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Vacances cubaines

Entretien avec Emmanuelle Carette

Emmanuelle Carette est maître de conférences en sciences du langage à l’université Nancy 2, chercheuse au Centre de recherches et d’applications pédagogiques en langues* (CRAPEL-ATILF) et co-auteur de la méthode Vacances cubaines. Cette méthode, élaborée entre 1993 et 1998 par le CRAPEL et des enseignants cubains et destinée aux professionnels du tourisme à Cuba, a rencontré un véritable succès en Amérique centrale (Voir ci-dessous) où elle a été adaptée entre 2002 et 2007. Elle est également en phase d’adaptation au Mexique.

Pourquoi avoir créé cette méthode ? En réponse à quels besoins et pour quels publics ? Et en quoi diffère-t-elle des autres méthodes déjà sur le marché ?

Cette méthode a été créée à la demande du ministère du Tourisme cubain, en partenariat avec l’École des hautes études en hôtellerie et tourisme de la Havane (EAEHT) pour répondre à un besoin urgent du gouvernement de développer l’accueil des touristes francophones. Il s’agissait donc de former en français des professionnels du tourisme. La méthode s’adresse aux professionnels et futurs professionnels en formation initiale et continue dans tout le pays.

Vacances cubaines diffère des autres méthodes en FOS en ce qu’elle a été développée, comme son nom l’indique, spécifiquement pour les professions du tourisme à Cuba, la définition des postes professionnels dans ce pays étant différente de celle d’autres pays. Elle est originale en outre, comme nous le verrons plus bas, par son organisation, ses objectifs et sa méthodologie : elle est axée sur l’apprentissage et non l’enseignement, avec une organisation en modules et des activités d’apprentissage qui permettent de développer la capacité d’apprendre de l’apprenant.

Comment avez-vous conçu les contenus ?

La conception didactique a été réalisée par le CRAPEL, en collaboration avec des enseignants de l'EAEHT. Dans un premier temps, nous avons identifié 50 professions du tourisme et défini par la suite les besoins langagiers de ces diverses professions, ainsi que les tâches à proposer pour chacun des publics ciblés.

À partir de là, les objectifs d’apprentissage ont été réunis sous forme de "Modules de français pour les professionnels du tourisme" en s’appuyant sur la spécialité, et non pas en partant d’une hypothétique "langue de base" générale pour aller vers la spécialité. Pour les chercheurs du CRAPEL, tout objectif d’apprentissage est spécialité.

Au sein de chaque module, les activités d’apprentissage visant les compétences culturelle, langagière, et d’apprentissage sont proposées. On trouvera ainsi :

  • une partie interculturelle, appelée "Nous et les autres", où l’apprenant va découvrir les attentes des touristes français, et également apprendre à s’informer auprès d’eux. On y développe autant un "savoir-faire de découverte" que des données culturelles, elles-mêmes susceptibles de devenir obsolètes ;
  • une partie "Apprendre à communiquer", où, en fonction des besoins communicatifs, sont proposées : compréhension orale et expression orale ; parfois compréhension écrite, et très rarement, expression écrite ;
  • une partie "Conseils pour apprendre", où l’apprenant peut trouver des explications qui l’aident à résoudre des problèmes d’apprentissage de la langue.

Certains modules seront communs à des professionnels de spécialités différentes : ce sont les modules de socialisation (dans lesquels les professionnels peuvent apprendre les façons de saluer, de mener de petites conversations ou des conversations plus longues). D’autres sont clairement destinés à des professions particulières, ce sont les modules de spécialisation (comme, par exemple, "visite guidée", "service de bar et restaurant", "réception"). Cependant, il est possible d’utiliser un document d’un module, par exemple, parce qu’il est intéressant pour un objectif d’apprentissage, même si l’apprenant ne se destine pas à cette profession spécifique.

D’un point de vue linguistique, il n’y a aucune grammaire explicite, mais les apprenants vont découvrir les fonctionnements au fur et à mesure de leurs utilisations. Ils ont recours à d’autres ouvrages s’ils en éprouvent le besoin.

L’organisation en modules permet de répondre à des besoins qui sont nécessairement différents d’un apprenant à un autre. En effet, le bagagiste n’a pas les mêmes besoins communicatifs que le serveur de bar ou le réceptionniste. Cela permet également de se centrer plus sur l’apprentissage que sur l’enseignement.

La méthode est donc également utilisable par les apprenants individuellement. Notre souci a été de développer la capacité d’apprendre des apprenants. Ainsi, des consignes précises sont données en langue maternelle, des corrigés sont accessibles par les apprenants, les documents audio sont transcrits, des activités de préparation sont prévues avant des activités d’entraînement.

Le matériel est auto-suffisant pour que l’apprenant puisse également s’auto-évaluer.

Vacances cubaines fournit donc un ensemble de ressources, sans progression obligatoire, avec des documents accessibles facilement.

