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Alexandrie : cité francophone

Entretien avec Heba Refaat

Heba Refaat est professeur de français au Lycée Mahmoud Zaki Salem, Ecole publique secondaire à Alexandrie.

Vous êtes professeur de français dans une école publique secondaire. D'après vous, le français se porte-t-il bien dans les établissements publics ?

J'enseigne le français dans une école gouvernementale secondaire où le français est enseigné comme deuxième langue étrangère. Tout d'abord, il est bon de rappeler que seuls les bons élèves ont accès à l'enseignement en lycée général et apprennent donc le français. En effet, pour accéder au cycle secondaire dans une école publique, il faut avoir obtenu un pourcentage de 60 % au moins sinon… l' élève est obligé d'étudier dans un lycée technique ou agricole. Le français se porte assez bien mais l'anglais est prédominant. À titre d'exemple, l'anglais est obligatoire pendant les trois années du cycle secondaire, par contre, le français est facultatif. De plus, il est enseigné pendant les deux premières années uniquement en école publique. C'est dommage !

Il existe de nombreuses disparités. Signalons, tout d'abord, qu'il existe plus de lycées de français pour filles que pour garçons. Par exemple, à Alexandrie, il n' y a que trois lycées pour garçons, tandis qu' il y a plus de vingt lycées pour filles. De plus, dans les écoles privées, le français est enseigné dans tous les cycles pour tous les niveaux (maternelle, primaire, préparatoire, secondaire). Les élèves ont donc le privilège de poursuivre leurs études universitaires dans une section française car ils ont acquis une bonne base en français. En revanche, dans les écoles publiques, le français est seulement enseigné pendant les deux premières années uniquement pour les filles comme les garçons. Dans les universités, il y a une grande majorité de filles qui étudient la langue française, disons que 85 % de filles préfèrent poursuivre leurs études en français, tandis que 15 % de garçons seulement s'intéressent à l'étude du français à l'université.

Le français est considéré comme langue plutôt "féminine" que "masculine" et la pénurie des postes vacants pour les francophones à Alexandrie pousse également les garçons à ne pas choisir cette filière. Les anglophones ont plus d'opportunités.

D'ou vous est venue cette passion de la langue et culture françaises ?

J'ai toujours apprécié cette langue des "élites". Toute petite, j' avais les meilleures notes en Français. À force de lire et d'apprendre, j'ai aimé davantage la culture française… et j' ai décidé de suivre mes études universitaires à la faculté de Pédagogie "Section française" pour approfondir ma langue et mes connaissances. Je ne me suis pas arrêtée à ce stade. Par la suite, j'ai poursuivi des études supérieures de deux ans pour ne pas oublier le français car je l'enseigne comme deuxième langue. Et actuellement, je prépare une maîtrise en français, avec comme spécialité la traduction (mon domaine favori). Bref, je m'identifie facilement en français et je dis toujours que "je suis tombée amoureuse de cette langue très riche et très vivante, à jamais".

Pensez-vous qu'aujourd'hui le français ait encore une place en Egypte, face à la prédominance de l'anglais dans le cursus scolaire ? L'anglais n'est-il pas vu comme la langue de l'avenir pour la jeunesse ? Si oui, quelles motivations pour ces étudiants de français ?

Oui, bien sûr, le français a une place en Egypte, malgré la place importante de l'anglais, mais elle est un peu marginalisée. Il est vrai que l'anglais représente plus certainement l'avenir pour la jeunesse. Il faut beaucoup d' effort et de bonne volonté pour rééquilibrer les deux langues. À mon avis, il faudrait créer beaucoup de librairies françaises, plus de centres culturels français, favoriser les échanges entre l'Egypte et la France par le biais de bourses, stages, correspondances, et pourquoi pas, avoir une chaîne de télévision spéciale pour le français, comme c'est le cas pour l'anglais… et tant d'autres choses.

Par exemple, pour lutter contre la prédominance de l'anglais, je pense qu'il faudrait enseigner le français aux élèves dès le cycle primaire comme pour l'anglais. De plus, il serait intéressant d'organiser des échanges entre les écoles égyptiennes et françaises afin de favoriser les visites et les contacts entre élèves et professeurs. Enfin, il faudrait développer des relations internationales, et plus particulièrement entre la France et l'Egypte, au niveau du marché du travail afin que les étudiants en langue française puissent trouver des opportunités de travail dans des compagnies françaises. Je crois que par le biais de ces moyens, le situation du français pourrait se redresser et la langue française regagnerait peu à peu son prestige.

