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Apports de la pratique théâtrale
en classe d'accueil

Stéphanie Clerc

Université d'Avignon
Laboratoires ICTT et ICAR Lyon 2

Si les pratiques artistiques se sont développées depuis longtemps en milieu scolaire, notamment avec l’Éducation nouvelle, c'est dans les années quatre-vingt, avec la signature d'un protocole entre les ministères de l'Éducation nationale et de la Culture (1983), que les établissements scolaires se sont plus largement ouverts à leur environnement culturel. Ainsi, les ateliers de pratiques artistiques associant des partenaires professionnels sont encouragés par les textes officiels (BOEN du 25 mai 1989 et du 8 mars 1995) et, en 1993, un protocole relatif à l'éducation artistique, signé par les ministères de l'Éducation nationale, de la Culture, de la Francophonie, de l'Enseignement supérieur, de la Jeunesse et des Sports vient consolider cet axe en définissant un plan d'action visant "le renforcement du partenariat, la consolidation des enseignements artistiques et pratiques dans le temps scolaire, la formation des enseignants, le développement de plans locaux pour l'éducation artistique, l'aménagement du temps et des rythmes scolaires".

En janvier 2003, le rapport sur L’éducation aux arts et à la culture souligne les effets bénéfiques des enseignements artistiques sur les élèves, notamment pour le développement de leur "intelligence sensible" et en préconise la consolidation et la généralisation. En octobre de la même année sont publiées les Orientations pour une politique en matière d'enseignements artistiques et d'actions culturelles (BOEN n° 40 du 30 octobre 2003), encouragées également dans les zones d'éducation prioritaire (2005, dossier "Culture et ZEP" du SCEREN).

Des associations telles que l'Association nationale de recherche et d'action théâtre (ANRAT) contribuent à faire évoluer les institutions éducatives et culturelles dans ce sens, notamment dans le cadre de la formation des enseignants (Page, 1997).

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Pratiques artistiques et élèves nouvellement arrivés

Les pratiques artistiques sont parfois perçues comme un luxe face à l'urgence de doter les élèves des compétences linguistiques.

Cependant, dans le cadre de la scolarisation des élèves nouvellement arrivés (ENA), les pratiques artistiques sont parfois perçues comme non pertinentes (ou comme un luxe) face à l'urgence de doter les élèves des compétences linguistiques et disciplinaires indispensables à leur intégration dans un cursus ordinaire. "Apprends le français d'abord" avait répondu une conseillère principale d'éducation à une adolescente algérienne nouvellement arrivée en France qui lui demandait de participer à un atelier théâtre de son collège. Représentation qui relève, comme le regrette Philippe Meirieu (2004), "d’une "pédagogie des préalables" […] Ainsi, il faudrait attendre de savoir nager pour avoir le droit d’aller à la piscine. Attendre de savoir lire pour pouvoir ouvrir des livres. Attendre de savoir écrire, parfaitement et sans faute, pour griffonner sa première lettre d’amour" !

Une conception qui "empêche les enfants d’entendre la vie gronder derrière les connaissances fossilisées que l’École leur enseigne" et "trouve toujours des prétextes pour reculer le moment de la confrontation avec la culture" parce que le temps ferait défaut pour acquérir les fondamentaux.

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Par ailleurs, cette réticence à introduire des pratiques artistiques auprès d'élèves en difficulté témoigne d'une méconnaissance de leur importance dans le rapport à l'école, au savoir, de leurs effets sur les performances et les comportements des élèves et sur les processus d'apprentissage en général, comme en témoigne l'étude internationale de l'UNESCO sur l'impact des Arts à l'école (Bamford, 2006) ou encore le rapport australien (2003) ayant mesuré les effets de l'éducation artistique sur les performances de 650 élèves en terme de résolution de problème, de planification, d'organisation, de communication et de travail de groupes.

Certes, les outils d'évaluation de l'impact des pratiques artistiques sont encore imprécis et particulièrement difficiles à élaborer dans le cas de la pratique théâtrale car si les aspects "techniques" comme la diction ou la puissance vocale sont facilement évaluables, en revanche il est malaisé d'estimer précisément ce que cette pratique apporte dans le développement de l'individu et l'enrichissement incommensurable qu'elle suscite (Michel Bouquet, dans ses entretiens avec Charles Berling, 2001).

