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Dossier Enseignement précoceL'apprentissage précoce du français
en Louisiane

Contextes FLE et Immersion

Présentation du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL) par David Chéramie, directeur exécutif.

Le CODOFIL a été créé en 1968 par un acte de la législature louisianaise. Selon cette loi, il existe pour "faire tout ce qui est nécessaire afin de développer, d’utiliser et de préserver la langue française telle qu’on la trouve en Louisiane pour le profit culturel, économique et touristique des citoyens de l’État". Ce programme a été développé en réponse au déclin rapide de la langue française en Louisiane, la disparition de ses valeurs et de sa richesse culturelle liées à son historique français et, en fin de compte, la perte du profil distinctif de la Louisiane.

À travers les années, le CODOFIL a créé, soit directement soit indirectement, la plupart, sinon la totalité, des initiatives entreprises pour la préservation et la promotion de la langue et des cultures françaises en Louisiane sous ses formes différentes. Ces activités ont amené le développement du commerce et de l’industrie internationaux en Louisiane. Le CODOFIL stimule l’arrivée des touristes francophones dans l’État et fournit des citoyens bilingues, ainsi améliorant la qualité de l’éducation des citoyens. Le prix du baril peut monter ou descendre, mais le riche héritage culturel de la Louisiane demeure grâce au CODOFIL. L’impact économique du CODOFIL sur l’État est indéniable.

Le CODOFIL a été fondé pour maintenir et augmenter les multiples identités culturelles du peuple de la Louisiane dont le lien commun est la langue française en tout de sa variété. Les valeurs véhiculées par cette langue sont l'envie du reste des Etats-Unis et, en effet, de beaucoup de régions du monde. Historiquement, la langue française en Louisiane a été le marqueur de notre originalité culturelle. Étant une agence d'État, le CODOFIL a une mission encore plus large : c'est de fournir l'occasion à tous les enfants d'âge d'école de la Louisiane, indépendamment de leur origine ethnique, d'apprendre une langue internationale considérée par beaucoup comme un signe d'une éducation raffinée. Pourtant la langue est le fil qui tient un groupe ethnique ensemble et tel a été le rôle du français pour le Cadiens, les Créoles et les Amérindiens francophones de la Louisiane pendant presque trois cents années. En plus, le partage de la langue française en Louisiane a jeté un pont sur les barrières raciales.

Nos programmes de français langue seconde et d'immersion française servent de modèles au reste de la nation. Les plus de 230 professeurs étrangers CODOFIL, originaires de plusieurs pays (France, Belgique, Acadie, Québec, Sénégal, Haïti, Nigéria, Mali, Tunisie, Bénin, Côte d’Ivoire) touchent presque 80 000 étudiants dans 31 paroisses dans tout l'État chaque jour. Ces chiffres représentent un tiers de tous les étudiants et professeurs de français dans l'enseignement élémentaire et secondaire. Si chaque paroisse individuelle avait à recruter ses professeurs elle-même, le coût serait augmenté exponentiellement. En effet, dans un État qui est témoin d'un exode de professeurs cherchant un meilleur salaire dans d’autres États, le CODOFIL est la seule agence qui recrute activement des professeurs qualifiés à venir en Louisiane (par le biais des ministères d'Éducation des pays, de sites spécialisés, etc). En centralisant cette opération, les budgets destinés à l'éducation sont plus efficacement dépensés. CODOFIL est également une source fiable de bourses et d’informations sur d'autres ressources pour une meilleure éducation en français.

Le Codofil en 4 mots

Vision

Donner aux communautés francophones louisianaises les moyens nécessaires de vivre leur vie en français.

Mission

La mission du CODOFIL a deux volets : offrir aux citoyens louisianais, qu’ils soient d’origine française ou pas, l’occasion soit d’apprendre le français, soit d’améliorer et d’utiliser le français qu’ils connaissent déjà ; et d’explorer, de comprendre et de soutenir l’héritage cadien, créole et francophone en Louisiane pour le plus grand bien culturel, économique et touristique de tous ses citoyens.

Philosophie

"Nous allons chérir notre passé pour enrichir notre avenir en affirmant notre identité francophone par le biais de l’éducation, du service communautaire et des échanges internationaux."

