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Production oralePoésie contemporaine, slam
et expression orale

Geneviève Baraona

Geneviève Baraona est enseignante en FLE/S et en didactique du FLE à Paris III et à l’Inalco. Elle est l'auteur de Littérature en dialogues chez Clé et du cours RFI Tout un roman. Elle rédige par ailleurs des dossiers Internet sur les écrivains francophones, pour la bibliothèque multimédia de Limoges (France).

Histoire, poésie et chant

Toutes les traditions et les livres anciens nous représentent Homère aveugle, le front courbé sous la gloire et la méditation, visitant les villes grecques et chantant ses hymnes aux dieux dans son pèlerinage vagabond ; étant donné son silence absolu relatif à l’art d'écrire, certains soutinrent qu'il avait seulement composé et chanté les vers qui pendant plusieurs siècles s'étaient conservés dans la mémoire des poètes.

Platon, malgré sa critique philosophique sur l'influence néfaste des poètes, raconte comment Homère était tenu pour l'éducateur de toute la Grèce, représenté comme l’archétype du poète, aux côtés du législateur et du sage, l'Iliade et l'Odyssée, préfigurant et préparant par leur liberté de parole et leur souci de l'autre, la démocratie qui apparaîtra au cinquième siècle à Athènes.

Sans doute parce que seuls les lettrés pouvaient la lire, mais aussi parce qu’elle était rythmée et rimée, la poésie était alors chantée, ou accompagnée de musique (son de la flûte pour l’Élégie), tradition reprise dans les Chansons de Geste (hauts faits du passé) du Moyen-Âge, par les jongleurs et les Troubadours (La Chanson de Roland, la plus ancienne retrouvée, date des alentours de 1098).

Ces poèmes narratifs, chants primitifs de caractère lyrique, étaient composés de strophes de longueurs irrégulières, homophones et assonancées (laisses), se plaisant aux répétitions et aux échos.

Pour certains, l’origine de ces épopées reste d’inspiration populaire, l'essentiel de la production en langue vulgaire étant destiné à la récitation publique sur les champs de foire, les lieux de pèlerinage et les carrefours. Mais chaque jongleur souhaitant pouvoir annoncer une œuvre originale, fasciner son public avec une nouvelle version d’une histoire déjà connue, improvisait largement, sous le coup même des événements.

Poésie, modernité et art de la parole

La poésie s’est souvent déplacée sur le terrain de l’insoumission aux faux-semblants du discours, car "créer n’est pas communiquer mais résister". (Deleuze)

Quand Apollinaire ouvre son recueil Alcools (1913) par le poème Zone, où il est question d’un Paris populaire, qu’il arpente, avec ses belles et bizarres incongruités comme la tour Eiffel, sa poésie déroute et scandalise le monde littéraire : le poème n’a pas de régularités, il s’agit de vers libres, sans ponctuation, mais surtout d’une prose aux expressions familières, où est fait l’éloge du quotidien, où sont déchiffrés images de la cité, bruits de la rue et du monde du travail (cloche rythmant les horaires)...

La poésie, se jouant des statuts, transgressant son propre genre est indissociable de la modernité.

— Art du dire et de la parole, dans la cité, portée par le Printemps des poètes, festival né en 1999, la poésie fait partie de l’art de la ville…

Il s’agit de retrouver l’usage de la parole, de la parole neuve, celle qui fait désordre à la parole toute trouvée, et d’ y associer parfois un quotidien recyclé, redécouvert, performé.

Au printemps 2001, lors du spectacle poétique populaire annuel donné à la Mutualité à Paris, la scène est occupée par intermittence par des slameurs, inventeurs de textes, improvisant aux côtés de poètes contemporains, disant les leurs…

Parmi eux, Jacques Roubaud, également mathématicien, appartenant à l’Oulipo, classé parmi les vingt humanistes du dernier siècle par Le Monde littéraire, ayant toujours prôné que la poésie est faite pour être dite et non lue, nous livre quelques Baobabs, compositions orales à syllabes marquées ou timbrées, à dire sur le mode ludique à 2 ou à 3 :

Ils sont venus là-haut là-bas
Se mettre au chaud après leur bachot
Passés les oraux derrière les barreaux
Honnis et bannis, mais pourquoi ?

— Et puis les slameurs… sur la scène

Le slam est né en 1984 lorsque Mark Smith, ouvrier en bâtiment et poète, met en place une série de lectures dans un club de jazz à Chicago. Il cherche à donner un nouveau souffle aux scènes ouvertes de poésie en y faisant participer le public. En 1986, Smith rencontre le propriétaire du Green Mill (un club de jazz de Chicago), avec l'idée d'organiser une compétition de poésie hebdomadaire les dimanches soirs et le Uptown Poetry Slam naît le 25 juillet de cette année-là. Très vite, à l’image de ce lieu emblématique pour ces poètes dits performeurs, d’autres grandes villes suivent. Le slam devient alors une forme d'art international, se concentrant sur la participation du public et l'excellence poétique. Il est aujourd'hui présent dans de nombreux pays dont la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Angleterre… En 2002, 56 équipes de poètes slam sont présentes à Minneapolis pour un concours/compétition de 5 jours.