Pour une utilisation en groupe-classe, Vacances cubaines permet de gérer un groupe hétérogène, des programmes pouvant être définis individuellement, et les activités d’apprentissage peuvent être réalisées individuellement, en binôme ou en petit groupe. L’enseignant agit comme un animateur de l’apprentissage, un conseiller au service des apprenants, plutôt que comme un décideur.

Y a-t-il eu des formations spécifiques à cette méthode ?

Du fait de l’organisation particulière de cette méthode, la formation méthodologique est nécessaire et de nombreuses formations de formateurs, prises en charge par le ministère des Affaires étrangères et l’EAEHT, ont eu lieu à Cuba. Ces formations ont été assurées par une équipe du CRAPEL, puis des formateurs cubains ont pris le relais sur tout le territoire.

Quels ont été les retours des formateurs et utilisateurs à Cuba ?

Aujourd’hui nous ne sommes plus en contact avec nos partenaires cubains, mais les retours ont été très positifs, de la part des professionnels d’une part, qui ont trouvé des supports qui correspondaient à leurs attentes et besoins, et de la part des enseignants d’autre part. Nous avons en revanche de nombreux retours des utilisateurs en Amérique centrale où la méthode a été adaptée.

Comment avez-vous fait connaître cette méthode auprès des enseignants à Cuba ?

La demande émanant du ministère du Tourisme cubain, Vacances cubaines a été et est encore la ressource de référence dans le pays pour ce public, au sein des écoles spécialisées.

Vacances cubaines a été adaptée, comme vous l'avez déjà souligné, sous la direction du CRAPEL, par un réseau d'enseignants de français d'Amérique centrale et du Mexique, spécialisés dans le français pour le tourisme. Parlez-nous un peu de ces adaptations.

Patrick Dahlet, qui a été attaché régional de coopération éducative pour l’Amérique centrale et est actuellement attaché de coopération éducative au Mexique, est à l’origine des adaptations de Vacances cubaines. Convaincu de son utilité, il a souhaité proposer cette méthode aux professionnels en Amérique centrale et au Mexique.

Dans ces pays, des enseignants d’université et des enseignants de FLE ont formé un réseau pour travailler à ces adaptations, en collaboration avec le CRAPEL et avec le soutien des services de coopération française.

Nous avons tout d’abord identifié les métiers de chaque pays, puis recherché des documents et supports d’apprentissage relatifs aux situations déterminées et aux caractéristiques des pays concernés, sans chercher à couvrir la spécificité de chaque pays d’Amérique centrale (sans quoi il aurait fallu faire six adaptations). L’objectif était de proposer des ressources pour l’apprentissage, sachant que des documents complémentaires seront ajoutés par des apprenants en situation professionnelle ou par des formateurs, au cas par cas.

En Amérique centrale, l’adaptation a commencé en 2002, et aujourd’hui deux tomes avec CDs sont parus, le second venant d’être publié.

Les enseignants sont déjà formés et la méthode existe. Il s’agit maintenant de faire sa promotion auprès des professionnels des différents pays. Il est donc envisagé d’organiser, en collaboration avec les services du Centre culturel de coopération pour l’Amérique centrale de l’ambassade de France à San José (Costa Rica), des réunions de professionnels du tourisme afin d’informer ces professionnels de l’existence de la méthode et de la possibilité d’interventions de formateurs dans les entreprises, soit pour assurer des formations en français, soit pour assurer des formations de formateurs.

Au Mexique, l’adaptation de la méthode Vacances au Mexique a commencé en 2005, et va être prochainement publiée. Cela ne saurait tarder car nous en sommes à la phase d’expérimentation par un groupe d’enseignants et les formations de formateurs auront lieu par la suite. Des demandes de formations sont possibles auprès des ambassades de France (San José pour l’Amérique centrale et Mexico pour le Mexique).

Quel avenir pour Vacances cubaines ? D’autres adaptations sont-elles prévues ?

Oui, des demandes arrivent, de la Caraïbe et d’Amérique latine. Nous ne pouvons malheureusement pas répondre à toutes les demandes car le dispositif est assez lourd à gérer pour la petite équipe du CRAPEL, qui a d’autres projets de recherche en cours.

L’idée serait donc d’associer, à l’avenir, des enseignants issus des équipes formées en Amérique centrale ou au Mexique à cette problématique d’extension de façon à ce que ceux-ci participent à ces nouvelles adaptations, et que, de ce fait nous ayons plus d’intervenants.

D’un point de vue scientifique, suite à l’adaptation de la méthode en Amérique centrale et aux formations menées dans plusieurs pays, notre intérêt se tourne vers les retours des formateurs et des utilisateurs. Quels sont les points positifs de notre méthode ? Quelles en sont les limites ? Quelles améliorations pourrions-nous apporter ? Etc.

Nous souhaiterions mener, à moyen terme, une vaste enquête sur les utilisations de la méthode dans différents pays. Il faudra envisager, probablement, la mise en ligne des méthodes sur un site Internet à accès restreint. Nous ne souhaitons pas un accès libre à ce produit, parce qu’il nécessite, pour être bien utilisé, une formation.

