Aborder
le thème du logement en classe de français par le biais
d’une enquête ethnographique : c’est l’activité
que nous vous proposons dans cette fiche, qui s’appuie sur les ateliers
animés par l’association Ethnologues en herbe et son site
internet Ethnoclic.net.
Il s’agit dans cette enquête d’amener les élèves
à explorer leur environnement quotidien et plus spécifiquement
l’habitat de leur quartier : raconter des scènes de
la vie quotidienne ; décrire leur quartier sous forme de notes,
de croquis, de listes ; photographier les lieux devant lesquels ils
passent chaque jour ; s’entretenir avec les habitants ;
établir un lexique du quartier ; cartographier leurs espaces
de vie ; inventorier des objets ; collecter des traces…
Les documents réalisés au cours de cette enquête pourront
être déposés sur le site Ethnoclic.net.
Les ethnologues en herbe pourront ainsi confronter les résultats de leur
enquête avec ceux d’autres apprenants dans d’autres
villes, sur d’autres continents, et ainsi percevoir la diversité
des cultures dans la vie quotidienne.
Dans ses ateliers consacrés à l’observation et à la description des espaces quotidiens, l’association Ethnologues en herbe invite les élèves à explorer leur quartier, leur maison, leur immeuble ou encore leur chambre.
Ces ateliers s’inspirent notamment des textes de Georges Perec tels que Espèces d’espaces ou Tentative d’épuisement d’un lieu parisien. Dans Espèces d'espaces, G. Perec s'appuie sur l'attention au banal et force à s'interroger sur la dimension historique de l'espace donné. Il propose par ailleurs un inventaire des espaces, utile dans le cadre des ateliers d’ethnographie où cette notion d’inventaire de lieux, d’objets, etc. est très souvent utilisée.
L'inhabitable
L'inhabitable : la mer dépotoir, les côtes hérissées
de fil de fer barbelé, la terre pelée, la terre charnier,
les monceaux de carcasses, les fleuves bourbiers, les villes nauséabondes
L’inhabitable : l’architecture du mépris et de
la frime, la gloriole médiocre des tours et des buildings, les
milliers de cagibis entassés les uns au-dessus des autres, l’esbroufe
chiche des sièges sociaux
L’inhabitable : l’étriqué, l’irrespirable,
le petit, le mesquin, le rétréci, le calculé au plus
juste
L’inhabitable : le parqué, l’interdit, l’encagé,
le verrouillé, les murs hérissés de tessons de bouteilles,
les judas, les blindages
L’inhabitable : les bidonvilles, les villes bidon
L’hostile, le gris, l’anonyme, le laid, les couloirs du métro,
les bains-douches, les hangars, les parkings, les centres de tri, les
guichets, les chambres d’hôtel
Les fabriques, les casernes, les prisons, les asiles, les hospices, les
lycées, les cours d’assise, les cours d’école
L’espace parcimonieux de la propriété privée,
les greniers aménagés, les superbes garçonnières,
les coquets studios dans leur nid de verdure, les élégants
pied-à-terre, les triples réceptions, les vastes séjours
en plein ciel, vue imprenable, double exposition, arbres, poutres, caractère,
luxueusement aménagé par le décorateur, balcon, téléphone,
soleil, dégagements, vraie cheminée, loggia, évier
à deux bacs (inox), calme, jardinet privatif, affaire exceptionnelle
Georges Perec, Espèces d'espaces, Galilée, 1972
L’enquête ethnographique, qui consiste à observer et à décrire un environnement quotidien, à s’étonner de ce qui semblait le plus familier (ce que nous vivons quotidiennement dans la société où nous sommes nés ou qui nous accueille depuis longtemps) et à rendre plus familier ce qui paraissait originellement étrange et étranger (les comportements, les croyances, les coutumes des sociétés qui ne sont pas les nôtres), s’appuie sur diverses techniques d’exploration particulièrement intéressantes à utiliser avec des apprenants de français : l’écriture (la tenue d’un carnet de bord suscite de nombreuses productions écrites), la photographie, la cartographie, la vidéo ou encore l’entretien.
Le
carnet
de bord est le principal support de l’enquête ethnographique.
C’est familièrement "un journal tenu au jour le jour
de façon détaillée". Chaque élève
dispose de son carnet de bord où il consigne les résultats
de son enquête de terrain au fil du temps. Ce "journal de terrain"
sert à prendre des notes au vol,
à transcrire des entretiens, à dessiner un paysage, une
scène de la vie quotidienne, un objet et à les décrire,
etc. Il est généralement enrichi de photos, croquis, dessins
ou encore schémas géographiques. Il se double d’une
réflexion personnelle permettant de prendre une distance critique
par rapport à l’ensemble des notes.