Tel une porte que l’on claque (dans son étymologie première venue de Chicago), vlan ou vlam en français, le slam se fait d’abord connaître en France au milieu des années 1990, avec un film au nom éponyme (slam), de Marc Levin et du poète Saul William. On découvre qu’il s’agit de lectures publiques, le plus souvent improvisées, de textes évoquant la vie en milieu urbain, la violence économique, sociale, politique, raciale, ou encore de joutes verbales sur le mal de vivre et la révolte : les thèmes d’inspiration, excentriques, poétiques, politiques, sont infinis.

Cette poésie, dont l’aspect démocratique et populaire est revendiqué, issue du rap, sur des vers rimés qui empruntent peu à de nouvelles formes, se pratique sur des scènes ouvertes, cafés, salles de spectacles, MJC, cinémas, toutes sortes de lieux pouvant réunir poètes et spectateurs ; elle permet aussi de proposer de la poésie dans des espaces insolites ou inhabituels, tels que bureaux de poste, librairies, médiathèques, écoles, hôpitaux, prisons ou marchés en plein air… Les scènes slam sont organisées par des poètes et des acteurs culturels ou des structures dont l'intérêt est de cultiver la poésie dans leur communauté. Certains sont des professionnels à plein temps, d'autres sont organisateurs ponctuels afin de sélectionner une équipe qui représentera sa communauté au Grand Slam National.

Les orateurs viennent déclamer leurs textes souvent griffonnés dans l’instant, chaque prestation ne devant jamais excéder les 5 minutes. Seule condition pour participer, s'inscrire auprès du présentateur, sans audition ni sélection préalable car le slam donne la parole à chacun, quel que soit son style.

— Un art oratoire urbain en plein essor

Les plus actifs comme Felix J. et Nada, l’un des pionniers du slam en France, sont regroupés autour du Collectif Spoke Edition avec Dgiz, Normal (et son slamzine), tous grands improvisateurs rapides et inventifs, qui ont réintroduit une certaine conscience de la langue. On trouve aussi la collaboration de Black Sifichi, DJ et performer… Quant à Olivier Cadiot et Rudolph Burger, à l’automne 2005 sur scène, ils scellent peut-être le début du dialogue entre slam (ou spoken words) et poésie proprement dite avec des connexions avec le rap et les musiques électroniques ou expérimentales.

Cet univers a une Fédération nationale, avec le personnage de Pilote le Hot, un peu décalé qui le stratifia dans les années 1990.

Né à Paris en 1967, Pierre Pannetier, nom de scène PIERKIROUL, a découvert par hasard le slam en roller un soir glacial de janvier 2003 aux Lucioles, où il scande ses sentiments en public. Il co-présente avec Sylvainkimouss une scène slam tous les troisièmes jeudis du mois "Aux cent kilos", à Paris XVe. (akelwood@yahoo.fr)

Né en 1966 en région parisienne puis élevé dans de multiples chapelles de la culture alternative, Pilote le Hot passe ses premières années à arpenter l'Europe et ses alentours. Depuis 1985, défricheur de la poésie, Pilote le Hot construit un personnage, un débit et un son poétique qui sont devenus sa marque de fabrique. En 1995, il est l'initiateur et l'un des principaux activistes du mouvement slam en France ; mouvement de rencontres démocratiques, ouvertes aux poètes de tous bords, quels que soient leurs styles. Auteur d'Amours, de Poésies et Pâtes fraîches et de Culture rapide, recueils édités en 1999 et en 2001 au Castor Astral, il invente une alternative en ajoutant à l'écrit des vidéos sur cédérom de ses poèmes. Aujourd'hui encore, Pilote le Hot continue son travail de poète, d'acteur et d'activiste culturel sur plus de 250 scènes en France comme à l’étranger. Il fait partie aujourd'hui des artistes sollicités pour les festivals internationaux de poésie comme ceux de Rotterdam, Rome, Berlin, ou Chicago. Parallèlement à la sortie d'un disque en collaboration avec Hector Zazou, il projette d'ouvrir bientôt à Paris, une Maison de la poésie vivante et de l'art oratoire. La Nuit Blanche Oratoire du 5 novembre 2002 dont il a été l’organisateur pour la ville de Paris en est un avant-goût poétique. (pilotelehot@wanadoo.fr)

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Première publication : 18/12/06 - Mise à jour : 18/12/06

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