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Dossier Enseignement précoceExtrait du Français dans le monde n° 358 (juillet-août 2008)

Un atelier qui résonne !


La musique construit un pont entre deux langues et laisse une empreinte qui marquera les rapports entre les enfants et la langue étrangère. Alors, si vous aimez la chanson et si vous êtes convaincu de l’importance de son rôle en classe, en avant la musique !

Les observations faites au cours de nombreuses années dans un atelier pour enfants de 3 à 6 ans montrent qu’ils atteignent un niveau de compréhension globale en langue étrangère (LE) très élevé par rapport aux heures d’apprentissage. À ce stade d’éveil au langage, le globalisme de la perception, de la réflexion et de la prononciation, ainsi que la flexibilité cérébrale permettent une acquisition optimale de la langue. Le langage musical franchit des frontières cognitives, sensorielles et affectives que la LE ne parvient pas à traverser si facilement.

La musique inclut plusieurs composantes (linguistique, langagière, socioculturelle, référentielle, voire discursive et stratégique) qu’on veut développer en classe. Et elle offre à l’enfant un cadre particulièrement plaisant et rassurant pour se manifester librement et partager avec le groupe ce nouveau "code secret".

Cependant, très souvent, le professeur n’ose pas utiliser la musique en classe car il ne se sent pas capable de chanter ou d’aborder d’autres activités musicales. Quelles sont les caractéristiques de ce type d’atelier et quel est le rôle de l’enseignant ? Quels objectifs viser à travers la musique et comment la mettre en rapport avec le reste des activités ? Quel matériel choisir ? Et finalement, comment s’y lancer sans être spécialiste ?

Un atelier en chansons

Un jour, j’ai commencé à jouer de la guitare et à dessiner au tableau pour mes élèves du CP. Je l’ai fait dans une intention didactique, pas artistique. Depuis, je crée des ateliers basés sur une approche communicative multi-sensorielle, dans laquelle on vise un apprentissage de la nouvelle langue en faisant appel à tout le corps et aux cinq sens. Dans ce type d’atelier, j’essaie de récréer les différents moments vécus à l’école maternelle : chanter, écouter une histoire, jouer, dessiner. Pour les enfants, l’apprentissage d’une LE n’est pas une finalité mais un moyen de faire ce qu’ils désirent vraiment et ressentent comme un besoin fondamental.

En général, ce travail se fait avec des groupes de cinq à dix élèves, mais des groupes de vingt à trente enfants, en français et en anglais (ou d’autres langues), sont tout à fait gérables. L’atelier dure une heure, une fois par semaine, soit un total de 35 heures environ.

Il n’est pas indispensable de suivre une méthode proposée par une maison d’édition : l’enseignant peut "construire" son cours en sélectionnant, en adaptant, voire très souvent, en créant le matériel.

Puisqu’il s’agit d’un travail de sensibilisation, mieux vaut privilégier ce qui peut motiver les enfants et élargir leur capacité de communication. Le conte est l’axe à partir duquel surgit le reste des activités.

Dans chaque séance, il est bon de bien différencier quatre moments : le temps de la musique, le temps du conte, la phase de jeu et d’expression corporelle et, enfin, le temps des arts plastiques.

Chaque moment dure 15 minutes environ. On reprend ainsi un peu la routine de l’école pré-élémentaire, ce qui rassure les tout-petits en éveillant des résonances profondes d’expériences vécues.

Généralement, les enfants arrivent et s’assoient en cercle par terre. La classe commence toujours avec une chanson pour se saluer, adaptée de la version en langue maternelle et servant de repère affectif à l’enfant qui a déjà établi des liens avec elle. Ensuite, suivant une progression en spirale, je reprends les contenus acquis au moyen des chansons ou comptines interactives traditionnelles (recueils disponibles en CD et cassette audio, ou sur Internet), actuelles (d’Henri Dès, de la méthode Trampoline, etc.) ou directement inventées par moi. La mélodie des chansons favorise la mémorisation, de même que les comptines, où la répétition rythmée et la transgression des contraintes du sens constituent une grande source de plaisir pour les petits. J’interprète toutes les chansons avec la guitare ou a capella, car ceci me donne non seulement la possibilité de créer un meilleur rapport affectif, mais aussi la liberté de changer la vitesse, de répéter ou d’arrêter la musique.

Depuis le premier jour, ma guitare est notre compagnon de voyage vers un monde différent et représente en quelque sorte l’interlocuteur étranger, puisqu’avec elle les enfants se parlent "en français". Elle chante, salue, et les enfants répondent. Au cours de ces vingt ans de travail, "Titine" (la guitare) est devenue la meilleure coéquipière et la plus chère amie des enfants. Mais elle pourrait bien être remplacée par une petite marionnette à gant qui propose une chanson ou un jeu, raconte des histoires, questionne, etc. Grâce à cet élément "extérieur", l’élève oublie que c’est le maître qui lui parle et plonge naturellement dans cet univers magique.