Le carnet de bord convoque presque tous les types d’écritures ou de discours : le discours explicatif qui permet de restituer le plus fidèlement possible la réalité, le discours descriptif qui offre une restitution de la réalité plus subjective, en mettant en évidence le point de vue de l'auteur, le discours narratif qui permet de situer les événements observés dans le temps, mais aussi le discours poétique, en ce que l’observation et la description de la quotidienneté ont pour but de réenchanter le monde…
Exemples :
L’inventaire est l'une des premières étapes de l’enquête de terrain. Voici comment on peut procéder :
Tentative
d'épuisement d'un lieu parisien
En octobre 1974, G. Perec s'installe place Saint-Sulpice, dans le
6e arrondissement de Paris. Pendant trois jours d'affilée
et à différents moments de la journée, il tente de
prendre note de tout ce qu'il voit : les événements
ordinaires de la rue, les gens, véhicules, animaux, nuages et le
passage du temps. Il en établit ainsi une liste.
Extrait :
La date : 18 octobre 1974
L'heure : 10 h. 30
Le lieu : Tabac Saint-Sulpice
Le temps : Froid sec. Ciel gris. Quelques éclaircies.
Esquisse d'un inventaire de quelques-unes des choses strictement visibles :
– Des lettres de l'alphabet, des mots "KLM" (sur
la pochette d'un promeneur), un "P" majuscule qui signifie "parking",
"Hôtel Récamier", "St-Raphaël",
"l'épargne à la dérive", "Taxis tête
de station", "Rue du Vieux-Colombier", "Brasserie-bar
La Fontaine Saint-Sulpice", "PELF", "Parc Saint Sulpice".
– Des symboles conventionnels : des flèches, sous
le "P" des parkings, l'une légèrement pointée
vers le sol, l'autre orientée en direction de la rue Bonaparte
(côté Luxembourg), au moins quatre panneaux de sens interdit
(un cinquième en reflet dans une des glaces du café).
– Des chiffres : 86 (au sommet d'un autobus de la ligne
n° 86, surmontant l'indication du lieu où il se rend :
Saint-Germain-des-Prés), 1 (plaque du n° 1 de la rue du
Vieux-Colombier ), 6 (sur la place indiquant que nous nous trouvons dans
le 6e arrondissement de Paris).
– Des slogans fugitifs : "De l'autobus, je regarde
Paris"
– De la terre : du gravier tassé et du sable.
– De la pierre : la bordure des trottoirs, une fontaine,
une église, des maisons…
– De l'asphalte
– Des arbres (feuilles, souvent jaunissants)
– Un morceau assez grand de ciel (peut-être 1/6e
de mon champ visuel)
– Une nuée de pigeons qui s'abat soudain sur le terre-plein
central, entre l'église et la fontaine
– Des véhicules (leur inventaire reste à faire)
– Des êtres humains
– Une espèce de basset
– Un pain (baguette)
– Une salade (frisée ?) débordant partiellement
d'un cabas
Trajectoires :
Le 96 va à la gare Montparnasse
Le 84 va à la porte de Champerret
Le 70 va Place du Dr Hayem, Maison de l'O.R.T.F.
Le 86 va à Saint-Germain-des-Prés
Exigez le Roquefort Société le vrai dans son ovale vert
Aucune eau ne jaillit de la fontaine. Des pigeons se sont posés
sur le rebord d'une de ses vasques.
Sur le terre-plein, il y a des bancs, des bancs doubles avec un dosseret
unique. Je peux, de ma place, en compter jusqu'à six. Quatre sont
vides. Trois clochards aux gestes classiques (boire du rouge à
la bouteille) sur le sixième.
Couleurs :
rouge (Fiat, robe, St-Raphaël, sens uniques)
sac bleu
chaussures vertes
imperméable vert
taxi bleu
deux-chevaux bleue
Georges Perec, Tentative d'épuisement d'un lieu parisien, Christian Bourgeois Éditeur, 1975
Lire
la suite de l'extrait
Avant de lancer les élèves dans le projet d’une enquête ethnographique sur leur quartier, il convient de leur donner quelques conseils à propos du sujet de l'observation et des différentes manières de l'observer.
Autre
méthode d’observation, la cartographie
consiste à replacer sur des plans de préférence dessinés
par les élèves (memory maps) les repères,
les frontières, les groupes ou individus rencontrés, les
objets importants, etc.
La
méthode
photographique est souvent recommandée pendant les enquêtes.
Les photos sont toutes commentées et situées : heure,
place, etc. On reporte ces indications sur le Carnet où des séquences
de photos sont reconstruites et commentées.
