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Université catholique de Louvain (Belgique)
Les chansons sont de plus en plus présentes dans les cours de langue et beaucoup d’enseignants souhaiteraient introduire ce support dans leurs classes. Quels sont, selon vous, les apports de la chanson dans une classe de langue, notamment de français langue étrangère ?
La chanson contribue à faire de la langue un véritable objet de plaisir. De plus, elle constitue un support didactique idéal. La chanson parle à chacun de nous ; elle est un lieu de projection apprécié par tous les âges, tous les sexes… et même toutes les cultures. Je vous invite à découvrir à ce sujet les travaux du psychanalyste Philippe Grimbert. En tant que document authentique, la chanson permet d’insérer la langue dans la société d’aujourd’hui. Enfin, le support est parfaitement adapté au format habituel des cours : bref (3 à 4 minutes), cohérent et complet (le texte fonctionne souvent comme un récit miniature), la chanson possède en plus des vertus mnémotechniques. Une mélodie ou un refrain aident à retenir des tournures syntaxiques particulières, par exemple la place des pronoms compléments à l’impératif négatif avec le "ne me quitte pas" de Brel.
Soha, Tourbillon (Algérie/France)
L’exploitation de la chanson avec une classe de débutants (niveaux A1 et A2) paraît plus difficile à aborder. Quels conseils donneriez-vous aux enseignants et comment pallier les difficultés qu’ils pourraient rencontrer ?
Je conseille de proposer aux débutants une réception de la chanson qui soit la plus "authentique" possible, qui s’approche de l’écoute naturelle d’une chanson dans la langue maternelle. La méthode est simple : priorité à l’écoute affective et à la réception mixte.
Par "écoute affective", je veux dire que les sensations et/ou les émotions suscitées immanquablement par la chanson doivent être exploitées en classe. Par "écoute mixte", je prends en compte tout le paralinguistique : la mélodie, l’orchestration, le rythme, la voix, les images du clip, la gestuelle du chanteur... J’envisage aussi la chanson comme produit culturel, comme porte d’entrée vers les goûts, les habitudes et les questions de société propres à tel ou tel pays francophone.
Ce type de réception authentique, où la compréhension du texte ne constitue pas une priorité en soi, est accessible à des débutants.
Slaļ, La derniere danse (Antilles)
Concrètement, comment préserver une réception "authentique" de la chanson en classe ?
Je recommande de favoriser l’expression personnelle au départ de la chanson. Des apprenants de niveau A1 sont déjà capables d’exprimer en des termes simples leurs ressentis (par ex. est-ce une chanson triste ou gaie ?) et leur propre univers de connaissance (par ex. est-ce une chanson moderne ou ancienne ? pop ou rock ? à quel artiste de votre culture vous fait-elle penser ?).
Par ailleurs, approcher la chanson comme genre mixte permet d’installer une compréhension progressive, aussi bien avec les débutants qu’avec les niveaux plus avancés. Les consignes d’écoute doivent au départ rester très globales et simples à réaliser, afin de ne pas trop conceptualiser la découverte de la chanson. Ensuite, l’écoute peut devenir de plus en plus analytique, sans pour autant aller jusqu’à épuiser le document. Autrement dit, on entre dans la chanson au travers des aspects sonores (musique, voix, mélodie…) et/ou au travers des images (par ex. par le repérage visuel d’éléments dans un clip, une photo du groupe sur scène…), avant de se concentrer sur certains points linguistiques.
Avec les débutants, le travail linguistique sur le texte ne doit pas aller plus loin que les objectifs linguistiques recommandés par le CECR. Une dérive que je rencontre souvent chez les enseignants qui travaillent avec des chansons est de viser systématiquement la compréhension fine, quasi mot à mot. D’où des réticences à employer la chanson avec les débutants ! Pourtant, dans notre langue maternelle, il nous arriver d’aimer des chansons sans être capables d’expliquer en détail de quoi elles parlent… Une chanson peut donc aussi parfois fonctionner sans son texte en classe de langue.