De nombreux projets en perspective !

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Note

* Le CRAPEL est une équipe de recherche en "pédagogie" des langues : didactique générale, didactique de l'anglais, de l'espagnol et du FLE. Ses missions principales sont la recherche, l'expertise et la formation en France et à l'étranger. L'équipe a été créée officiellement en 1969 et est rattachée à l'UFR Sciences du langage de l'université Nancy 2. Elle est également rattachée au laboratoire ATILF (Unité mixte de recherche CNRS-Nancy université).


Vacances en Amérique centrale

La méthode de français pour professionnels du tourisme, "Vacances en Amérique centrale" a été lancée officiellement fin mars 2006. Cette méthode est destinée aux professionnels du tourisme et aux étudiants de filières touristiques des six pays d’Amérique centrale (Costa Rica, Panama, Nicaragua, Honduras, El Salvador, Guatemala). En 2005, suite aux formations mise en place par le CRAPEL et le CCCAC (Centre culturel et de coopération pour l’Amérique centrale, de l’ambassade de France au Costa Rica), ont été accrédités 34 professeurs centraméricains, aptes à utiliser "Vacances en Amérique centrale", dont 14 pouvant former eux-mêmes d’autres enseignants. Cinq formateurs ont déjà assumé des formations.

Enseignante de FLE et de FOS, titulaire d’une maîtrise FLE, Elisende Coladan a été formée, suite à un appel d’offres du CCCAC relayé par l'alliance française de San José en 2005, à cette méthode et a reçu l’accréditation afin de pouvoir former d’autres enseignants et acteurs du tourisme susceptibles d’utiliser la méthode. Son expérience dans l’enseignement du français sur objectif spécifique et ses connaissances dans le milieu du tourisme, en tant que guide accompagnatrice, lui ont permis de bien comprendre la méthodologie de "Vacances en Amérique centrale", qui d’après elle, correspond vraiment aux besoins des professionnels en proposant une approche nouvelle qui se distingue des méthodes de FOS et notamment du français du tourisme existantes. La méthode intègre, entre autres, des compétences interculturelles et favorise l’autonomie des apprenants.

Selon Elisende Coladan, cette nouvelle méthodologie pourrait très bien s’appliquer à tous les domaines du français langue professionnelle, avec une adaptation pour chaque secteur professionnel.

Peuvent être formés à utiliser cette méthode aussi bien des enseignants de français que des professionnels de tourisme. Ainsi, Elisende Coladan a pu former, au Costa Rica, le personnel de l’entreprise Café Britt. Les résultats ont été surprenants, puisqu’en 20 ou 30 heures de cours, les professionnels ont été capables de communiquer en français sur leur lieu de travail, à un niveau certes élémentaire mais très pratique et surtout sans appréhension, le plus important étant de communiquer.

D’autres formations ont eu lieu dans des boutiques touristiques de cette entreprise aussi bien à l’aéroport de San José (Costa Rica) qu'à celui de Lima (Pérou). Elisende Coladan va commencer une nouvelle formation auprès des guides et gardiens d’un parc national au Costa Rica.

Depuis mai 2007, Elisende Coladan a par ailleurs animé des formations pour enseignants et acteurs du tourisme, futurs utilisateurs de la méthode auprès de professionnels de tourisme, dans les alliances françaises de San José, de Lima au Pérou et de Guatemala au Guatemala. En février 2008, une formation a été organisée à l’université de El Salvador, pour des enseignants de FLE de l’université. Toutes ont été financées par le CCCAC, sauf celle de Lima, qui a eu le soutien de l’alliance française de Paris. Au Guatemala, des cours, ont été mis en place en février 2008, à peine la formation finie, aussi bien à Antigua Guatemala (magasin de jade) qu’à Guatemala City (employés de l’aéroport).

Formation au Guatemala

Formation au Guatemala

Chaque formation pour les utilisateurs de la méthode a eu une durée de 60 heures en présentiel (2 semaines de 30 heures), avec un temps entre chaque formation, pour que les apprenants puissent commencer à appliquer la méthodologie et/ou à y réfléchir. Pour être accrédité, chaque apprenant/enseignant doit ensuite prendre en charge un cours de français du tourisme, avec un suivi par le/les formateurs.

Les résultats des premières formations dans plusieurs pays d’Amérique centrale sont encourageants et les retours sont positifs : "Plaisir", "utilité", mais également "nouveau regard sur la langue et sur l’apprentissage" ont été évoqués par la plupart des stagiaires qui ont vu en cette méthode un ensemble "d’outils pour continuer à apprendre la langue".

Contacts

Service de coopération éducative et linguistique
pour l’Amérique centrale de l’ambassade de France au Costa Rica :

Lien
Rédaction : Emeline Giguet-Legdhen - Première publication : 07/03/08 - Mise à jour : 07/03/08

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