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Rencontre autour du projet Ifadem

Ce projet, co-piloté par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), s'est donné pour objectif principal d’améliorer les compétences des instituteurs dans le domaine de l’enseignement du français. Il s’appuie sur un dispositif hybride qui associe formation traditionnelle et utilisation des TIC.

Guérir le mal par la racine

Thomas Simbossa est inspecteur de l’enseignement du premier degré au Bénin après avoir été directeur de l’enseignement primaire. Il préside le comité national de suivi Ifadem.

Je remercie très sincèrement le secrétaire général de l’OIF qui a bien voulu que notre pays, le Bénin, fasse partie des pays expérimentateurs de cette initiative. Depuis quelque temps, on constate une baisse de niveau en général et surtout en français, les Béninois et Béninoises ont donc accueilli cette initiative favorablement. Lors du premier regroupement, nous avons pu réunir 582 enseignants qui préparent le certificat élémentaire d’aptitude pédagogique. Cette formation leur permettra d’acquérir un certain nombre d’outils linguistiques dont ils auront besoin pour affronter les épreuves pratiques.

Alors que le français est la langue de travail, de communication et d’apprentissage, comment expliquer cette baisse de niveau ? Les enfants, lorsqu’ils arrivent en CM2, ne comprennent pas bien le français. Ils ne maîtrisent pas les notions élémentaires. Par conséquent, il nous faut guérir le mal par la racine en formant les enseignants et en favorisant un enseignement de qualité.

Si le programme est bien accueilli, c’est aussi parce qu’il tient compte du multilinguisme de nos pays. Le français est la langue officielle, la langue de communication que nous avons choisie, mais nous avons également, dans nos pays, des langues maternelles. Les enfants, quand ils viennent à l’école en première année, ne parlent pas le français a priori. C’est à l’école de leur donner les outils qui leur permettront de maîtriser la langue et d’être, plus tard, performants.

Dans chaque pays, des personnes compétentes élaborent les modules, en collaboration avec les experts internationaux, ceux qui maîtrisent le mieux la didactique et la linguistique. Aussi, partons-nous toujours de la réalité du pays concerné. Les autres intervenants ne traitent que des questions techniques, et veillent au respect des normes scientifiques en matière d’ouvrage.

Améliorer la qualité de l’enseignement

Les principes de la formation sont sensiblement les mêmes au Bénin, au Burundi et en Haïti. Les enseignants sont amenés à se former eux-mêmes au sein des groupes. Des tuteurs les encadrent pour favoriser la pédagogie de réussite. Notre volonté est de faire en sorte que les enseignants maîtrisent l’outil dont ils disposent désormais, afin que des changements s’opèrent au niveau de leur pratique de classe. Les mots mal employés, les phrases incorrectes qu’ils ont l’habitude de donner aux enfants, il faut qu’ils puissent les corriger. Il s’agit donc d’un outil indispensable pour améliorer la qualité de l’enseignement au jour le jour.

Nous sommes en train de prendre des dispositions pour élaborer des outils d’évaluation. L’évaluation devra nous donner le visage réel de la compréhension de la maîtrise de ce que nous avons enseigné. Mais ce que l’on peut dire dès à présent, c’est que les enseignants qui ont participé à cette formation le vivent comme une véritable chance.

Une grande première

Revocate Nibigira est responsable du campus numérique francophone de Bujumbura, qui, en tant qu’implantation de l’AUF, participe de ce programme.

Jusqu’en quatrième année du primaire, l’enseignement est dispensé en langue nationale, le kirundi. Le français devient langue d’enseignement à partir de la cinquième année seulement. Ce projet visait donc les instituteurs de cinquième année. C’est en effet à ce moment-là qu’ils commencent à enseigner en français. Jusqu’en quatrième année, ils enseignent les mathématiques ou l’histoire géographie en kirundi. La tâche pour eux n’est donc pas facile. Ce projet est donc venu à point nommé. Nous allons pouvoir ainsi les aider à perfectionner leurs connaissances en français.

Au Burundi, les instituteurs sont formés dans les lycées pédagogiques. Le lycée de Kayanza, qui a été choisi pour accueillir l’espace Ifadem, se trouve dans une province du nord du pays, située à 100 km de la capitale. Jusqu’alors, la formation continue des instituteurs se faisait uniquement en présentiel, sur une ou deux semaines. Les ateliers terminés, les formateurs s’en allaient, il n’y avait pas de suite. Le volet formation à distance d’Ifadem est donc une grande première.

Lors du premier regroupement, on sentait que les instituteurs ne savaient pas trop comment ça allait se passer. Ils n’avaient pas l’habitude de travailler chez eux, de repartir avec des manuels, des cahiers de formation. Dès le deuxième regroupement, nous avons été surpris de voir que tout le monde avait compris. Ils savent maintenant qu’ils ne seront pas livrés à eux-mêmes, qu’ils peuvent compter sur leur tuteur.