Buts

I. Pourvoir aux étudiants, enseignants et administrateurs aux niveaux élémentaire, secondaire et universitaire des occasions de s’engager et de profiter des expériences d’apprentissage en français.

II. Pourvoir aux citoyens louisianais les renseignements et les occasions nécessaires au développement de l’héritage linguistique et culturel des Cadiens, Créoles et Amérindiens francophones de l’État.

III. Intégrer la Louisiane au sein des organisations internationales formant la communauté francophone.

Témoignages d’enseignants en Louisiane

Preble Giltz Girard
Professeur d’immersion en sixième année
S.J. Welsh Middle School, Lake Charles

"Enseigner l'histoire du monde en programme d'immersion :
une aventure globale !"

Au mois de juin 2008, à la fin de l’année scolaire américaine, je me suis inscrite dans un programme d’enrichissement pour les professeurs offert par McNeese State University, l’université de ma ville. Dans la mesure où j’enseigne les sciences sociales aux élèves de sixième année (ceci correspond aux élèves de 11 à 12 ans dans le système américain), je trouvais ça normal de vouloir faire des études approfondies en histoire dans ce programme d’enrichissement. Pourtant, pour les autres dans la classe, y compris le professeur, j’étais avant tout une professeur de français qui voulait faire de l’histoire. C’est à ce moment que je me suis rendue compte à quel point l’idée d’immersion est mal comprise aux États-Unis, même en Louisiane où le programme d’immersion dans les écoles publiques date des années 60.

L’idée et même l’existence d’un programme d’immersion sont peut-être mal comprises, mais je suis devenue de plus en plus persuadée que les sujets présentés dans un milieu d’immersion sont mieux retenus par les élèves que les sujets présentés dans les milieux “normaux” (c’est-à-dire en anglais). Je pense que c’est surtout le cas avec les sujets qui ont une certaine distance géographique et historique et, donc, qui sont vus par les élèves comme des sujets “étrangers”. En l’absence de recherches systématiques et d’expériences contrôlées, je ne peux qu’offrir quelques observations et mes opinions personnelles à propos de l’enseignement de l’histoire et de la géographie du monde, c’est-à-dire ce que j’enseigne actuellement. Il faut aussi préciser que l’histoire et la géographie du monde enseignées dans le programme américain de sixième année font partie d’un programme très ambitieux qui commence avec la préhistoire et continue avec les premières grandes civilisations de l’Inde jusqu’à la Chine pour arriver aux Grecs et Romains, puis le Moyen Age en finissant avec la Renaissance et l’Age d’Exploration en passant par les civilisations de l’Amérique du Sud.

Pourquoi les élèves d’immersion répondent-ils mieux à l’enseignement de l’histoire et de la géographie du monde que les élèves en programme normal ?

Je pense que la raison la plus frappante est tout simplement qu’en immersion les élèves apprennent à accepter que les idées, les cultures, et le vocabulaire sont différents. En sixième année, une grande partie du programme est d’apprendre le vocabulaire nécessaire pour comprendre les grands événements et d’ouvrir l’esprit de l’enfant pour pouvoir identifier correctement des liens de causalité. Souvent les élèves en programme normal sont bloqués par le vocabulaire et sont alors limités dans leur apprentissage historique. En immersion, le vocabulaire est accepté comme un obstacle ordinaire et abordable, comme pour toute autre activité dans les cours d’immersion.

Mes élèves d’immersion, à force d’avoir passé 5 à 6 ans avec des professeurs d’origines diverses (américaine, canadienne, belge, française et sénégalaise), sont aussi plus prêts à accepter des différences culturelles et de vouloir s’engager dans un discours comparatif.

La classe d’immersion est donc un environnement propice pour enseigner l’histoire et la géographie du monde, mais ce programme rencontre des limites dans d’autres matières (notamment l’enseignement de l’histoire des États-Unis) et pose problème en ce qui concerne la recherche et la création des matériels et des ressources scolaires et la préparation de tests standardisés. Si l’histoire et la géographie du monde sont faciles à enseigner en immersion c’est au moins en partie grâce au réseau immense qui existe soit par internet soit à la librairie sur le sujet.

Les ressources en français sur l’histoire des États-Unis pour un public de 10 à 15 ans sont vraiment très limitées, voire inexistantes.

