Magali Lemeunier-Quéré
Chercheur associé au CREDILIF, université de Rennes
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(Centre de recherche sur la diversité linguistique de la francophonie)
Face au grand nombre de méthodes qui existe sur le marché, et malgré le renouvellement de celles-ci, il est toujours difficile d’opter pour l’une d’entre elles puisque aucune ne répondra spécifiquement au public auquel on doit s’adresser. Par ailleurs, les pré-requis culturels imposés aux apprenants et les stéréotypes véhiculés par les méthodes commercialisées ne représentant que quelques-uns des inconvénients à surmonter, la création de matériel didactique devient un enjeu face auquel, cependant, un contrat s’impose à l’enseignant en même temps qu’une grande capacité à s’auto-évaluer.
S’il est majoritairement "apprenant du français comme langue étrangère", le public qui fréquente les centres de langue n’est pas "globalement" FLE pour autant, au sens parisien et éditorial du terme (1), surtout lorsque l’apprentissage du français dure depuis quelques années. Que dire alors des collégiens et lycéens des établissements bilingues, ou qui suivent une scolarité en français à l’Ecole française, sans pour autant avoir le français pour langue maternelle, se rapprochant ainsi du français langue seconde... que seules quelques créations locales (particulièrement en Afrique) prennent en compte ?
Espérances pratiques au terme de l’apprentissage, âge, hétérogénéité des nationalités au sein du groupe, origines culturelles plus ou moins conformes aux pré-requis culturels imposés par les méthodes viennent, de plus, systématiquement contredire la bonne volonté commerçante qui vante le "tout public" sur ses produits didactiques.
Si l’on veut, par ailleurs, prendre en compte le fait que les antécédents académiques du public peuvent parfois poser problème puisque les méthodes disponibles sont certes nombreuses mais pas encore en nombre suffisant pour qu’un nouvel arrivé ne risque pas de devoir réutiliser le même manuel au sein d’une nouvelle institution ; si l’on considère que les programmes et objectifs définis par certaines institutions ne permettent pas de se satisfaire d’une méthode mais imposent de recourir à une multitude de médias pour répondre aux besoins identifiés pour chaque niveau ; si, au bout du compte, et en toute honnêteté, on veut bien comprendre et accepter que certains pays ou certaines écoles, y compris en Europe, n’ont pas le potentiel économique suffisant pour financer l’achat en nombre de méthodes françaises, un constat s’impose : la didactique doit être créatrice pour que l’enseignement soit équitable. Le public "global" n’existant que pour des raisons commerciales, tout enseignement du français doit s’adapter aux conditions locales de son exercice.
Ainsi, l’enseignement se fait-il toujours sur "objectifs spécifiques" : ceux qui viennent répondre aux besoins identifiés chez le public et au contexte local dans lequel l’apprentissage doit être mis en place. Face à cette constatation, l’élaboration personnelle d’outils d’enseignement ne peut être que rédhibitoire. Mais, au-delà de cela, c’est la nécessité d’une coopération entre enseignants voire entre établissements que l’on mettra en avant pour insister sur le devoir de création inhérent au statut d’enseignant et, corrélativement, sur le plaisir personnel et la valorisation de soi qui en émergeront.
D’un point de vue purement didactique, voici les raisons qui doivent inciter à exploiter des documents authentiques :
En bref, il s’agit essentiellement de se centrer sur l’apprenant ! Ce que beaucoup prétendent ne plus avoir à entendre... et pourtant !
De même que l’on peut savoir qu’il faut se centrer sur l’apprenant pour enseigner et ne le faire que virtuellement, on peut utiliser des documents authentiques sans savoir le faire ! Les compétences techniques de l’enseignant sont ici visées mais pas uniquement.
L’enseignement du FLE et du FLS, en France et à l’étranger, nous l’apprend, en dehors du fait que le "tout authentique" ne peut être réservé qu’à un très petit nombre d’enseignants (véritablement formés, expérimentés, motivés, recrutés par des institutions ouvertes à l’innovation, souvent bien payés et médiatiquement choyés en termes de sources à exploiter), tout document parce qu’il est authentique ne mérite pas, pour autant, de faire son entrée en classe.