Votre belle cité, Alexandrie, est marquée d'un passé culturel riche grâce, entre autres, à sa fameuse bibliothèque, aujourd'hui reconstruite. La ville semble connaître un nouvel essor avec également la présence de l'université Senghor. Qu'apportent ces deux institutions aux universitaires et professeurs de langues, notamment professeurs de français ? Vous sentez-vous soutenus dans vos projets ? Cela permet-il de nouveaux échanges ?

En effet, la bibliothèque d'Alexandrie joue de nos jours un très grand rôle pour le développement et la "renaissance" de la langue française, avec les conférences, les rencontres, les débats, les ateliers de travail organisés par des français en collaboration avec des égyptiens qui traitent différents thèmes. La bibliothèque met également à la disposition des lecteurs de rares et précieux livres en français. C'est formidable pour les chercheurs, les professeurs d'université et notamment les professeurs de français.

La présence de la prestigieuse Université Senghor est aussi très importante, de par la qualité des études proposées et des professeurs qui viennent du monde entier pour y enseigner. Les auditeurs qui étudient à Senghor sont de trente nationalités différentes, ce qui permet un échange culturel et une ouverture sur d'autres mentalités, cultures, notamment à travers le continent africain.

Les 19 et 20 octobre 2003 dernier, ont eu lieu, à Alexandrie, les premières Assises méditerranéennes des enseignants de français langue étrangère, seconde, utilisant le multimédia, sous le haut patronage de Monsieur Abdou Diouf, secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie. Un telle rencontre vous paraît-elle essentielle ? Les thèmes abordés étaient-ils bien choisis ? La problématique semblait-elle correspondre aux véritables questionnements des enseignants de français ?

C'était parfait et adéquat aux questionnements des enseignants ! Pour la mise en application de ces idées très intéressantes, il faudrait qu'il y ait un contact permanent et suivi entre tous les organisateurs des Assises et les intervenants en vue de créer d'autres rencontres suivies pour voir la progression après cette première rencontre. Il faudrait également tenter de résoudre les problèmes auxquels les enseignants sont confrontés en leur proposant des recommandations, en les conseillant et peut-être soulever d'autres problématiques et envisager d'autres réponses qui pourraient être traitées ultérieurement. Il me semble que si toutes les institutions collaboraient et s'entraidaient, il y aurait beaucoup moins de problèmes. Alors, nous devrions travailler tous ensemble.

Il existe une association de professeurs de français en Egypte, l'association égyptienne des professeurs de français. Les professeurs à Alexandrie la connaissent-ils et participent-ils aux activités et actions mises en place ? Y a-t-il le désir dans votre région de créer votre association ? Si oui, quels en seraient le but, le rôle principal et les priorités ?

Il y a une minorité des professeurs qui la connaissent car son siège est au Caire. Elle est donc plus connue au Caire qu'à Alexandrie. La majorité des membres de l'association sont des professeurs de l'université et ils participent aux activités mises en places. Il est prévu un colloque au mois de mars sur le thème du cursus scolaire avec un grand éventail de sous-thèmes proposés, il aura lieu a la bibliothèque d'Alexandrie. La création d'une association à Alexandrie est un souhait qui me tient fortement à cœur, car, si ce projet aboutit, cela permettra d'intégrer à ce projet tous les francophones d'Alexandrie, et ceci sera très important afin de promouvoir et propager la langue française davantage. De nombreuses activités, comme les échanges entre des écoles françaises et égyptiennes, pourraient être intégrées dans le programme annuel.

Je suis déjà fortement investie dans les projets associatifs, et ai été nommée déléguée sous-régional Afrique du Nord et du Maghreb de l'Association internationale des jeunes francophones (AIJF), OING dont le siège se trouve à Limoges. Mon rôle consiste à prendre des initiatives à Alexandrie suivant les directives du conseil général et rapprocher les pays du Maghreb et de l'Afrique du Nord, le but étant de mettre en place de multiples échanges entre les divers pays, de rapprocher les différents points de vues et remédier aux problèmes régionaux.

Un dernier mot ?

Je voulais juste ajouter que je n'ai malheureusement jamais pu aller en France, faute de bourse, mais j'ai eu l'opportunité de partir en décembre dernier aux États-Unis (San Francisco, Californie), où j'ai séjourné durant 3 semaines dans le cadre d'un stage. J'ai pu suivre un enseignement et perfectionnement et découvrir la méthode "Student centred approach" qui permet de mettre l' étudiant au centre de son apprentissage et au professeur d'être un guide uniquement. Ce fût une expérience très enrichissante, et un excellent séjour, et j'aurais aimé pouvoir également suivre un stage en France, mon pays de cœur !

Rédaction : Emeline Giguet-Legdhen - Première publication : 10/12/03 - Mise à jour : 31/01/06

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