Conduisant depuis plusieurs années des recherches sur la scolarisation des ENA, nous avons pourtant pu constater (Clerc, Cortier, Longeac, 2008), que la qualité de leur intégration scolaire se joue non seulement grâce aux liens et articulations créés entre les cours spécifiques de français langue seconde/de scolarisation (FLS/Sco) et les classes ordinaires mais également par l’introduction de pratiques artistiques qui permettent aux élèves, aux parcours scolaires variés (certains ayant été peu scolarisés dans leur pays d'origine), aux niveaux de français hétérogènes et en difficulté sociale et psychologique, de se confronter à une démarche de création, leur apporte des ressources diversifiées, une palette de langages, un accroissement de leur désir d'expression dans la langue de scolarisation et les aide à s'inscrire dans leur nouvel environnement éducatif.

En effet, ainsi que le souligne Gisèle Pierra (2006), le jeu dramatique dans l'enseignement des langues, offre "un nouveau rapport au langage, plus impliqué et impliquant" (p. 25), "un accès esthétique à la parole en langue nouvelle" qui amène les élèves "à créer, à se mettre en jeu et à se décentrer de leurs habitus, par le corps devenant actif et créatif dans l’autre langue, au contact des différences culturelles." (p. 115). Il permet d'engager les élèves dans une activité qui les sollicite au niveau de la globalité de la personne (Page, 1997 : 33), qui les rend acteurs de leur formation et les valorise notamment lorsqu'ils sont amenés à montrer leur performance à leurs camarades francophones, à leurs familles et à l'ensemble de l'équipe éducative.

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Contexte de l'étude

Nous rendrons compte ici des apports de la pratique théâtrale avec une classe d’accueil composée de seize élèves (6 filles et 10 garçons) arrivant d’Algérie, d’Albanie, du Maroc et de Turquie, âgés de 12 à 16 ans et scolarisés dans une classe d'accueil (CLA) d'un établissement en zone d'éducation prioritaire, classé "Ambition réussite" (collège J. Roumanille, Avignon).

Il est important de souligner qu'il s'agissait pour ces élèves de leur première expérience de pratique théâtrale et que l'atelier théâtre (AT) qui leur a été proposé, s'est déroulé, faute de budget suffisant pour rémunérer le comédien professionnel intervenant, à raison de quatre séances de deux heures au collège seulement et d'une séance filage de deux heures au théâtre avant la représentation publique devant leur famille, des membres de l'administration du collège et l'auteur de la pièce. Soulignons l'importance de cette représentation publique dans un "vrai" théâtre pour créer ce rapport magique scène / salle qui ne peut être reproduit nulle part ailleurs.

Le faible nombre d'heures de formation a cependant pu être compensé d'une part grâce à un étalement des interventions du comédien sur plusieurs mois (deuxième et troisième trimestres de l’année scolaire 2005-2006), de manière à ce que les élèves se sentent engagés dans un projet suffisamment étalé dans le temps, et d'autre part par le lien étroit que l'enseignante de FLS/Sco, Fabienne Leridon De La Rosa (1), assurait entre ses cours et l'AT. En effet, le texte mis en scène était également étudié pendant les cours pour en explorer le lexique, les références culturelles et remédier aux difficultés phonétiques rencontrées lors de l'atelier. De plus, des activités de traduction d'extraits de ce conte et d'autres contes des pays d’origine des élèves ont été proposés, également dans un souci de reconnaissance et de valorisation des langues d'origine.

Le texte mis en scène

Parce que la CLA n'est pas seulement une classe de langue et qu'une de ses missions principales, ainsi que le souligne la circulaire de 2002 (BOEN spécial n° 10 du 25 avril 2002) relative à la scolarisation des ENA, est d'assurer au plus vite l'intégration des élèves dans un cursus scolaire "ordinaire", il y a, comme le souligne Michèle Verdelhan (2002), une urgence à apprendre la langue et à apprendre dans la langue des savoirs autres que langagiers. C'est pourquoi, afin d'établir des liens avec les objectifs du programme de français de sixième qui visent prioritairement le développement des compétences narratives, nous avons choisi de mettre en scène une partie d'un conte contemporain inspiré du célèbre Petit Poucet de Charles Perrault : Il était une fois... le Petit Poucet, écrit par Gérard Gélas (1998), auteur et metteur en scène au Théâtre du Chêne Noir, scène conventionnée d'Avignon dont fait partie Damien Rémy, le comédien-formateur ayant animé l'AT.