Outre l’intérêt expressif et culturel que je viens d’évoquer, l’avantage d’exposer l’apprenant débutant à des chansons, énoncés oraux authentiques, est de développer sa conscience et son aptitude phonétiques, c’est-à-dire sa capacité d’apprendre à distinguer et produire des sons inconnus, et sa capacité à diviser la chaîne parlée en éléments distinctifs. La lecture phonétique à voix haute d’extraits de la chanson, voire le chant en classe, permettent d’atteindre cet objectif, même si toutes les phrases prononcées ne font pas sens.
Vous animez depuis huit ans des formations sur la chanson en classe de FLE, à l'attention de professeurs du monde entier. Que proposez-vous lors de vos formations ? A quels besoins répondez-vous et quels sont vos objectifs ?
Les modules que j’anime dans le cadre de la CEDEFLES de l’Université de Louvain varient évidemment en fonction du public et du format. J’y pose en général quelques balises théoriques, comme la définition du genre chanson ou l’histoire de la chanson en classe de FLE. Je mets aussi à jour les connaissances des stagiaires sur la chanson francophone actuelle. Mais ces formations sont avant tout conçues comme des ateliers. Je pars de l’expérience de la chanson en classe de langue qu’ont les participants, comme prof ou élève. Je m’appuie sur les avantages et les difficultés qu’ils ont expérimentés. Je leur propose une démarche didactique pour travailler en classe avec la chanson. Les participants conçoivent une fiche pédagogique en petit groupe. Ils expérimentent leur parcours face aux autres stagiaires qui, le temps de la simulation, se mettent dans la peau d’étudiants en FLE. On s’amuse toujours beaucoup pendant cet exercice.
Les retours sont-ils positifs ?
La formation provoque souvent un déclic chez les participants. Grâce au cadre qu’elle propose, leurs réticences tombent et leur créativité se libère. Croyez-moi, ils me surprennent à chaque fois ! Mon objectif est atteint si les participants cessent de considérer la chanson comme un apéritif ou un dessert dans leurs cours, et s’ils sont prêts à la proposer en plat principal.
Les enseignants manquent souvent de méthode pour créer leur propre matériel pédagogique. Comment concevoir des fiches pédagogiques pour sa classe à partir de chansons ?
Je propose de décliner tout parcours didactique autour d’une chanson en trois étapes : une première phase de "découverte", une phase de "compréhension" et enfin une phase d’"expression". Les parcours pédagogiques créés par le CAVILAM et diffusés par TV5 ont contribué à populariser cette approche progressive, sous des étiquettes similaires.
La phase de découverte donne à chaque apprenant le temps de s’approprier le document avant d’entamer le travail d’apprentissage linguistique et culturel à proprement parler. Le premier contact avec la chanson peut être partiel (par ex. les 40 premières secondes ou les premières images d’un clip, avec ou sans le son, le titre ou une photo du groupe sur scène).
L’étape de compréhension consiste à approfondir un élément de la chanson (par exemple une opposition phonétique, un champ lexical…) en vue d’un apprentissage linguistique ou culturel. Je rappelle qu’une chanson, même en classe de langue, ne se réduit pas à réservoir de difficultés morphosyntaxiques, lexicales et phonétiques. Elle n’est pas non plus qu’un texte littéraire dont il s’agirait de comprendre en profondeur chaque nuance, chaque détail, et chaque référence culturelle.
D’où l’importance de la dernière étape, que j’appelle phase d’"expression". L’apprenant est amené à produire, seul ou en groupe, un texte oral ou écrit à partir d’un ou plusieurs éléments de la chanson mis en évidence lors des deux étapes préalables. Je trouve important que dans cette phase d’expression, l’étudiant ait l’occasion de mettre en relation son propre univers avec celui de la chanson.
Voici à titre d’exemple une fiche conçue par un groupe de stagiaires avec qui j’ai travaillé à Louvain-la-Neuve en août 2007.
Tiken Jah Fakoly, Non à l'excision (Côte d'Ivoire)
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