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Un lycée francophone camerounais

Entretien avec Jean Nanhou

Rencontre avec le professeur de français M. Jean Nanhou, et témoignage de deux lycéens du lycée classique de Dschang.

Un groupe de 10 lycéens camerounais ainsi que leur professeur ont été invités à participer, le 17 mars dernier, à l'enregistrement de la première édition de l'émission "Les Trophées de la langue française", présentée par Bernard Pivot et parrainée par Pierre Perret. Grâce à la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF) qui les a contactés et a organisé leur séjour d'une semaine à Paris, et à l'Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF) qui a financé leur voyage, ces jeunes ont eu la chance de visiter la capitale et connaître ses lieux hautement symboliques, mais aussi de rencontrer des lycéens venus d'autres pays d'Europe et du monde. Expérience de partage riche en émotions, comme en témoignent les propos recueillis…

La place de la langue française aujourd'hui au Cameroun

Jean Nanhou nous rappelle tout d'abord la place de la langue française dans le Cameroun actuel, à savoir une place essentielle. En effet, le français est la langue la plus parlée, au sein des familles, même chez les moins instruites. Celle-ci est plus utilisée que les langues dites "maternelles" car elle apparaît comme la langue unificatrice, dans un pays ou coexistent environ 200 langues ! Huit provinces ont le français comme langue officielle ; les autres étant anglophones. Dans les grands centres urbains, 95 % des écoles sont francophones, les autres bilingues (français/anglais).

Le lycée classique de Dschang

M. Nanhou est professeur de français au lycée classique de Dschang, situé dans la province de l'Ouest, dans le département de la Menoua. On compte 4000 élèves pour seulement 80 professeurs, dont 12 titulaires (les autres étant vacataires, non spécialistes de la matière qu'ils enseignent, et parfois même titulaires d'une autre spécialité !). Le nombre d'élèves par classe varie de 60 à 120 élèves en moyenne.

On imagine facilement les problèmes posés par ces grands groupes. Tout d'abord, il faut faire face aux difficultés matérielles et au manque de moyens, notamment pour l'achat des livres scolaires. Les élèves sont bien souvent obligés de photocopier les pages à leur frais (ce qui est rarement possible, vu les dépenses occasionnées), ou à recopier les textes, afin de pouvoir étudier. D'un point de vue pédagogique, le professeur est confronté à la gestion du vocabulaire. En effet, le niveau de langue utilisée dans la vie courante est bien souvent familier, et on constate une influence non négligeable des langues maternelles.

M. Nanhou souligne que tous les élèves n'ont pas la même langue maternelle, et que cela crée donc des situations diglossiques différentes les unes des autres (avec tous les problèmes qui s'en suivent : transferts, fautes de syntaxe, d'orthographe, etc.), difficilement gérables. Or le programme en première et terminale propose des textes difficiles (en première : textes de Victor Hugo ; en terminale : textes de Prévert), nécessitant une bonne connaissance d'un lexique spécifique, et du contexte historique, politique et socio-économique de la période littéraire étudiée.

Il faudrait pouvoir appliquer une "pédagogie des grands groupes", mais ceci est difficilement réalisable, compte tenu de ce qui vient d'être décrit. Dans la réalité quotidienne, trois lycéens sont souvent assis sur un banc de deux places sans table pour écrire, et le souci constant du professeur est de pouvoir animer une classe de français, d'une façon vivante, mais avec une certaine autorité, afin qu'une majorité d'élèves puissent participer.

Etats généraux de l'enseignement du français : un espoir ?

Du 16 au 20 mars se sont déroulés à Libreville, les Etats généraux de l'enseignement du français en Afrique francophone, organisés par la FIPF, l'AIF et l'AUF - Agence universitaire de la francophonie. Rappelons que les objectifs étaient, d'une part, de faire le point sur l'enseignement du français et l'enseignement en français (contenu, programme, méthodologies) en Afrique francophone ; et d'autre part, de concevoir et d'élaborer de nouvelles stratégies pour l'apprentissage du français et des langues africaines.