Travailler sur un genre narratif au programme du cursus ordinaire était donc un moyen d'assurer le lien entre apprentissage de la langue et suivi du programme de français langue maternelle. Le texte choisi offrait en outre de nombreux intérêts, parmi lesquels le mélange des registres de langue ainsi que des références à d'autres contes ou légendes populaires (La Chèvre de Monsieur Seguin, La Petite fille aux allumettes, le Père Noël…) ce qui a permis de faire découvrir aux ENA des aspects de la culture quotidienne des élèves français dans une optique de partage d'une culture commune. Par ailleurs, le conte de G. Gélas posait des questions telles que la pauvreté, la xénophobie, les conflits parents / enfants qui entraient en résonance avec le vécu des élèves et qui, par la mise à distance qu'autorise la pratique théâtrale, pouvaient être abordées avec moins d'affects.

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Les apprentissages observés

Nos conclusions quant aux apports de la pratique théâtrale en FLS/Sco reposent sur notre observation participante, sur le bilan de l’enseignant et sur nos entretiens avec les élèves à l'issue de l'atelier et suite à la projection d'un DVD-témoignage de cette expérience avec une partie des élèves huit mois plus tard. Il ne s’agit donc pas d’une étude longitudinale de type acquisitionniste permettant une analyse fine des progrès de l’interlangue grâce à cette pratique (2) mais d’un rencensement des savoirs, savoir-faire, savoir-apprendre et savoir-être développés ou, pour reprendre la typologie de O'Malley et Chamot (in Cyr et Germain 1998 : 38-40) des stratégies qui ont été sollicitées pendant l'atelier et dont nous connaissons l’importance dans le processus d'acquisition d'une langue étrangère :

  • stratégies métacognitives : attention générale, attention sélective, autoévaluation, identification d'un problème,
  • stratégies cognitives : répétition, induction, déduction, traduction
  • stratégies socio-affectives : coopération, contrôle des émotions, demandes de clarification

Pour pallier la difficulté de mesurer par des tests les progrès accomplis, nous avons réalisé un DVD-témoignage (3) de 28 minutes à partir des dix heures d'enregistrement de cet atelier (voir les vidéos). Ce documentaire, dont la visée est également d'être un outil de formation des enseignants désireux de mettre en place un atelier théâtre, est articulé en six chapitres :

1. les règles, apprendre à travailler ensemble : qui reprend les différents moments où le comédien intervenant pose ou rappelle les règles du faire ensemble, la nécessité de l'entraide pour qu'il y ait plaisir partagé et avancement du projet grâce à l'attention et l'engagement de chacun.

2. confiance, estime de soi, se tromper et progresser : ce chapitre montre combien il est particulièrement important de rassurer ces élèves sur leurs capacités au-delà de leurs compétences linguistiques encore incertaines et de les aider à oser exprimer leurs difficultés et à ne pas craindre l'erreur.

3. articulation, prononciation, prosodie : partie qui synthétise les différents moments où les élèves apprennent l'importance de la rythmique de phrase, le sens des pauses, des liaisons, des intonations et où ils s'exercent à la réalisation de phonèmes difficiles comme le [y] ou les nasales.

4. liens corps, gestes, parole : qui retrace le travail accompli dans la cohérence entre le verbal et le non verbal pour mieux réaliser des actes de parole tels que reprocher, interdire, regretter ; pour exprimer avec plus de justesse des sentiments comme la tristesse ou la joie ou encore pour donner plus de force à l'expression de la colère ! On appréciera aussi dans ce chapitre l'habileté du comédien pour aider les élèves à dépasser un tabou culturel : celui du contact physique filles/garçons.

5. progrès : la parole se libère : où l'on peut observer le parcours effectué par les élèves de la parole hésitante ou du texte dit sans intention particulière au texte joué de façon impliquée avec les intensités émotionnelles requises.

6. traduction en langue d'origine : chapitre qui rend compte d'un travail de traduction en langue d'origine d'extraits du conte mis en scène et où l'on peut apprécier le plaisir des élèves à transmettre leur langue dans un espace où elle est le plus généralement proscrite (l'école !) parce que vue comme un obstacle à l'apprentissage de la langue de scolarisation (Clerc, 2007).

Nous nous proposons à présent de recenser les différents domaines de compétences (attitudes et aptitudes) qui ont pu être développés dans cet atelier théâtre et dont le DVD rend compte plus pleinement.

