayon (ou feutre, et la BD de Kid Paddle, si la découverte de ses aventures a été retenue dans les objectifs).

Afin d’entrainer à la compréhension de l’oral, la technique de la dictée d’images serait ici tout à fait appropriée : au cours de cette dictée, les élèves manifesteraient leur compréhension (par exemple ici des noms des parties du corps d’un monstre) par une réponse non-verbale, c’est-à-dire en les dessinant.

On pourrait ensuite demander à plusieurs enfants (par exemple les plus avancés) de venir montrer le portrait de leur monstre et de le présenter, dans le cadre d’une activité d’expression orale en continu. Pour l’interaction orale, on expliquerait aux enfants que le portrait de monstre qu’ils viennent de dessiner est leur "autoportrait" ! Les enfants changeraient alors par paires : l’élève A répondrait aux questions de son (sa) voisin(e), l’élève B : Comment tu t’appelles ? Tu as quel âge ? Tu habites où ? Qu’est-ce que tu aimes ?, etc.

Le travail par paires (ou par tandems) fournit aux élèves des occasions d’entrainement à l’oral utiles et efficaces. Il multiplie le temps de parole de chacun(e) et permet à tous d’être actifs. Pendant que les élèves échangent par paires, l’enseignant(e) va d’un tandem à l’autre pour vérifier que l’activité se déroule bien en français (!) et propose de l’aide, si besoin est. Si l’enseignant(e) ne peut pas corriger tous les élèves, tant mieux ! L’évaluation systématique des élèves seuls "devant le groupe classe" doit laisser aussi la place à des moments où les enfants peuvent s’exercer et réutiliser leurs acquis en dehors de toute pression et de toute tension. Et puis, faire des erreurs n’est pas un crime ! L’erreur est une phase souvent incontournable de l’apprentissage. Par ailleurs, si les tandems sont différenciés, l’élève plus avancé peut corriger ou guider l’élève moins compétent.

Pour la production écrite, chacun(e) écrirait sa "lettre de présentation" (en tant que monstre, bien sûr), selon un modèle donné.

Enfin, l’entrainement à la compréhension de l’écrit consisterait à ramasser les lettres, puis à en faire tirer une au sort par chaque élève : il lirait la description du monstre et le dessinerait (voir dictée d’images). Pendant certaines phases de la séquence, les élèves plus avancés pourraient préparer la présentation de Kid Paddle et de ses aventures aux autres enfants. À la fin, les portraits des monstres seraient affichés dans la classe et l’enseignant(e) pourrait inviter l’école à visiter l’exposition des "monstres de sa classe" : succès assuré !

Colette Samson

Notes

1. "On dirait qu’on serait…" est l’expression favorite des enfants lorsqu’ils désirent s’identifier symboliquement à un personnage ou se projeter dans une situation.
2. Théorie du Total Physical Response (1965). Voir Learning Another Language Through Actions, James. J. Asher, Sky Oaks Productions.
3. Kid Paddle, éd. Dupuis.

À lire de Colette Samson

- Alex et Zoé, niveaux 1, 2 et 3 (2000-2005), Clé International.
- Amis et compagnie, niveaux 1 et 2 (2008), Clé International.

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