Pour produire les modules, nous nous sommes appuyés sur une équipe homogène de conseillers pédagogiques du bureau d’éducation rurale du ministère, déjà formée à la production de manuels scolaires. Nous sommes régulièrement en contact avec les tuteurs. Nous nous réunissons une fois par mois, dans l’espace Ifadem, à Kayanza et au campus numérique francophone, pour essayer de cerner les problèmes et de les résoudre.

Tout le monde en parle…

Les nouvelles technologies, tout le monde en parle… Mais 95 % des instituteurs qui suivent cette formation n’avaient jamais touché à l’ordinateur et encore moins à internet. Dans la province de Kayanza, il n’y a même pas de cybercafé dans la ville… Nous avons eu pour cette raison des problèmes au départ. Quand nous leur avons parlé de formation à distance, et de formation à l’informatique et à l’internet, les instituteurs pensaient qu’ils allaient passer plus de temps sur cet outil. Nous avons dû leur rappeler que l’objectif du projet n’était pas de former des spécialistes d’internet mais bien la maîtrise de la langue française.

Les campus numériques sont plutôt destinés à un public d’universitaires. Le projet Ifadem nous a donné l’occasion d’ouvrir cet espace aux publics de l’enseignement primaire et secondaire. Les instituteurs demandent maintenant à avoir davantage accès aux salles. Ils souhaiteraient également pouvoir bénéficier en permanence d’un suivi personnalisé. Malheureusement, nous n’avons pas le personnel pour ce public-là, nos abonnés ayant l’habitude de travailler seul.

Au Burundi, ce projet a de l’avenir. Nous avons la chance d’avoir une radio scolaire au niveau du ministère qui en rend régulièrement compte.

Enseigner le français différemment

Dominique Pierre est coordinatrice des programmes au bureau Caraïbe de l’AUF. Elle coordonne les activités Ifadem en Haïti.


L’approche d’Ifadem est nouvelle en ce qu’elle s’intéresse aux vrais besoins d’enseignement en matière de langue française. Les instituteurs ont senti que l’on allait s’occuper de leurs problèmes. Cette initiative a donc été bien accueillie.

En Haïti, la problématique linguistique est un peu compliquée, alors qu’elle devrait être simple. Nous avons deux langues nationales, le créole et le français, mais pour des raisons historiques, le français a été longtemps la langue officielle du pays en défaveur du créole, ce qui fait que tout le monde prétend parler français, ce qui est loin d’être le cas. Le français a donc toujours été enseigné comme une langue maternelle. Ifadem permet d’approcher le français différemment, comme une langue étrangère ou seconde.

Il existe plusieurs lieux de regroupement dans les départements du sud et du sud-est. Les instituteurs de ces régions auront ainsi plus facilement accès aux installations. Nous avons choisi ces deux régions, le sud et le sud est, parce qu’il y a actuellement un retour des habitants vers leur région natale. Le sud est une très belle région au niveau touristique, l’accueil y est particulièrement chaleureux et depuis une vingtaine d’années, nous avons remarqué que les enseignants, les universitaires, ont tendance à retourner dans le sud. Les ruraux se sentiront toujours isolés mais la situation est en train d’évoluer. Les tuteurs du projet Ifadem, le conseiller pédagogique et l’inspecteur régional du ministère de l’Éducation, vont pouvoir aller régulièrement à la rencontre des inspecteurs de ces régions très reculées.

Les enseignants de ces régions, même s’ils ne sont pas universitaires, pourront participer à la rédaction des contenus parce qu’ils connaissent le terrain. Ils seront assistés par des experts. Nous aurons ainsi des modules répondant à la réalité. C’est l’une des forces d’Ifadem.

La formation à distance est une chose tout à fait nouvelle en Haïti. Les instituteurs et les tuteurs ne saisissent d’ailleurs pas encore très bien, à mon avis, ce que cela signifie, la quantité de travail que cela va leur demander…

Préparer l’avenir

L’internet, l’ordinateur relèvent encore du domaine de la magie… Les instituteurs sont très attirés par ces technologies, mais nous devons refréner leur enthousiasme. Avant d’investir dans un ordinateur, il faut d’abord être certain de pouvoir le faire fonctionner chez soi.

Ifadem va déjà leur permettre d’avoir un point d’accès à internet pas trop éloigné de chez eux. Ils pourront apprendre progressivement à s’en servir pour leur travail. Il faut savoir que la plupart des instituteurs n’ont jamais touché à un ordinateur…

Il y a un autre point qui m’intéresse beaucoup dans ce projet, c’est l’idée que l’on peut le pérenniser. Il pourra être repris par les gouvernements des pays et étendu à plusieurs régions. Nous savons que nous devons ouvrir cet espace à d’autres publics et aussi à l’apprentissage d’autres matières que le français. L’utilisation des salles ne s’arrête donc pas à Ifadem. Il faut dans un premier temps juguler la demande, attendre que cette activité pilote soit bien rodée, avant de l’étendre.

C’est un projet porteur et qui engage notre avenir. Les enfants du milieu rural vont avoir enfin accès à la modernité et seront peut-être moins enclins à vouloir partir. Haïti souffre beaucoup, comme vous le savez, de l’exode des "cerveaux".