Le développement d'attitudes et de stratégies socio-affectives

La confiance en soi

Les élèves apprennent dès le premier exercice de présentation individuelle dans l'espace scénique à être exposés aux regards des autres, à lever leur visage et à projeter leur voix pour être entendus.

Parce que la pratique théâtrale fonctionne sur des valeurs de confiance et de respect, explicitées au début de l'atelier par le comédien, les élèves apprennent à se risquer, à dépasser la peur de s’exposer dans la langue en cours d’apprentissage et d’être jugés.

Le comédien leur apprend à développer leur sens critique sans jugement de valeur. Ainsi, les élèves qui, au début, avaient tendance à rire des maladresses de leurs camarades, comprennent que l'erreur doit être radiographiée et qu'elle est base de progrès et même base de travail pendant la phase de réflexivité, ce temps d’échanges qui fait suite à la phase de jeu et au cours de laquelle, guidés par le comédien, ils analysent les difficultés rencontrées, proposent des pistes pour les surmonter et échangent sur ce qu'ils pourraient davantage exprimer du texte.

La coopération, l’entraide, la solidarité

Par le jeu dramatique, pratique fédératrice qui nécessite l'adhésion et l'énergie de chacun, ces élèves, inhibés et craintifs à leur arrivée, ont appris à trouver leur place dans le groupe, à se regarder, à écouter les autres (l’enseignant, le formateur, les pairs), à réagir à ce que fait l'autre et à être des partenaires dans l'apprentissage en s'entraidant. Ce faire ensemble s’est également traduit par un apprentissage de la mixité : les sous-groupes filles / garçons, cloisonnés au début, ont appris le contact oculaire et physique, ils ont dépassé la tendance naturelle à se sécuriser en restant dans leurs propres frontières.

L'atelier a ainsi favorisé la rencontre de l’altérité, la relation intersubjective et a permis de sortir "du cadre proxémique habituel de la classe et d’une intersubjectivité centrée uniquement sur la relation apprenants/enseignant" (Auger, 2001). Les élèves ont ainsi pris conscience de l'importance, au théâtre comme dans les autres disciplines scolaires et comme dans la vie en général, du faire ensemble, de l'engagement dans "une entreprise collective fondée sur la découverte de soi et l’ouverture aux autres" (Page 1997 : 120).

Le développement de savoir-apprendre (stratégies cognitives)

- La concentration, l'attention, la patience, l'effort, la rigueur, la disponibilité, l’exigence envers soi-même, l'observation et l'écoute attentives sont sollicitées à tout moment pendant l'atelier : dans les coulisses, sur scène et dans l’espace spectateurs puisqu'on apprend à se sentir concernés par le jeu des autres, à s'observer pour apprendre des erreurs et des performances de ses partenaires et l'on prend conscience que notre propre concentration influe sur celle de l’autre. La pratique théâtrale a entraîné les élèves à ne pas se disperser, à ne pas se laisser parasiter par l’environnement extérieur à l’exercice, ce qui est également important dans le fonctionnement de la classe où il faut la concentration de tous pour avancer ensemble.

De plus, parce que la scène est un espace ritualisé, quasi sacré et que l’on ne peut pas faire n’importe quoi n’importe comment dans cet espace, on y apprend la sacralité de l’espace de parole et de transmission.

L'attention, la rigueur et la patience sont également requises lors des exercices de diction au cours desquels les élèves s'approprient de manière ludique les phonèmes, les règles de liaison et différents schémas prosodiques. Ainsi, des exercices qui paraissent souvent laborieux lorsqu'ils sont répétés dans le cadre de la classe ou dans un laboratoire de langue sont ici source de jeu. L’intervenant invite à faire, refaire… toujours dans un désir d'évolution et d'apprentissage, sans lassitude. On reprend une phrase, une scène sans être dans une répétition mécanique puisque la reprise d'un exercice est considérée comme temps d’expérimentation et que les élèves comprennent que la répétition amène à la maîtrise et la maîtrise au plaisir. Lors de la séance bilan, ils nous disent l'importance de l'effort pour trouver du plaisir sur scène.

- Les capacités de mémorisation sont développées puisque la pratique théâtrale exige de connaître son texte et celui des autres. Le comédien – intervenant fournit divers outils de mémorisation : visuels, auditifs, kinesthésiques, spatiaux. Il enseigne aux élèves comment travailler leur texte dans différents contextes de leur vie quotidienne et avec différents partenaires, ce qui contribue également à la cohésion du groupe. Cet important travail de mémorisation les valorise et les rassure sur ce qu’ils devront mémoriser dans les autres disciplines scolaires.

