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Formateur FLE, formateur FOS : un même métier ?

Frédéric Wolska

Depuis une vingtaine d’années les demandes de formation en français changent de nature. Elles se tournent vers un français plus professionnel dès le milieu des années quatre-vingt (1), puis aujourd’hui sur des métiers plus ciblés, des fonctions professionnelles, voire du français professionnalisant. On notera d’ailleurs un renouveau sur le marché de l’édition FLE de méthodes tournées vers le français professionnel dès le début des années quatre-vingt-dix (2).

En effet, l’entreprise est de plus en plus prescriptrice de formations linguistiques. En France, la loi de mai 2004 sur la formation professionnelle continue (3) rend la formation linguistique imputable au titre de la formation professionnelle continue. À l’étranger, le contexte économique de la globalisation, les coopérations économiques, industrielles et commerciales conduisent au même effet : les entreprises cherchent à former leurs collaborateurs non plus au français général mais à un français opérationnel en contexte professionnel.

Ces changements interrogent le métier et les pratiques des formateurs en langue. Là où on répondait à des besoins langagiers en français général, on se tourne vers des compétences langagières professionnelles. Quels sont les paramètres à prendre en compte dans la conception et la réalisation de ces formations ? Les formateurs développent-ils des compétences différentes des formateurs FLE ? Les compétences du formateur doivent-elles être différentes de celles des formateurs FLE pour répondre efficacement dans ce nouveau contexte ?

Environnement professionnel / publics

Les publics changent, la diversité des nationalités s’accroît, les niveaux de formation initiale varient, les volumes horaires de formation diminuent. Doit-on enseigner le même français à des migrants se préparant à passer une certification professionnelle et à un expatrié d’une multinationale chargé de conduire des réunions et négocier des contrats ? Ou encore à de jeunes scientifiques étrangers venant poursuivre leurs recherches dans un laboratoire français ?

Les objectifs linguistiques à atteindre ne sont clairement pas les mêmes. Les formateurs ont dû en conséquence adapter leur mode de travail. Ils ont dû construire des programmes adaptés à ces nouveaux publics et à leurs besoins particuliers, peu de matériel pédagogique prêt à l’emploi existant pour répondre à ces nouvelles demandes.

Cette mutation de l’activité a fait naître de nouveaux avatars de l’enseignement / apprentissage du français à visée professionnelle, le FOS – Français sur objectif(s) spécifique(s) – puis aujourd’hui le FLP – Français langue professionnelle. Ces appellations sont justifiées, mais qu’en est-il des formateurs, sont-ils eux aussi spécifiques ? Quelles compétences propres à ces nouvelles situations d’enseignement-apprentissage doivent-ils développer pour répondre efficacement aux demandes de formation qui leurs sont faites ?

En rapprochant les activités professionnelles des formateurs FLE de celles des formateurs FOS, il s’agit de dégager les spécificités et les compétences différentes, additionnelles et complémentaires mises en œuvre.

Formateur FOS :
entre professeur de langue et formateur d’adultes

Les formateurs FOS, relèvent du secteur de l’enseignement ou de la formation, même si les statuts peuvent être très différents (vacataires, contractuels, bénévoles, freelance…). Ils travaillent dans des organismes de formation, des écoles professionnelles (écoles d’ingénieur, par exemple), des associations ou des entreprises.

Les référentiels-métiers (4) existant pour cadrer leurs activités professionnelles renvoient d’une part, au métier de formateur d’adultes et d’autre part, à celui d’enseignant de langue vivante. Un croisement de ces référentiels permet de dégager un certain nombre de macro compétences propres à l’enseignement des langues. Cependant l’analyse de l’activité montre que de par les transformations de leurs activités, les formateurs FOS mobilisent de fait de nouvelles compétences, différentes des compétences exigées pour exercer le métier d’enseignant FLE. Ils assurent, outre les tâches de face à face pédagogique, des tâches de coordination et de conception de l’action de formation qui les distinguent des formateurs FLE. Dès lors, on peut considérer qu’ils ne sont plus uniquement exécutants, techniciens mais concepteurs et acteurs des dispositifs.

Cinq domaines de compétences propres à l’enseignement du FOS sont identifiés :

  1. Conception de la formation
  2. Organisation du face à face pédagogique
  3. Mise en œuvre du face à face pédagogique
  4. Évaluation
  5. Compétences transversales

Chacun faisant apparaître, outre les compétences relevant de l’enseignement du FLE, des compétences spécifiques à l’enseignement du FOS et particulièrement sous les domaines 1 et 2.

Il s’agit par exemple des compétences suivantes :

  1. Analyser et interpréter la commande, Analyser des situations d’enseignement / apprentissage, analyser l’environnement et les besoins professionnels des apprenants, analyser les discours professionnels et les traduire en objectifs de formation, élaborer un référentiel de formation ;
  2. Élaborer du matériel pédagogique, collecter et didactiser les documents professionnels circulants ;
  3. Prendre sa place comme expert de sa spécialité face aux stagiaires experts de leur spécialité ;
  4. Construire ses propres outils d’évaluation, évaluer le dispositif mis en place.