Les prises d’image ont au moins trois intérêts majeurs pour l’ethnologue. Elles lui permettent d’observer avec recul les clichés pris sur le vif. Elles peuvent aussi révéler des choses photographiées qui n’étaient pas ce que le photographe s’était fixé comme objectif principal. En agençant une série de photographies, l’observateur peut prendre conscience d’une réalité supplémentaire.
L’entretien avec des personnes-ressources (habitants d’un quartier, membres d’une famille, d’un club, etc.), qui peut aller du "récit de vie" (autobiographie) à un ensemble de questions posées en fonction du thème d’observation, est au cœur de l’enquête ethnographique.
On peut décrire et distinguer trois types d’entretiens en profondeur.
Dans une enquête sur l’habitat, les élèves peuvent être invités à mener une brève enquête ethnographique dans leur propre logement : immeuble, maison, chambre, etc. Si ce thème suscite une réticence de la part des élèves, s'il est ressenti comme une percée dans l'intimité familiale, on peut proposer aux élèves, quand ils habitent un immeuble par exemple ou une cité, d'interroger d'autres habitants. On peut aussi demander aux ethnologues en herbe de décrire un moment où ils sont en visite chez un parent, un voisin, un ami. Afin de rester en dehors du registre intime, on peut aborder la description de l'habitat depuis l'extérieur.
Les questions suivantes peuvent être posées par les élèves aux habitants d’un immeuble :
Voici quelques pistes d’observation :
Pour aborder l'espace de la chambre, on pourrait par exemple inviter les élèves à faire un voyage autour de leur chambre en désignant les espaces dédiés à tel ou tel usage, en les décrivant, en choisissant une série d'objets précieux parce qu’ils renvoient à un souvenir, à une personne, à un hobby, etc. Les inviter à décrire le décor, l’évolution des aménagements de la chambre, la chambre dont ils rêveraient…
L’association Ethnologues en herbe prévoit entre 6 et 10 séances, réparties sur 2 à 5 mois. Les enseignants qui ne souhaitent pas consacrer tant de temps à cette enquête peuvent puiser seulement quelques éléments du contenu de ces séances.
Globalement, les types de contenus suivants sont récoltés :
Inciter les élèves à construire leur propre mode d’observation en prévision des sorties qui suivent sur le terrain, en leur donnant les pistes suivantes :
Définir avec les élèves les trajets qui constitueront les sorties sur le terrain d’observation. Nommer précisément les repères de ces trajets en termes de lieux, de personnes rencontrées, etc.
Source des pistes proposées : L'atelier d'ethnographie, Livret de l'association Ethnologues en herbe pour l'éducation à la diversité culturelle, Chantal Deltenre-De Bruycker, publié avec le soutien de la Région Ile de France, de l’ACSE (Agence nationale pour la Cohésion sociale et l’égalité des chances) et de Fondation RATP. Disponible sur demande.
Ethnologues en herbe
Une approche locale et internationale
Animée par des ethnologues et des spécialistes du multimédia,
l’association Ethnologues en herbe conjugue deux approches :
l’une, locale, consiste à animer des ateliers d’ethnographie
de la vie quotidienne dans des écoles, collèges, lycées,
en particulier auprès d’élèves nouveaux arrivants
en France. L’autre, internationale, permet à des classes
de se mettre en réseau sur un site portail Ethnoclic.net qui donne
à voir les résultats des enquêtes ethnographiques
menées localement avec ou sans les ethnologues de l’association.
Des fiches pédagogiques permettent en effet à des enseignants
du monde entier de mener un atelier à distance tout en bénéficiant des conseils des ethnologues de l’association.
Des ateliers d’ethnographie
Les ateliers proposent aux élèves de s’approprier
l’enquête ethnographique pour décrypter leur environnement
proche. Deux types d’ateliers sont proposés : les uns,
s’inspirant de l’ethnologie urbaine, sont consacrés
à l’ethnographie des quartiers ; les autres proposent
la découverte de la diversité des patrimoines culturels
à travers les collections de musées d’ethnologie,
les objets rituels et usuels de nos sociétés.
Une restitution des enquêtes sur un site
internet
Chaque enquête débouche sur un projet de restitution :
la mise en ligne des documents réalisés au cours des ateliers
sur le site Ethnoclic.net. En effet, Ethnoclic propose des expositions
virtuelles réalisées à partir des documents collectés
pendant les ateliers (textes, dessins, photos, vidéos et autres
enregistrements des jeunes ethnographes) et à partir de ressources
ethnographiques mises à disposition par les divers partenaires
de l’association (musées d’ethnologie, universités,
institutions culturelles, etc.).
– L’association
– Abécédaire
de l’ethnographie
– Outils
et méthodes de l’ethnologue
– Exemples
de réalisations
© Franc-parler.org : un site de
l'Organisation internationale
de la Francophonie