En tant que professeur de français, M. Nanhou nous confie sa vision des choses sur ce point. Selon lui, "ces travaux devraient être orientés, grâce à la détermination et à la participation de la France, vers la mise en place de structures contribuant au renforcement de la langue française (notamment en révisant, avec le gouvernement local, le budget lié à l'Education, et sa répartition, afin que le matériel soit plus abordable et que des bibliothèques soit créées, par exemple)".

Il attend une "application concrète des théories et idées qui naîtront pendant les différents ateliers, afin que cette rencontre soit réellement constructive". En clair, une véritable amélioration du système éducatif est attendue, avec une prise en compte des langues maternelles en présence sur le territoire et une meilleure adéquation des méthodes, trop souvent éloignées de la réalité. Il souhaiterait également un "meilleur contrôle au niveau du recrutement" (trop de non spécialistes ont aujourd'hui un poste de professeur de français), et "plus de coopération entre les enseignants de français des niveaux du primaire, du secondaire et du supérieur, qui pourraient apporter leur contribution à l'amélioration de l'enseignement en général".

Enfin, il constate une "absence de formation continue qui pourrait être offerte aux professeurs" (concernant l'utilisation de nouvelles méthodes par exemple), ce qui entraîne une maîtrise insuffisante des manuels et des nouvelles technologies, une certaine lassitude et un découragement chez les enseignants.

La Journée et la Semaine de la Francophonie

Durant cette même semaine, comme chaque année, un nombre toujours croissant de pays dans le monde célèbre, le 20 mars, la Journée de la Francophonie. De nombreuses manifestations sont organisées dans les établissements scolaires camerounais, notamment dans le lycée de Dschang, grâce au dynamique "Club Francophonie".

Pour M. Nanhou, la Francophonie est avant tout, "une organisation au sein de laquelle on retrouve tous les pays qui ont la langue française en partage, une noble idée qui a germé en Léopold S. Senghor, et qui permet à tous les gens qui ont en commun cette langue, de pouvoir communiquer. C'est là que cette fête prend tout son sens : pendant une journée, on cesse d'être camerounais, malien, canadien ou sénégalais, pour devenir citoyen du Monde, car le français est une langue à vocation internationale".

Les Trophées de la langue française

Durant cette première édition des "Trophées de la langue française", sont récompensés le talent, le travail, la culture, l'humour, et l'imagination de tous ceux qui contribuent à vivifier la langue française, et à en faire un vecteur international de communication, d'éducation, de création et de cultures.

Quatre Trophées ont été remis à cette occasion dans les catégories : orthographe, chanson/poésie, traduction et diversité culturelle. Invités par la FIPF et l'AIF, M. Nanhou souhaiterait tout d'abord souligné l'intérêt d'une telle initiative et remercier vivement ces deux organisateurs, qui ont offert à ses élèves le privilège et l'honneur de visiter Paris, voyage que la majorité d'entre eux n'auraient jamais pu s'offrir.

C'est là, dans ces échanges, que la dimension internationale de la Francophonie recouvre tout son sens.

Un seul regret, cependant : qu'aucun Trophée n'ait été attribué à un enseignant de langue française, "car ce sont eux, les professeurs, qui travaillent nuit et jour pour la sauvegarde de ce moyen de communication internationale"… à méditer et à prendre en note pour la prochaine édition !

À lire également : le témoignage de deux lycéens.

Contacts :

M. Jean Nanhou
Professeur de français
Lycée classique de Dschang
BP 76 Dschang - CAMEROUN
Tél. : (00 237) 345 13 31
Fax : (00 237) 345 12 02
Courriel : nanhouj@yahoo.fr

Liens :
Rédaction : Emeline Giguet-Legdhen - Première publication : 10/04/03 - Mise à jour : 31/01/06

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