Nouvelles professionnalités
au sein des organismes de formation

Une étude du Laboratoire CLERSE-LASTREE de l’Université de Lille 1 concernant les organismes de formation en relation avec les entreprises montre (5) comment s’opère la mutation des fonctions et missions habituellement assignées aux formateurs. Ces transformations semblent remettre en cause les divisions du travail dominantes jusqu’alors dans les métiers de la formation distinguant : les responsables de formation à fonction hiérarchique et les exécutants ou spécialistes de l’animation-enseignement, qui se fondaient sur trois familles de compétences et qui distinguaient : la conception et la coordination de la formation pour les premiers et le face à face pédagogique pour les derniers. La fonction commerciale étant nettement séparée de l’activité de formation.

Trois familles de compétences sont mises en évidence.

Tout d’abord la compétence de production : centrée sur la compréhension de l’environnement, la connaissance des publics à former et de la dialectique enseignement / apprentissage, il s’agit d’entrer ici dans les logiques d’entreprises croisées aux logiques techniques et individuelles (celles des apprenants et des enseignants) et collectives (celles du commanditaire et de l’organisme de formation).

D’autre part, la compétence d’enseignement, mise en œuvre lors du face à face pédagogique. La relation univoque apprenant-enseignant est remise en cause. Le formateur devient un référent parmi d’autres possibles dans les formations en mode hybride combinant plusieurs modalités pédagogiques : auto formation + présentiel + e-learning, ou Formation ouverte et à distance (FOAD) par exemple. Le formateur appartient désormais à un collectif de sa discipline, de son organisme et des acteurs de l’entreprise commanditaire. La part du temps de travail consacrée au face à face diminue et est complétée par des tâches de recherches et de production, d’analyse de l’environnement et des publics. On passe d’une logique de l’offre à une logique de la demande.

Enfin, la compétence commerciale : il ne s’agit plus simplement de vendre un produit figurant dans un catalogue, mais bien de comprendre le contexte et l’environnement de la demande de formation, d’aider le commanditaire à l’affiner et à la formaliser, de constituer un collectif pour y répondre, et de négocier les conditions de mise en œuvre de la formation. La fonction commerciale inclut désormais une maîtrise d’une partie de la fonction production de la formation pour répondre au plus près à la demande et en suivre le résultat.

Ce schéma s’applique parfaitement aux formateurs FOS.

Qualification et réalité professionnelle

L’activité de formateur FOS n’est pas encore suffisamment stabilisée pour constituer une profession à proprement parler. Cependant, les formateurs FOS suivent l’évolution des organisations, produits et professionnalités définis par l’étude du CLERSE-LASTREE. Ils déploient dans leurs missions les trois familles compétences et suivent les profils d’emploi caractérisés des formateurs intervenant en formation professionnelle continue.

1. Les missions au cœur du métier concernent la compétence d’enseignement : "L’enseignant devenu formateur et le concepteur d’outils."

Les formateurs FOS appartiennent à un collectif de travail formel ou non (même si une grande part de travail s’effectue en autonomie), constitué de trois pôles : le collectif disciplinaire – les collègues exerçant les mêmes fonctions ; le collectif de l’organisation – les collègues de l’organisme de formation, formateurs d’autres disciplines, et administratifs ; et le collectif de l’entreprise commanditaire – auquel appartiennent également les stagiaires. Ils se doivent de travailler en coopération pour déterminer, par exemple, les modalités d’évaluation initiale, en cours d’action, et finale en termes de capacités et de compétences linguistiques attendues en situation professionnelle, en concertation avec le coordinateur pédagogique ou le commercial faisant fonction de coordinateur, le commanditaire, les collègues travaillant en équipe sur les mêmes groupes et les stagiaires eux-mêmes. Au cours de leurs interventions, ils produisent des documents pédagogiques et adaptent, font évoluer, voire déterminent les programmes et supports de l’action en fonction de leur utilisation possible en situation professionnelle.

2. Relevant de la compétence de production, "le formateur-consultant-expert" et "le pédagogue-interface".

L’enseignement du FOS suppose l’aptitude à entrer dans des logiques plurielles (celles de l’entreprise commanditaire, celles de l’organisme de formation et celles des apprenants), cette compétence se concrétisant notamment par la traduction de la demande en démarches pédagogiques et en étapes d’apprentissage des savoirs à transmettre ; la production de supports diversifiés à destination des apprenants et l’examen critique des démarches et supports lors de l’évaluation des actions. Les formateurs FOS interviennent dans des domaines "plus pointus" que le français général nécessitant obligatoirement une connaissance de l’environnement professionnel des stagiaires (ceci englobant la culture d’entreprise, les codes linguistiques et les discours professionnels). Ils assurent souvent de manière individuelle l’analyse de la demande et sa traduction en opérations de formation.

