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Dossier artRutgers at the Louvre

Carole Allamand et Christelle Palpacuer


Le département de français de l'université Rutgers (dans le New Jersey aux États-Unis) organise depuis quatre ans, à l'attention d'enseignants américains de français, un stage de formation de deux semaines intitulé Bringing the Louvre into the French Classroom. Réalisé en collaboration avec le service des activités éducatives et culturelles du musée du Louvre, ce stage, qui se déroule à Paris, a pour objectif de permettre aux enseignants de découvrir les collections du musée et ses coulisses, de les aider à intégrer l'art dans leurs pratiques pédagogiques mais aussi de perfectionner leurs compétences en français. Carole Allamand, professeur associé au département de français de l'université Rutgers, directrice des éditions 2005, 2006 et 2008 du programme Rutgers at the Louvre et Christelle Palpacuer, directrice du centre de ressources pour l’étude du français à Rutgers University, nous présentent ce projet original.

Vous coordonnez, à l’université Rutgers, une formation de deux semaines destinée à "amener le Louvre dans la classe de français". Pouvez-vous nous présenter en quelques lignes cette formation ?

La formation, mise en place en 2004, est destinée aux enseignants de français des niveaux primaire et secondaire. Elle vise, comme son nom l'indique, à intégrer l'art dans la pédagogie de la langue étrangère, et plus précisément à ouvrir les écoles américaines à un pan de la culture française qui ne serait pas abordé autrement.

Elle comprend trois parties : un atelier d’introduction au mois de mai, à Rutgers. Le stage de deux semaines proprement dit, à Paris, et un atelier à Rutgers au mois d’octobre où les enseignants présentent leurs “portfolios” – les plans de cours élaborés autour de leur expérience au Louvre – sur lesquels ils ont été évalués. Une compilation sur DVD de tous les projets leur est également remise à ce moment-là.

Le Serment des Horaces, 1784
Jacques-Louis DAVID
Paris, 1748 - Bruxelles, 1825
© R.M.N. / G. Blot - C. Jean

Quelles sont les attentes des enseignants qui suivent cette formation ?

D’après nos expériences passées, l’objectif principal des enseignants de français qui suivent la formation est d’acquérir ou de raviver leurs connaissances culturelles concernant l’histoire et la civilisation, en un lieu et autour d’une équipe muséale qui conservent et développent ces aspects culturels et artistiques. Ceci est directement lié à une forte envie d’immersion dans la langue et la culture françaises, qu’une expérience à l’étranger procure de manière intense et immédiate pour les enseignants. D’autre part, nous avons noté un fort intérêt pour l’histoire de l’art en tant que discipline, que certains enseignants de français découvrent et que d’autres approfondissent. Enfin, les aspects pédagogiques de l’intégration de ces nouveaux savoirs dans la classe, ainsi que la transformation des connaissances brutes en pratiques pédagogiques informées constituent le fil conducteur du programme et, bien entendu, représentent un aspect essentiel des attentes des enseignants.

Quelle est, d'après votre expérience, la place de l’art dans les cours de langue aux États-Unis ? Les élèves sont-ils souvent confrontés, en classe, à des supports artistiques ? Comment les enseignants les intègrent-ils dans leur cours ?

Situé entre New York et Philadelphie, et accueillant, outre une importante communauté haïtienne, de nombreux immigrés de pays francophones, le New Jersey ne manque pas d’enseignants de français dynamiques, motivés et innovants. Ces derniers sont malheureusement parfois isolés, et un portrait homogène des classes de français dans l’État est relativement difficile à brosser.

Nous menons régulièrement divers projets et collaborations avec les enseignants de l’État et nous avons pu constater que l’accès au matériel pédagogique comprenant images et références à l’art n’est pas une difficulté en soi. Ce qui peut éventuellement poser problème, c’est la manière d’exploiter ces ressources. Le statut de l’image dans les classes est variable, et même si de nombreux enseignants développent des pratiques innovantes dans leur classe, l’image demeure essentiellement une simple illustration – la tour Eiffel en page 3 du manuel scolaire – ou bien un simple prétexte à la communication. Il existe toujours une distinction aiguë entre la langue et la culture, les aspects linguistiques prenant généralement le pas sur le culturel, ce dernier étant relégué à la périphérie du cours de langue. Il faut finalement mentionner, à regret, que la recrudescence du conservatisme moral à travers le pays constitue un obstacle à l’enseignement de l’histoire de l’art (en interdisant par exemple la représentation de la nudité dans les écoles...).

Quel est votre point de vue sur la manière dont l’art peut être intégré dans la classe de FLE ? Quels principes pédagogiques défendez-vous dans cette formation ?

À travers Rutgers at the Louvre, nous travaillons sur plusieurs points méthodologiques importants : le statut et l’utilisation de l’image et en particulier de l’œuvre d’art, en classe ; la réconciliation et la fusion des aspects linguistiques et culturels dans l’enseignement du français, ainsi que le développement de l’interdisciplinarité en classe de langue.

Dans cette perspective d’ouverture et d’interdisciplinarité, nous voulons encourager les enseignants à créer des passerelles entre les disciplines dans leurs établissements. Les enseignants de français peuvent être au cœur de projets et collaborations avec leurs collègues d’autres disciplines (autres langues vivantes, sciences, géographie, histoire, etc.) afin de multiplier les contextes d’apprentissage et de développer les réseaux de connaissances de leurs étudiants.