D’ailleurs, comment utiliser des sources primaires (c’est-à-dire écrite par des acteurs historiques américains) tout en respectant la pédagogie de la méthode d’immersion (basée sur l’usage systématique du français) ? L’histoire des États-Unis est aussi un sujet à fort coefficient dans le test standardisé donné à la fin du collège (équivalent du brevet des collèges). Visiblement, ce sujet demande beaucoup au professeur d’immersion. Alors que le vocabulaire étranger était un atout dans les cours de l’histoire du monde, pour l’histoire des États-Unis, comprendre le vocabulaire en anglais fait partie de la tâche civique et donc pose un problème intéressant. La question se pose aussi, est-ce qu’apprendre sa propre histoire dans une langue étrangère risque d’éloigner l’enfant du sujet et limiter sa capacité de faire sien les concepts ? L’histoire des États-Unis dans le programme d’immersion est donc un acte délicat d’équilibre mais aussi, dans le contexte de la Louisiane, un acte véritablement multi-culturel.

Les cours d’immersion offerts deviennent chaque année plus nombreux dans les écoles américaines, malheureusement plus souvent en espagnol qu’en français. Avec toutes les ressources déjà disponibles en espagnol aux États-Unis, c’est facile de démarrer un programme d’immersion. La proximité du Mexique et des raisons financières permettent aussi plus facilement de recruter les parents et les professeurs. Sans doute y a-t-il aussi des avantages à créer des programmes d’immersion espagnole, mais je ne peux que croire que l’influence civilisatrice et humaniste de la culture francophone a une place unique dans le monde d’immersion qui doit être défendue et prônée.

DB
Professeur d’immersion en 1er Grade
Henry Heights Elementary, Lake Charles

L'enseignement précoce d'une langue en immersion permet chez les jeunes enfants de renforcer leurs connaissances et leur réflexion sur leur langue maternelle par le biais de l'étude de la seconde langue. En effet, l'apprentissage de la lecture permet aux élèves de faire des comparaisons entre les sons et les graphèmes anglais et français. Ils prennent donc spontanément pour habitude de comparer les phonèmes dans les deux langues par le biais de prénoms ou de mots usuels.

Par exemple, deux élèves de ma classe s'appellent Dawson et Austin. Lors de l'étude des sons "ON" et "IN" en français la majorité des élèves ont spontanément fait le lien avec ces prénoms et se sont mis à prononcer leur prénom à la française, tout en indiquant qu'en anglais le "ON" et "IN" ne font pas les mêmes sons.

Les enfants posent fréquemment des questions afin que les enseignants les aident à construire leur phrase. Par ce biais on remarque qu'ils s'interrogent sur les formes passés et futures du français et les comparent avec celles de leur langue maternelle. Les questions sont souvent de ce type : "En anglais on dit "I saw", pourquoi en français il y a 3 mots lorsqu'on dit "J'ai vu" ?" ou encore "Pourquoi "J'ai vu" veut parfois dire "I got" alors que parfois tu le dis quand tu parles au passé ?". De plus, les jeunes enfants s'essayent très rapidement à utiliser les mots qu'ils ont appris à des moments différents pour essayer de fabriquer des phrases. Par exemple, "Je regarde tu", "Maman conduit je à l'école", "Moi et sœur mangent pizza".

On remarque que les pédagogies préconisant l'enseignement du vocabulaire trouvent tout leur sens dans l'enseignement précoce d'une langue. Le vocabulaire enseigné doit partir d'un besoin langagier réel de l'élève, faute de quoi la structure et le vocabulaire ne sont pas retenus.

Pour le champ disciplinaire des mathématiques, l'apprentissage précoce d'une langue n'est pas un frein. Cependant pour les sciences sociales si le vocabulaire n'est pas travaillé et appris au préalable, cela devient réellement difficile. Car les élèves ont d'une part le vocabulaire de la leçon à acquérir et d'autre part les idées de la leçon. L'acquisition du lexique spécifique nécessaire à la leçon est la condition sine qua non pour acquérir le concept de la leçon. Sans le premier, l'autre ne peut se réaliser.

La première difficulté que l'on peut constater dans l'enseignement d'une langue aux jeunes enfants est le manque de temps, mon programme d'immersion ne comporte que 30 minutes de français par jour, qui ne sont que 15 minutes effectives, en raison de la répartition de mes élèves dans plusieurs classes et de l'horaire du repas. Ces 15 minutes malgré un fort enthousiasme des élèves sont un réel frein.