- L'apprentissage par la découverte progressive, l’expérimentation, le tâtonnement. Ces élèves, le plus souvent habitués dans leur scolarité antérieure à des approches transmissives de type associationniste, se sont familiarisés avec les stratégies d’apprentissage qui correspondent davantage à nos démarches socio-constructivistes où l'apprenant est amené à découvrir par lui-même en élaborant des hypothèses. En effet, entre la première phase de jeu et le rejeu, les élèves sont confrontés à des situations de recherche active, d'exploration personnelle et collective sur les points à retravailler : ils font des hypothèses sur les sens possibles exprimés par le texte, ils apprennent à aller plus loin, à faire évoluer une expression, à l’approfondir en intégrant les propositions des autres pour aller au-delà des possibilités premières. C'est aussi une mise en commun des imaginaires, des interprétations et des expériences. Un chemin aussi vers l'altérité.

Développement des compétences langagières

Avec le développement des capacités expressives grâce à un important travail sur le corps et la parole. En effet, outre les compétences de compréhension et de production orales et écrites, la pratique théâtrale convoque simultanément plusieurs modes d’expression, sollicitant ainsi la personne dans sa globalité.

La parole est considérée dans ses dimensions plurielles, les aspects prosodiques, kinésiques et proxémiques de la communication sont analysés et retravaillés en lien avec le sens, les intentions, les émotions que l'on veut transmettre. Le jeu dramatique offre ainsi un important travail sur le langage corporel "souvent occulté dans l’enseignement" (Auger, 2001) et sur la précision du geste : on apprend à s'exprimer par le verbe en lien avec le corps ce qui permet en langue seconde de mieux conscientiser l’adéquation ou l’inadéquation entre le geste et la parole et d'explorer les dimensions culturelles de la communication en expérimentant d'autres gestes ou d'autres manières de traduire des émotions. Les élèves, figés au début, ont appris, par ce rapport esthétique au langage à libérer leur corps, à explorer leur créativité gestuelle et intonative.

Pour conclure

Lors de la séance bilan, l'enseignante de la classe d'accueil soulignait que cet atelier avait amélioré la cohésion du groupe par plus de mixité, par un engagement collectif plus soutenu et un plus grand désir de parole dans la langue de scolarisation. L'atelier semble avoir opéré comme un formidable générateur de motivation et un déclencheur des efforts nécessaires dans l'apprentissage d'une langue nouvelle. Les élèves plus avancés, démotivés en classe, se sont sentis valorisés par leur performance sur scène et par leur rôle d'experts auprès des plus faibles qu'ils soutenaient dans leurs efforts d'appropriation du texte et du jeu.

En apprenant à jouer des humeurs, ils ont aussi compris comment l'on peut transformer une humeur en s'en distanciant. Et parce que le théâtre c'est du plaisir là, ici et maintenant, ils ont entrevu comment l'on peut magnifier l'instant et nous avons vu les sourires se multiplier sur leurs visages souvent graves d'enfant transplantés. Le théâtre a sans doute contribué aussi à mettre du jeu dans leur nouvelle vie.

Enfin, en apprenant à transformer l'espace de jeu pour mieux le faire vivre, ces élèves, auparavant en retrait dans le collège, ont pris possession de leur nouvel environnement scolaire pour mieux y vivre. Et l'on sait l'importance pour ces élèves migrants d'apprendre à se sentir bien dans leur nouveau milieu éducatif et social pour s'engager activement dans un parcours de réussite.

(Article publié in ADEN, Joëlle (dir.), 2008. Apprentissage des langues et pratiques artistiques. Créativité, expérience esthétique et imaginaire. Ed. Le Manuscrit.)

Illustrations : Affiches tirées de l'exposition de la Bibliothèque nationale de France (BNF) consacrée aux contes de fées.

Notes

1. Que nous remercions ici pour son engagement dans ce projet.

2. Précisons toutefois que ces élèves ont obtenu les meilleurs résultats de l'Académie d'Aix-Marseille au DELF scolaire.

3. Nous remercions le service audiovisuel de l'université d'Avignon et des Pays de Vaucluse qui a mobilisé du temps, des moyens techniques et beaucoup de savoir-faire pour que ce DVD puisse voir le jour.

Références bibliographiques

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GELAS (Gérard), Il était une fois... le Petit Poucet, Avignon, publication du Théâtre du Chêne Noir, 1998.

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