Afin d’encourager les enseignants à saisir toute l’épaisseur et la profondeur d’une œuvre d’art et ainsi faciliter son utilisation au-delà de la simple description, nous incitons les enseignants à se déplacer avec leurs élèves dans les musées. La proximité de New York facilite évidemment la tâche des enseignants du New Jersey, tout comme la gratuité, par exemple, du Metropolitan Museum pour les écoliers / étudiants.

Un autre point sur lequel nous insistons, avec le concours de l’équipe du Louvre, est la notion de discours. Aller au musée, c’est découvrir un lieu et un discours (une manière de penser, d’être, d’agir) spécifiques : le discours des œuvres et sur les œuvres, mais aussi un contexte social et culturel riche et différent de celui de l’établissement scolaire lui-même. Au Louvre, nous travaillons sur cette idée que l’enseignant peut s’approprier le discours du musée et prendre la parole, devant ses élèves, et devant les œuvres, dans un musée.

Notre troisième objectif vise à réconcilier les aspects linguistiques et culturels de l’enseignement des langues. Trop souvent, langue et culture sont en opposition ou en compétition, les aspects linguistiques dominant largement le temps de classe. Notre objectif n’est pas de prescrire techniques et méthodes de manière normative, mais d’encourager le débat. C’est à travers l’expérience du groupe d’enseignants que les idées sur cette question émergent. C’est à travers les conversations qui font suite aux visites et ateliers que nous espérons permettre aux enseignants de développer eux-mêmes une perspective plus symbiotique de l’enseignement de la langue-culture.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’activités qui peuvent être menées par un enseignant de FLE autour de l’art ?

À l’issue du stage au Louvre, nous demandons aux enseignants de développer un portfolio d’activités pédagogiques en utilisant ce qu’ils ont appris au Louvre. La consigne est plutôt large, et permet aux enseignants de développer des projets en relation directe avec leur contexte d’enseignement (âge, niveau, lieu géographique, expériences passées des étudiants, etc.). Ces travaux sont ensuite présentés devant leurs collègues du New Jersey à l’occasion d’un atelier à l’automne.
C’est pour nous – et pour les participants, nous l’espérons – un grand plaisir que de redécouvrir la qualité, l’intelligence et la diversité de leurs travaux.

Certains enseignants choisissent de travailler sur une œuvre :

  • "La fête en peinture", unité pédagogique réalisée à partir du tableau Le Roi boit ou Repas de famille le jour de la Fête des Rois de Jacob Jordaens par Mme Carole McKay, 2007
  • "Le Serment des Horaces, la peinture dramatique" à partir du tableau de David et en lien avec la lecture de la pièce de Corneille, pour des étudiants avancés, par M. Lewis Porter, 2007

"Le Roi boit" ou Repas de famille le jour de la Fête des Rois
Jacob JORDAENS
Anvers, 1593 - Anvers, 1678
© Musée du Louvre/A. Dequier - M. Bard

D’autres enseignants choisissent de travailler sur un corpus d’œuvres autour d’un thème, souvent interdisciplinaire :

  • "La mission didactique du peintre", par Mme Nazif Bilali, 2007
  • "Amour", par Mme Charlotte King, 2007
  • "Portraits de femmes – portraits de société", par Mme Susan Shourds, 2007

D’autres enseignants ont choisi de travailler autour d’un genre en peinture, par exemple la nature morte ; d’autres enfin ont réalisé une exposition dans leur école.

Seule une poignée d'enseignants a la chance de pouvoir participer à cette formation au Louvre. Avez-vous entrepris des actions particulières pour inciter les professeurs à utiliser les ressources qui se trouvent près de chez eux ?

Le stage au Louvre ne représente pas une fin en soi pour nous ; c’est un moment unique, privilégié et riche qui est le point de départ de nos activités sur le plan local. Dans une perspective de pérennisation de notre programme, nous voulons encourager la création et le maintien d’une communauté d’enseignants autour des pratiques d’intégration de l’art dans la classe, et continuer le travail remarquable de l’équipe du Louvre en transposant au niveau local (l’État du New Jersey) les expériences et compétences acquises à Paris.

À ce titre, nous proposons plusieurs ateliers destinés aux enseignants durant l’année universitaire pour discuter certains points, en approfondir d’autres, partager les échos venus de la salle de classe, commenter de nouvelles activités et propositions, etc. C’est un programme très vivant le reste de l’année aussi !

Notre dernier atelier, programmé début novembre, se déroulait d’ailleurs partiellement au Jane Voorhees Zimmerli Art Museum, le musée local de l’université Rutgers à New Brunswick, NJ. Nous avons d’ores et déjà tissé des liens avec le Musée Zimmerli, qui possède une impressionnante collection d’art "fin de siècle" européen. À l’avenir, nous espérons pouvoir consolider ces liens et développer de manière systématique un réseau local solide et dynamique de partenaires (musées et centres culturels locaux, enseignants de français, université Rutgers, et le programme Rutgers at the Louvre). Ces objectifs à long terme sont en accord avec les politiques éducatives de nos partenaires au musée du Louvre : en France, comme aux États-Unis, nous travaillons à l’autonomisation des enseignants face aux œuvres et dans les musées, ainsi qu’au développement de réseaux locaux et à la pérennisation des compétences acquises.

Propos recueillis par : Haydée Maga - Première publication : 14/12/07 - Mise à jour : 14/12/07

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