3. Enfin la compétence commerciale, même si elle reste en filigrane. Toujours assez séparée de l’activité de formation, la relation commerciale avec l’entreprise peut passer par le formateur qui sera alors "pédagogue-commercial".

Elle se traduit par exemple dans la compréhension de la demande de l’entreprise, la participation, aux côtés du responsable pédagogique ou du demandeur (responsable formation en entreprise ou stagiaire lui-même dans le cas des cours individuels), à sa formalisation. En cas de formation en intra, le formateur est bien souvent "l’ambassadeur" de l’organisme qui l’emploie et l’interlocuteur privilégié parce que seul représentant physique connu de l’organisme de formation. Il se trouve dans l’obligation de jouer le rôle d’évaluateur et de préconisateur de formation (par exemple dans le cas de reconduction d’une convention, ou d’un contrat). Il argumente et amorce le processus de négociations commerciales.

Missions :

Formateur FOS / FLP
Formateur / Enseignant
concepteur d’outils
Technicien
Responsable de formation /
Coordinateur
Cadre
Missions
Concevoir la formation
Organiser le face à face
Mettre en œuvre le face à face
Évaluer (les acquis)
Évaluer (les hommes, les méthodes,
le dispositif)

Formateurs FOS et logique d’adaptation

Cette vision de l’activité des formateurs FOS/FLP permet d’affirmer que le métier dépasse l’activité technicienne de formateur FLE inscrite dans "une logique d’offre" de formation. Les formateurs FOS/FLP dépassent cette logique d’offre et s’inscrivent dans "une logique de demande" qui suppose complexité, créativité, innovation. La part de face à face diminue au profit d’activités de recherches et de production ou encore d’analyse d’environnement et du public.

Les formateurs FLE/FOS sont rattachés à la branche des métiers de la formation. Ils se situent à la croisée du formateur d’adultes et de l’enseignant de langues. Toutefois les formateurs spécialisés FOS déploient des compétences d’ingénierie de formation qui dépassent le cadre de leur "qualification", qui s’arrête là où commence celui de responsable de formation ou de coordinateur pédagogique.

Le multiplicité des missions (assurer des cours, procéder à l’analyse des besoins, évaluer) et la porosité des fonctions, l’absence de hiérarchie claire (de qui sont-ils les subordonnés et à qui doivent-ils rendre compte : direction de l’organisme de formation, responsable pédagogique, chargé de clientèle, client ?) jettent un flou sur la délimitation de leurs tâches et activités. Ils se placent dans "une logique de la demande" et sont capables de s’adapter aux situations nouvelles, de gérer la complexité en acteurs polyvalents et polyfonctionnels de la formation linguistique.

Cette transformation de l’activité de formateur FLE encourage les formations préparant au métier de formateur FOS qui, au-delà de la compétence d’enseignement, mettent l’accent sur le développement de la compétence de production, et prennent en compte le poids de la compétence commerciale ; l’ingénierie pédagogique et l’ingénierie de formation, deux pôles de formation qu’il est nécessaire de combiner pour couvrir la palette des activités et tâches revenant au formateur FOS / FLP (formateur-animateur, formateur-concepteur, formateur-consultant-expert, pédagogue-interface, pédagogue-commercial, "ambassadeur").

Frédéric Wolska
Formateur de formateurs FOS
Ingénieur de formation / Expert associé au CIEP
fredwolskapro@yahoo.fr

Mémoire :
Français sur objectifs spécifiques :
compétences et professionnalisation des formateurs

CUEEP, Lille 1, 2007

Notes

1. Se reporter à Florence Mourlhon Dallies, "Penser le français langue professionnelle", Le français dans le monde, n° 346, juillet-août 2006.

2. Exemples de méthodes sorties à cette époque : Les affaires en français, J.-P. Bajard, C. Sbieude, Paris, Hachette FLE, 1988 ; Le français de l’entreprise, M. Danilo, B. Tauzin, Paris, Clé international 1990 ; Le français à grande vitesse, objectif entreprise, J. Bruchet, Paris, Hachette FLE, 1994 ; Scénarios professionnels, J. Blanc, J.-M. Cartier, P. Lederlin, Paris, Clé international, 1994.

3. Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue sociale.

4. Par exemple le ROME (Répertoire opérationnel des métiers et des emplois), ANPE.

5. E. Charlon, L. Demailly, M. Feutrie, M.-C. Vermelle, Les organismes de formation en relation avec l’entreprise : nouveaux produits, nouvelles organisations, nouvelles professionnalités, Rapport de recherche, CLERSE-LASTREE, ronéo, 1994 Repris dans l’article "La production de la formation pour l’entreprise : organisations, produits, professionnalités", Actualité de la formation permanente, n° 141, Centre Inffo, mars-avril 1996, p. 13-19.

Première publication : 07/03/08 - Mise à jour : 17/03/08

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