La seconde difficulté est que si le milieu socioculturel n'influence pas l'apprentissage d'une langue, il détermine cependant en grande partie les compétences langagières orales des élèves. J'enseigne dans l'établissement ayant les résultats les plus faibles au "I-Leap test", "Scantron" et "Diebels" de toute la paroisse.

J'ai pu constater que comme mes anciens élèves de Sarcelles, mes élèves américains n'ont pas un lexique riches et variés dans leur langue maternelle, et répondent très souvent à des questions par des mots-phrases c'est-à-dire : "oui", "non". Il est alors difficile de les conduire en langue seconde à construire des phrases complexes et argumenter leurs réponses et expliquer leur raisonnement.

L'apprentissage précoce d'une langue développe considérablement la curiosité des élèves, cette dernière étant un moteur formidable pour les apprentissages culturels.

Amélie Ferré
Professeur de FLE
Lockport Upper Elementary, Lockport

Depuis deux ans, j’enseigne le français langue étrangère en Louisiane aux États-Unis. Je suis chargée de classes primaires et suis employée par le CODOFIL. C’est à cet organisme d’État que l’on a confié la tâche de participer à la sauvegarde du français en Louisiane, à sa redynamisation et à sa diffusion la plus large possible. Il est donc le principal acteur en matière de français dans cet État. Sa mission consiste à donner la possibilité de soutenir le français sous toutes ses formes et d’offrir aux jeunes générations louisianaises le pouvoir de conserver et de transmettre leur héritage.

Selon James Domengeaux, fervent défenseur du français en Louisiane et instigateur du CODOFIL : "L’école a détruit le français, l’école va le faire revivre." Le CODOFIL s’est donc donné un objectif principal dans le milieu scolaire: mettre à la disposition des différentes commissions scolaires de l’État (1), des enseignants de français venus de l’étranger, de Belgique, du Québec, et de France dont je fais partie.

La Louisiane est une région francophone, malheureusement, la dernière génération ayant pour langue maternelle le français s’éteint, et ses enfants ne connaissent pas la langue de leurs parents ni grands-parents. Les français de Louisiane disparaissent et le CODOFIL risque de devenir dans quelque temps le musée d’une histoire perdue et oubliée. Participant en tant qu’enseignante à ce projet de redynamisation, j’ai pu faire un certain nombre d’observations sur mon lieu de vie et de travail pour l’analyse de cette situation.

J’enseigne et je vis à Lockport, une ville qui se situe dans la paroisse Lafourche, le long du bayou du même nom, au sud-est de la Louisiane, à une heure à l’ouest de la Nouvelle Orléans et deux heures au sud de Bâton Rouge.

Lafourche est une paroisse francophone, on y parle le français cadien surtout dans le sud du bayou. Cette paroisse repliée sur elle-même a su conserver une certaine authenticité et quelques traditions culturelles, héritages de leur culture francophone et créole. Malheureusement, les enfants de cette école, ne parlent pas français, ou seulement quelques mots. A Lafourche, toutes les écoles élémentaires ont un programme d’enseignement du français langue étrangère, du "Kindergarden" au grade 5 (2). La plupart des "Middle School", les collèges, ont un programme de français et les trois "High School" de Lafourche proposent un enseignement d’espagnol ou de français.

Mon école publique, Lockport Upper Elementary, accueille des enfants âgés de 7 à 11 ans, des grades 3 à 5 (CE2, CM1, CM2). Le français y bénéficie d’une place importante dans le cursus scolaire (nous sommes trois enseignantes de français) mais aussi d’un manque de considération qui peut sembler surprenant vu le contexte francophone. Le rôle du professeur de français n’est pas très clair, on lui demande d’être faiseur de "planning time" (3), d’être professeur de français bien sûr, mais aussi d’art, et de sport. Il doit se plier aux volontés de son/sa Principal (e) (4), le Directeur de l’école primaire, et surtout ne pas créer de problèmes, ni demander quoi que ce soit.

Nous devons nous débrouiller avec les moyens du bord, car le budget prévu est souvent insuffisant et n’arrive que très tard dans l’année. Vu le contexte économique et social (5) des enfants de mon école, on ne peut pas se permettre de leur demander d’apporter des fournitures pour un projet précis.