Objectifs et activités pour un atelier de chanson

Langage parlé et langage musical sont étroitement liés ! Voici quelques objectifs et activités qui, se basant sur cette affinité, pourront servir un atelier de chanson.

Objectifs possibles

- Assimiler le code phonétique de la LE en s’exerçant à la prononciation, l’intonation et les rythmes qui lui sont propres…
- Sentir corporellement la "musique" de la langue à acquérir.
- Fixer le lexique et quelques structures syntaxiques de base.
- Repérer des rituels de classe.
- S’exprimer avec plaisir à travers le langage musical.
- Développer le fonctionnement global des deux hémisphères du cerveau.
- Découvrir les possibilités de l’appareil phonatoire et des instruments.

Activités possibles

- Varier hauteur, intensité et timbre des sons.
- Marquer pouls, accent et rythme.
- Modifier la vitesse, faire l’écho.
- Faire des mouvements rythmiques, danser.
- Établir des dialogues, deviner le vers qui suit, énumérer, compter, dramatiser un conte "chanté".

Un prof pour les petits, ça bouge !

Dans cet atelier, le statut de l’enseignant est celui d’un médiateur permanent entre les élèves et la langue cible, à travers des activités très signifiantes pour eux. Sa participation aux jeux l’aide à tisser des liens positifs avec les enfants et à leur faire comprendre qu’il considère le jeu comme une activité importante. Par la répétition, les variations et les commentaires, il entraîne ses élèves à construire du sens.

Il parle toujours en français (sauf dans des cas ponctuels, comme les prévenir des risques physiques), avec la richesse et la complexité normales de la langue – la simplification du langage ne conduit pas forcément à une meilleure compréhension ! Lors des récits ou consignes, l’enseignant s’aide beaucoup du gestuel et il soigne le lexique et la syntaxe dans une intention esthétique et didactique. L’animation de l’atelier est un travail de type scénaristique. Avant de commencer la classe, on a l’impression de se préparer pour une pièce de théâtre interactive, pour laquelle il faut tenir compte de tous les détails et prévoir les différentes situations, tout en sachant rester souple face aux imprévus pour en tirer des bénéfices pédagogiques. Se lancer dans un tel atelier, c’est aussi faire des choix en amont pour proposer des séquences cohérentes et efficaces.

Il faudra décider de la progression, qui n’est généralement pas linéaire, mais en spirale. Les contenus sont repris systématiquement et enrichis progressivement dans des situations diversifiées où l’enfant peut lier action et langage. Le choix thématique est orienté, d’une part, vers la réalité quotidienne qui entoure les enfants et, d’autre part, vers le monde de fantaisie où ils vivent.

On réinvestit aussi les apprentissages du cursus scolaire, ce qui rassure les élèves en partant du connu et les mène à établir des associations entre langue maternelle et étrangère.

Il faudra également définir les objectifs visés et les exercices nécessaires ou possibles pour les atteindre (consultez à ce sujet l’encadré ci-dessus).

L’apport de la musique

Dans cet atelier, la musique est toujours présente : soit pour accompagner une histoire, un jeu ou enchainer les activités, soit pour créer le lien avec les enfants et les aider à s’exprimer.

Musique et conte : au cours d’une narration, la chanson peut servir de leitmotiv tout au long de l’histoire, accompagner chaque étape du conte imaginé justement pour enseigner cette chanson (Sur le pont d’Avignon), ou bien pour boucler le récit (Savez-vous planter les choux). Pour raconter ces histoires, j’élabore des images cartonnées qui suivent la séquence du conte.

Musique et jeu : les chansons et comptines comportent toujours un élément ludique et interactif (Jeu du pont, Promenons-nous dans le bois, Un petit bonhomme sur un encrier). Quelquefois, les enfants, trop motivés par le jeu, participent moins activement à l’interprétation de la chanson (exemple : Le facteur). Ce manque d’extériorisation verbale n’est pas du tout synonyme de passivité interne ou d’absence d’intérêt, mais d’un profond engagement dans l’activité proposée.

