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Dossier numériqueFormation ouverte et à distance,
un dispositif francophone

Cette contribution* est un témoignage sur les actions de la Francophonie universitaire menées depuis une quinzaine d’années dans le champ des TIC et de leur évolution. Didier Oillo est administrateur du programme Soutien des TIC au renforcement de l’enseignement supérieur et de la recherche et Pierre-Jean Loiret est administrateur délégué, chef de projet formation ouverte et à distance.

Dès la fin des années 1980, l’Association des universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF), aujourd’hui plus simplement appelée Agence universitaire de la Francophonie (AUF), s’engage résolument dans la mise en œuvre d’un vaste dispositif d’appui aux universités du Sud de la Francophonie en installant en leur sein des structures technologiques facilitant les travaux de recherche des enseignants, chercheurs et étudiants en fin de cycle.

La crise que traversent les universités africaines, et qui dure pratiquement depuis les années 1970, préoccupe la communauté universitaire internationale, particulièrement francophone.

L’accès à l’information

Le premier domaine touché par le dysfonctionnement chronique des universités, est celui de la formation dont on doute de la qualité. Elle suscite de plus en plus d’interrogations de la part des usagers, des familles, des autorités, des experts nationaux et internationaux. Quelle valeur a l’enseignement dispensé ? Les diplômes délivrés ont-ils une reconnaissance internationale ? Sur le marché du travail, à l’intérieur et à l’extérieur, que valent leurs diplômés ? Un des points constatés dans les carences des universités est celui, primordial, de l’information scientifique et technique. Dès 1989, l’AUF déploie un programme d’accès à la documentation électronique en partenariat avec l’INIST (Institut de l’information scientifique et technique du CNRS). C’est ainsi qu’est décidé, en 1990, d’installer au cœur des universités des petites structures, souples et peu coûteuses, connectées aux grandes bases de données internationales et à même de recevoir et de diffuser des documents primaires.

Rapidement, ces structures deviennent des instruments de la solidarité universitaire francophone dans le champ de l’information scientifique et technique (IST). Peu à peu elles s’ouvrent à d’autres formes d’action jusqu’à devenir le premier réseau de structures francophones interconnectées par Internet.

En décembre 1995 à Cotonou (Bénin), le Sommet des chefs d’État et de gouvernement francophones adopte une "Résolution sur la société de l'information". Les délégations membres prennent alors l’engagement de promouvoir un espace francophone dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication et de favoriser, sur les "inforoutes", la place qui revient au français et à ses langues partenaires ; notamment en développant des "applications en matière d’éducation et d’information technique, professionnelle et scientifique".

À l’époque, Internet est presque entièrement anglophone et, en Afrique, l’usage des réseaux en est à ses balbutiements. Au sommet de Cotonou, l’AUF installe la première liaison spécialisée du pays et organise une connexion au catalogue de la Bibliothèque Nationale française. Le réseau des centres d’accès à l’information se voit consacré et ses crédits augmentés.

L’accès à la connaissance

Parallèlement à ce travail d’implantation de structures, l’AUF est un des acteurs du Consortium international francophone de formation à distance (CIFFAD). L'objectif de ce consortium issu d’établissements de 50 pays est d'illustrer l'appropriation graduelle et concertée des TIC et des capacités du réseau Internet en particulier, dans le déploiement de projets de formation à distance. C’est ainsi que naît l’Université par satellite (UNISAT), première expérimentation, lancée en 1992-93, de l’AUPELF dans la formation universitaire diplômante à distance, avec des programmes diffusés à la fois sur TV5 et Canal France International.

Il s’agit de cours enregistrés, produits et réalisés dans les conditions d’une émission classique avec des enseignants s’exprimant sur un plateau de télévision dont les propos sont parfois illustrés d’exemples en images. Quatre matières avaient ainsi été traitées : les maladies tropicales, les biotechnologies végétales, les droits fondamentaux, le droit de l’environnement. Ce sont les universités du consortium qui délivraient le diplôme correspondant, chacun d’entre eux étant de niveau troisième cycle. Un peu plus de 1200 apprenants ont été inscrits à ces diplômes.