D’autre part, nous sommes des professeurs "itinérants", nous n’avons pas de salle de classe. Nous transportons tout notre matériel dans un petit chariot et nous nous déplaçons de classe en classe. Le matériel pédagogique adapté au contexte francophone louisianais fait défaut, et nous disposons de ressources pédagogiques limitées. Voici donc la situation d’enseignement du français à Lockport, pas forcément favorable, mais il suffit de quelques mois pour comprendre ce que l’on attend de nous et s’adapter.

Je suis arrivée en août 2006 dans mon école, où le français est intégré dans le cursus scolaire depuis des années, je m’attendais donc à suivre un programme fixé par le School Board. J’ai très vite pris conscience qu’il n’y avait pas de programme établi par la coordination pour orienter l’enseignement et le rendre ainsi homogène et consistant dans la paroisse.

A notre arrivée, on nous donne une vague idée des objectifs attendus par le Département d’éducation de l’État de Louisiane, sous la forme de capacités de communication. Ce sont les "Benchmarks", objectifs à atteindre, formulés sous la forme de codes, inadaptés aux conditions d’enseignement. En effet, il est très difficile d’avoir des groupes cohérents tout au long de l’année : les élèves sont constamment retirés de la classe de français pour suivre des programmes de remédiation, puis remis en milieu d’année dans la classe de français.

On enseigne le français langue étrangère sans avoir de compte à rendre ni d’objectifs précis à atteindre en classes élémentaires (6). Dans un sens, cette dernière réalité est plutôt agréable, mais elle a des conséquences. Le professeur est donc libre d’aller à son rythme, de s’adapter aux groupes qu’il a en charge et de traiter les thèmes dans l’ordre qui lui convient le mieux. D’un autre côté, les professeurs sont un peu laissés dans le vague, ils doivent se fixer leurs propres objectifs dans chaque école, en concertation avec les autres enseignants de français, s’il y en a, et/ou s’ils sont disposés à collaborer. D’autre part, à Lafourche, il y a beaucoup de mouvement, les enfants partent de l’école en milieu d’année, parfois reviennent l’année d’après ou s’installent dans un autre village de la Paroisse. A ce moment, on réalise qu’aucune école ne fonctionne de la même façon pour le français, et ne traite pas les mêmes sujets.

Au niveau de la réception du français, le professeur n’a pas vraiment de moyen de pression pour stimuler le travail, car il n’y a aucun test imposé à l’enfant ni de note qui sanctionne son travail tout au long de l’année. A Lafourche, le niveau de l’élève est évalué par trois appréciations : "satisfaisant", "insatisfaisant", "doit améliorer". Le français est donc une matière secondaire, peu importante, c’est à l’enseignant de trouver un moyen de rendre sa matière intéressante et bénéfique. Nous devons faire comprendre à l’enfant ce que peut lui apporter notre enseignement et notre présence au sein de l’école. Le français a quelque chose de différent par rapport aux autres matières, nous n’avons pas la pression du programme à finir pour les examens (LEAP et ILEAP (7)) de fin d’année. Le professeur de français ne donne pas de devoir chaque jour, ni de livre à lire.

Le français, c’est "fun" (8), c’est un moment de détente pour les enfants. Il est important de profiter de cette place spéciale dans la journée pour montrer que notre rôle dépasse l’apprentissage de la langue française, c’est aussi la prise de conscience chez les enfants et les adultes qui gravitent autour d’eux, que la Louisiane est l’héritière d’un patrimoine menacé, qu’elle fait partie d’un ensemble ayant une langue partagée. Il est donc intéressant d’axer toute une thématique autour de la Francophonie et de montrer que la Louisiane ainsi que le pays dont est issu leur professeur, sont des éléments de cet ensemble.

On doit toucher une génération d’enfants qui n’a pas encore conscience qu’elle est une pièce de la Francophonie. Quelles stratégies adopter ?

Il s’agit dans un premier temps, d’instaurer un climat francophone dans la classe. Ceci n’est pas forcément évident quand on ne dispose pas d’une classe à soi où l’on peut afficher ce que l’on veut, pour baigner les enfants dans une ambiance en français. Il faut donc ne parler qu’en français, faire connaître aux enfants dès le début de l’année les mots utiles pour les consignes, de donner les directives en français et d’attendre une réponse physique. On utilise la technique des TPR : "Total Physical Response".