Musique et expression corporelle : les chansons qui s’accompagnent de l’expression corporelle ont un effet ludique et de fixation psychomotrice de l’apprentissage. Les jeunes enfants ont besoin de vivre la langue, d’être actifs. Chacun d’eux a quelque chose à "dire" avec son corps sur ce qu’il est en train de découvrir. L’expression corporelle aide l’enfant à manifester les sentiments éprouvés à l’écoute d’une chanson, à prendre conscience de soi et des autres, à calmer ses tensions et ses excédents d’énergie ! Le mobilier de la salle de cours doit faciliter les déplacements et la réorganisation constante de l’espace.

Voici quelques activités possibles d’expression corporelle : mimer des animaux, répondre à des consignes, associer des mouvements simples à une musique, inventer une simple chorégraphie pour proposer à ses copains, danser librement, identifier les parties du corps (Chanson du Boogie-Woogie), prendre une posture (Jeu des statues).

Musique et arts plastiques : lors de la dernière séquence, pendant que les enfants dessinent, peignent ou fabriquent, les chansons apprises résonnent en toile de fond. Les enfants éprouvent un grand plaisir à chantonner sans abandonner leurs tâches. Ils traversent une étape de synesthésie dans laquelle les couleurs peuvent évoquer des sons et vice versa. La répétition automatique des chansons renforce bien sûr la mémorisation, mais accomplit en même temps une forme de détente et de concentration, tel un mantra qui permet d’entrer dans un univers plus intime.

Musique et changement d’activité : pour se rassembler ou passer à une autre séquence, nous avons une petite chanson mimée qui réunit les enfants. Je leur demande en chantant :

"– Êtes-vous prêts à commencer/jouer/chanter/ dessiner… ?" Ils répondent : "– Oui !" (on se met en ronde et ils joignent les mains, coudes, pieds… au centre du cercle). Ce mini dialogue se répète trois fois. Puis, on chante ensemble, bien fort, tout en se battant les uns les autres avec la partie du corps choisie : "Donc, allons-y maintenant !"

Le matériel ?

Le DVD est très utile pour présenter une chanson, faire progresser les étapes d’une histoire racontée dans une chanson (Au clair de la lune), ou boucler l’apprentissage. Les séquences visionnées ne dépassent pas les cinq minutes. Les versions qui incluent le karaoké sont très utiles (par exemple : Mon âne 1 et 2, de Pascal Le Nôtre, Les Tralaclips de Tralalère, avec livret pédagogique). Les enfants adorent mémoriser les paroles tout en visionnant des images en mouvement : ils chantent et dansent devant l’écran… Le seul problème qui se pose est de mettre fin à l’activité !

Par ailleurs, on peut choisir une chanson en fonction de sa thématique, pour travailler de façon exhaustive quelques phonèmes, ou bien tout simplement dans une intention ludique. Mais, quel que soit l’objectif visé, la qualité linguistique et expressive est fondamentale. Certains disques ou livrets disponibles à la vente ne prennent pas les enfants au sérieux.

Enfin, il est inutile de présenter un matériel qu’on n’aime pas ; les enfants sont extrêmement réceptifs et perçoivent notre désintérêt aussi intensément que notre enthousiasme.

J’adapte beaucoup de chansons ou je les crée dans des buts spécifiques. Pour adapter des paroles composées dans une autre langue, j’essaie de coller à l’idée originale en ne modifiant que les éléments nécessaires pour conserver la rime. Parfois j’invente paroles et mélodie, je m’inspire d’une chanson traditionnelle populaire (par exemple "Ten little indian boys", Les dix petits indiens).

Créer son propre matériel lors du moment prévu pour les arts plastiques est fort motivant pour les élèves et enrichissant pour la classe. Néanmoins, il est toujours possible de l’acheter… Quelques instruments à percussion, tels que des boîtes à graines, des clochettes ou des tambours sont faciles à fabriquer avec des éléments recyclés (verres en plastique, fils, rubans, papier cartonné…). Pour dramatiser des chansons, on peut faire des masques ou d’autres déguisements.

La musique, comme d’autres activités créatives, est un moyen d’expression pour tous. Les enfants apprennent à partir de ce qu’ils voient chez les adultes : si le professeur se sent libre de jouer, de danser, de chanter, de dessiner, de s’amuser, les apprenants vont prendre confiance en eux pour pouvoir développer leurs compétences en toute liberté et dans la bonne humeur.

Patricia Regoli

(Argentine)

A lire

Delalande F., La musique est un jeu d’enfant, 1984, Buchet-Chastel.
Despins J.-P., Le cerveau et la musique, 2003, Christian Bourgois.
Mallet B. (ss. dir.), Enseigner le FLE à l’école primaire et maternelle. Recherches et propositions, 1991, Presses universitaires de Grenoble.
Maneveau G., Musique et éducation, 1977, Aix-en-Provence, Édisud.

Ressources pour enseigner le français langue seconde à l’aide de la musique.

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