Suite à la résolution de Cotonou, l’AUPELF-UREF de l’époque travaille sur un projet d’Université virtuelle francophone (UVF). L’étude sur la création de l’UVF figure dans le plan d’action de la Francophonie. En novembre 1997, un nouveau Sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement francophone, réuni à Hanoi (Viêt-Nam) réaffirme le soutien à ce projet.

Constatant que de nombreux pays africains "sous ajustement structurel du FMI ne peuvent plus embaucher de nouveaux enseignants du supérieur", l’étude sur la création de l’UVF souligne "l’urgence de rendre plus visible la réponse francophone à la crise de confiance que connaissent les universités africaines. Il faut redonner l’espoir".

Ce qui est en question, c’est la place de l’Université publique face à l’internationalisation des formations et à la concurrence de nouveaux acteurs. La globalisation du "marché de l’éducation et l’apparition d’entités nouvelles, placées délibérément dans l’espace commercial" précise le texte de l’UVF va intensifier la concurrence entre "les entreprises de l’éducation". L’UVF souhaite respecter "les cultures locales dans la création des contenus et la diversité culturelle au delà de la langue commune" et ne prône pas de révolution technologique mais une utilisation "en juste proportion" des technologies dans l’enseignement.

Le lancement officiel du projet a lieu au Sénat français, le 15 avril 1998. Suivra un appel d’offres international qui s’oriente clairement vers la production de contenus scientifiques sous format électronique (pour une utilisation en ligne et sur supports fixes). Cet appel mobilise effectivement la communauté scientifique francophone puisque l’AUPELF-UREF reçoit 207 projets venant de 21 pays. Vingt-six projets sont sélectionnés, ils ont tous la particularité d’associer des établissements du Nord et du Sud.

Les campus numérique francophone

En 2000, lors de l’évolution de l’AUPELF en Agence universitaire de la Francophonie (AUF) et du changement de l’équipe dirigeante, une évolution très importante se produit dans la conception même des missions de l’Agence. Toute action doit faire l’objet d’une demande de la part de ceux qui en bénéficient. Il est ainsi mis un terme à une coopération certes généreuse et solidaire mais très emprunte d’une vision archaïque, paternaliste et ayant du mal à se libérer d’un trop proche passé colonial. En conséquence, il est rapidement d’abandonner la dénomination "UVF". L’emploi du vocable "université" étant jugé trop ambigu.

L’AUF fait rapidement évoluer ses centres d’accès à l’information en "campus numériques francophones" (CNF). La Francophonie dispose alors de structures multilatérales, dotées d’accord de siège, disséminées au sein des Etats membres. Les activités de production de cours, d’enseignement à distance, d’accès aux réseaux, d’accès à l’information scientifique et technique, de formation des enseignants sont désormais regroupées dans un programme de l’AUF intitulé "TIC et appropriation des savoirs".

En 2006, 42 campus numériques offrent une large palette de services : la possibilité de se connecter à l’Internet à faible coût (30 euros par an), de commander des documents primaires, d’accéder aux revues électroniques, de se former aux TIC et de suivre des diplômes à distance. C’est cette dernière activité qui peu à peu est devenue prioritaire.
Les CNF sont un réseau à finalité éducative. Ils sont équipés, selon leur taille et le nombre de leurs m2, de 40 à 150 ordinateurs neufs et connectés. Le personnel de ces infrastructures est composé d’un mélange de personnel détaché par l’Université locale, d’expatriés (de moins en moins nombreux), ou de recrutés sur place. Le responsable d’un CNF (ou le responsable des formations) a lui même suivi, le plus souvent à distance, une formation en ingénierie pédagogique. Il y a un ingénieur pour la maintenance réseau et système, un documentaliste, un webmestre pour la production des contenus. La formation ouverte et à distance s’y développe particulièrement à partir de 2001 avec un accord entre le ministère de l’éducation nationale et de la recherche français et l’AUF sur le soutien au déploiement des "campus numériques" français. Le mouvement s’amplifie rapidement. À la rentrée universitaire 2006-2007, l’AUF propose la possibilité de suivre 45 formations ouvertes et à distance : françaises, canadiennes, mais aussi sénégalaises ou camerounaises. À l’issue d’un appel à candidatures, pour les meilleurs candidats sélectionnés par les universités diplômantes, l’AUF offre des allocations d’études à distance (des bourses) qui couvrent généralement les 2/3 des frais pédagogiques et de scolarité. Le dernier 1/3 restant à la charge de l’apprenant sélectionné. Par ailleurs, les Universités partenaires offrent des tarifs réduits pour les apprenants francophones du Sud. Les campus numériques francophones sont gratuitement mis à la disposition des apprenants sélectionnés.