L’enseignant qui désire avoir recours à ce type de support devra accepter de passer un contrat avec lui-même en s’imposant, malgré tout, de respecter d’une part les besoins réels de son public et d’autre part les objectifs fixés par l’institution. Il s’agit, en effet, de servir le programme officiel et non de le détourner au risque de faire naître des incohérences au sein de la progression générale des niveaux (3). L’affirmation de la liberté d’innover à travers des choix pédagogiques et didactiques ne doit pas, en effet, remettre en cause les chances de réussite des apprenants lors d’évaluations qui sont parfois communes avec d’autres classes, nationales voire internationales, et encore moins faire encourir à l’enseignant créatif le risque d’une condamnation par ses pairs et collègues parce qu’il aura, à lui seul, et sans pouvoir le justifier sur une base officielle, voulu porter la révolution dans les pratiques d’enseignement de son établissement. On touche alors au compromis par l’ajustement et non à la compromission par l’autocensure.
En dehors de ces considérations plus diplomatiques que didactiques, l’exploitation de documents authentiques relève d’un savoir technique qui trouve sa place entre savoir-faire et savoir-être et que l’enseignant doit mettre en avant en sachant évaluer le degré de pertinence du document choisi face à une gamme toujours étendue de supports, en sachant mesurer le degré d’exception ou de conformité sociale d’une pratique culturelle / linguistique, en sachant décrire (si le document est importé) la culture et la langue enseignées à quelqu’un qui ne les partage pas, en sachant situer socialement une opinion donnée et en sachant repérer les malentendus culturels qui pourraient naître de la fréquentation de ces mêmes documents (4).
Il restera alors à se poser certaines questions :
Les pré-requis à l’utilisation de ce genre de document sont les suivants :
Avant de proposer le document aux apprenants, on pensera à :
Par rapport à ses élèves, l’enseignant cherchera à :
Par rapport à lui-même, l’objectif de l’enseignant sera de se doter d’un outil de travail correspondant au mieux à ses prérogatives et au contexte socio-culturel avec lequel il doit composer, d’offrir des documents qui ne soient pas uniquement source d’apprentissages pour les élèves mais aussi porteurs d’enseignements pour l’enseignant lui-même (autoformation par le biais de la création) et de valoriser une "démarche multimédia" permettant d’inscrire le français dans une réalité actuelle et vivante et de donner à la langue un statut valorisant.
Les conditions nécessaires à une élaboration performante de documents didactiques relèvent :
À long terme, on pourra envisager de faire un recueil des documents produits et, pourquoi pas, donner ainsi naissance à un manuel d’enseignement mis au point localement ou, à défaut, à une banque de données qui viendra répondre à des besoins identifiés localement pour compléter ou se substituer à des méthodes parisiennes dans leur conception sinon dans leurs contenus, perçues comme modernes et donc adaptées quand la modernité est, avant tout, l’adaptabilité.
1. Lire V. Lemeunier, "Le marché du FLE : un marché de dupes ?" in Une identité plurielle, Mélanges offerts à Louis Porcher, L’Harmattan, 2003.
2. Rappelons les stratégies utilisées par certaines maisons d’édition pour "convaincre" d’acheter une méthode en nombre même si elle ne convient que très imparfaitement : tarifs préférentiels, lot important de specimen laissé en cadeau, prise en charge du quota d’ouvrages à fournir aux services de censure dans certains pays, etc.
3. Le problème devient encore plus dommageable lorsque le programme officiel n’est plus respecté par un ou plusieurs établissements conventionnés par des ONG ou des organismes francophones qui gèrent alors un parc d’établissements bien défini comme leur pré carré et non plus comme des éléments d’un système éducatif national. Il n’est plus ici question d’émulation mais de concurrence au sens commercial du terme.
4. Lire coll., "Retrouver le sens perdu ou les fausses identités du document authentiquement publicitaire" in La médiation et la didactique des langues et des cultures, FDLM, Recherches et Applications, janvier 2003 et J.-C. Beacco, "Documents pour la classe : quels critères ?" in FDLM n° 214, janvier 1988.
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