Ils intègrent donc assez vite par ce biais toutes les consignes de mouvement : levez-vous, rangez-vous, viens au tableau, courez, marchez… C’est ici que l’éducation physique et sportive est un réel outil d’enseignement et de communication en français. Nous les faisons jouer en français à certains sports collectifs. Les consignes pour le travail en art sont également données en français. Grâce au système de répétitions et à la routine qui s’installe très vite, ces outils de formulations deviennent spontanés et on s’aperçoit qu’en trois ans de français, c’est ce que les enfants retiennent le mieux.

Un autre point, très positif, vient soutenir ce climat francophone que l’on tente d’installer dans la classe, au niveau de l’école cette fois. Tous les matins, deux ou trois enfants récitent le "Pledge" (Serment d’allégeance au drapeau des États-Unis) qui est diffusé dans toute l’école. Dans mon école, tous les vendredis, il est dit en français. Nous essayons donc de mettre en place une ambiance francophile et francophone dans la classe et dans l’école, en communicant en français et en mettant les enfants en contact avec la Francophonie en tant qu’espace géographique et linguistique.

En 4e grade (CM1), le test de fin d’année (LEAP) exerce beaucoup de pression sur l’administration, les professeurs et les enfants. La réussite des élèves est un enjeu réel pour toute l’école. Certains enseignants de français de la Paroisse et d’ailleurs ont pris conscience de la possibilité de rendre le français vraiment utile dans l’école et ont construit un plan de cours annuel en français, autour du programme américain. Il est intéressant d’aborder certains thèmes en français pour renforcer la préparation aux examens. Intégrer les enseignements du programme dans la matière français, le "Cross Curriculum" (à travers le programme) apporte un plus à l’enfant et valorise notre enseignement en contribuant à fixer des connaissances nécessaires à la réussite scolaire de l’enfant, objectif de la loi No Child Left Behind.

Une autre stratégie pédagogique, essentielle pour moi, c’est la sensibilisation des enfants à l’histoire cadienne. C’est ainsi qu’au moment de voir la famille, je prends un instant pour parler des noms de famille, de là que part une discussion sur l’origine de leurs noms, leurs racines et je réserve ainsi plusieurs séances sur l’histoire des Acadiens et du peuplement de la Louisiane.

Ce sont quelques-unes des stratégies d’enseignement que j’utilise afin de m’adapter au contexte particulier de la Louisiane. Les enseignants du CODOFIL, même s’ils illustrent une grande part de la Francophonie, ne représentent pas les types de français que l’on trouve en Louisiane. Il y a au sein des écoles, des enseignants louisianais (9), mais trop peu pour pouvoir toucher la majorité de la population scolaire.

La mission du CODOFIL n’est-elle pas de préserver et diffuser le français "tel qu’il se parle en Louisiane" ? En tant qu’enseignante française, cette expérience reste unique mais je ressens tout de même un certain sentiment de culpabilité à enseigner un français standard, le français "CODOFIL", dans un milieu francophone et contribuer d’une certaine façon à l’extinction des particularités de la langue française en Louisiane.

Je m’attache donc à insister sur les raisons de ma présence, et tente de sensibiliser les enfants au caractère unique de la Louisiane, qu’ils aient l’envie de renouer un jour, un lien avec leur héritage culturel par le biais de la langue française.

Notes

1. School board de chaque paroisse.
2. Equivalent de la dernière année de maternelle au CM2 en France.
3. Temps de préparation des cours. Les professeurs des écoles disposent de ce temps une heure chaque jour.
4. La plupart du temps c’est une femme. L’éducation est une affaire plus féminine que masculine aux États-Unis. Dans notre école, toutes les enseignantes ainsi que la Direction sont des femmes.
5. Le public de l’école Lockport Upper Elementary est issu d’un milieu social plutôt moyen, voire défavorisé.
6. Aux niveaux collèges et lycées, ce n’est pas le cas.
7. Tests standardisés de l’État de Louisiane. Les résultats sont déterminants pour l’image de l’école.
8. Amusant.
9. Presqu’autant d’enseignants louisianais, qu’étrangers en FLE.

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