La volonté de l’AUF en investissant dans les coopérations du Nord vers le Sud dans le domaine de l’enseignement à distance est de répondre à des besoins de formation, mais aussi de structurer l’offre, d’éviter la création d’un "bazar de l’éducation" alors que fleurissent dans les pays d’Afrique de pseudos universités et où – mondialisation oblige – les établissements publics se retrouvent en concurrence, sans en avoir les moyens, avec une offre internationale. Cette stratégie de déploiement et de diffusion de la FOAD s’inscrit pour l’AUF dans un cadre politique, un cadre scientifique et un cadre opérationnel.

Le cadre politique est celui de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) dont le secrétaire général est Abdou Diouf, ancien Président du Sénégal. Opérateur du sommet des chefs d’État francophones pour l’enseignement supérieur, l’AUF se doit de suivre les recommandations des politiques francophones.

Le cadre scientifique est celui fixé par les instances de l’AUF et principalement son Conseil Scientifique qui évalue et sélectionne les diplômes à distance que l’AUF propose ensuite.

La plupart des "coopérations" s’organisent autour de "projets", selon le sens que l’on donne habituellement à ce mot : une opération pilote, parfois présentée comme conçue dans un esprit de modélisation. Le "projet" se veut en effet souvent "modélisable" mais, malheureusement, est rarement capable d’atteindre le changement d’échelle nécessaire à sa généralisation ni même poursuivi à la fin de son financement initial. Ce n’est pas le cas dans le cadre opérationnel de l’AUF, celui des campus numériques francophones. Il s’agit bien d’un "dispositif" et nous pensons avoir montré ici qu’il est en constante évolution et destiné à la mise en œuvre de procédés et procédures qui doivent assurer, supporter, un développement sinon pérenne du moins constant dans la durée des coopérations inter-universitaires au service du développement des établissements d’enseignement supérieur du Sud.

En 2003-2204, l’AUF soutenait 4 formations à distance diplômantes. En 2004-2005, elles étaient 24, 32 en 2005-2006 et 45 en 2006-2007. Ce déploiement s’est toujours accompagné d’un investissement dans la formation des enseignants locaux. C’est un des aspects essentiels de ce dispositif. Pour pouvoir déployer et localiser des FOAD, il faut pouvoir compter sur des enseignants locaux, formés à la méthodologie de l’enseignement à distance.

Cette stratégie s’avère payante. À la rentrée 2006-2007, l’AUF est en mesure de proposer sept diplômes à distance s’appuyant sur les technologies, proposées par des établissements africains : 3 licences, deux masters et un doctorat.

En conclusion, l’AUF, forte d’une expérience continue d’une quinzaine d’années est aujourd’hui un acteur incontournable de la formation à distance au profit du développement. Fidèle à sa nature d’Agence de coopération universitaire, elle a su favoriser les partenariats multilatéraux ce qui fait son originalité tout en contribuant indirectement aux coopérations bilatérales, qu’elles soient au Nord françaises, suisses, belges ou canadiennes, au Sud sénégalaise, camerounaises, tunisiennes, algériennes ou marocaines. Ses objectifs sont clairement exposés chaque deux ans lors des Sommets de la Francophonie et peu à peu elle s’engage dans l’intégration de ses programmes et de ses structures au sein des universités bénéficiaires. C’est cette volonté affirmée de la subsidiarité qui lui permet d’élargir progressivement ses partenariats et de s’ouvrir à de nouveaux grands chantiers, tel celui de la recherche dans les TICE fondement nécessaire à toute nouvelle production conceptuelle. Son engagement dans les objectifs du millénaire et son tropisme pour les pays les moins avancés sont aujourd’hui les bases de son action dans les technologies éducatives.

* Cet article a été publié sous une forme différente dans la revue Distance et savoirs en 2006.

Première publication : 06/11/06 - Mise à jour : 06/11/06

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