Un modèle viable

Jean Tchougbé est responsable du campus numérique francophone de Cotonou. Ifadem s’appuie sur ces installations d’avant-garde pour se développer.


Nous disposons au sein du campus d’un parc informatique de soixante-dix machines, de trois salles ouvertes au public et d’un accès internet. Nous formons à la fois aux technologies de l’information et par ces technologies de l’information. Notre catalogue comporte 62 diplômes à distance, délivrés aussi bien par des universités françaises que par des universités de pays francophones en Afrique et dans le monde.

Notre expertise a été mise au service de l’initiative Ifadem, même si celle-ci n’utilise pas directement les infrastructures du campus numérique. Au Bénin, nous disposons d’un autre espace, situé dans une école normale d’instituteurs à Abomey, au centre du Bénin, à environ 140 km de Cotonou. Cet espace de 70 m2 est équipé de vingt ordinateurs connectés à internet par boucle radio locale. Des batteries, alimentées par des panneaux solaires, nous permettent, en cas de coupure de courant, de tenir toute une journée sans avoir recours au réseau public de distribution d’énergie électrique.

Cet espace est le premier espace communautaire dédié à l’initiation à l’informatique à Abomey. Il est implanté dans une école de formation initiale, ce qui constitue un autre avantage puisque les promotions d’élèves-instituteurs de l’école peuvent également en profiter.

Lors des regroupements, les enseignants ont accès à ces technologies, tout en se formant en présentiel. Grâce aux modules, ils peuvent ensuite continuer à travailler à distance, des tuteurs les accompagnent dans leurs apprentissages. Ce suivi de proximité auquel ils ont droit fait toute l’originalité de cette initiative. Jusqu’à présent, dans ce type de formation, l’instituteur devait se débrouiller seul.

L’impact de la formation

Les instituteurs souhaiteraient apprendre davantage – il faut savoir que 95 % d’entre eux touchent pour la première fois à l’outil informatique – et donc que le nombre d’heures retenues initialement pour cette formation soit plus important.

Mais ce qui se passe est déjà extraordinaire. Les tuteurs de ces apprenants, par exemple, qui ont eux aussi à peine été initiés, ont tous décidé de s’acheter un ordinateur. Lorsque l’on sait qu’un ordinateur aujourd’hui en Afrique coûte de 500 à 800 euros dans le meilleur des cas, ce qui représente plusieurs mois de salaire pour un instituteur, on mesure immédiatement l’impact d’une telle formation.

Les instituteurs se rendent bien compte aujourd’hui que les nouvelles technologies peuvent les aider à mieux enseigner en général et à mieux enseigner le français en particulier. Ils commencent à réclamer des ordinateurs pour leurs écoles et leurs circonscriptions. Lorsque le président Abdou Diouf est venu à Abomey inaugurer l’espace Ifadem, avec le président Yayi Boni, leur slogan était même "1 ordinateur, 1 instituteur".

Le ministère peut désormais s’appuyer sur un modèle viable. Nous avons démontré en effet qu’il était possible de construire des salles et de les équiper. Quant aux ressources humaines, pour entretenir ces espaces, elles existent déjà, puisque les campus numériques forment traditionnellement des techniciens à l’usage de ces machines.

Il y a 15 ans quand j’ai commencé le campus numérique francophone de Cotonou, j’avais un minitel, aujourd’hui j’ai soixante-dix machines, vous voyez qu’il faut commencer et avancer…

La bonne technique

Abdelkrim Jebbour a été professeur de l’enseignement supérieur. Il est actuellement consultant en technologie de l’information et de la communication pour l’enseignement et la formation auprès de l’AUF. Pour le projet Ifadem, il forme les rédacteurs à l’ingénierie de la formation à distance et supervise la mise en ligne des modules.

Tout le danger des "nouvelles" technologies de l’information et de la communication vient de la fascination que ces outils exercent. On passe souvent d’un extrême à l’autre, soit on y est complètement allergique et l’on considère que ces technologies ne peuvent rien apporter à la formation, soit on se dit que c’est la panacée et qu’elles vont permettre de tout résoudre. Or, les choses sont plus complexes. Mon rôle est de montrer qu’il s’agit ici d’un travail d’ordre pédagogique, de conception, de réflexion et non pas seulement d’une transposition de ce qui se fait en présentiel.

La difficulté est ailleurs

Les formations durent cinq jours. Il s’agit de formations-actions, les instituteurs ne sont pas là uniquement pour écouter un formateur, on les fait travailler sur des choses concrètes. Petit à petit, ils comprennent que les outils informatiques sont ce qu’il y a de plus simple à utiliser, dans la mesure où de grands efforts ont été faits pour rendre ces outils accessibles. Il y a quelques années, pour faire un exercice interactif, il fallait être un champion d’html. Aujourd’hui, cela n’est plus le cas.

Une fois l’outil maîtrisé, reste donc la question la plus importante : que peut-on y mettre d’intéressant, d’intelligent, d’efficace pour l’apprentissage ?

S’agissant de la formation des enseignants, une autre difficulté tient au fait que, dans certains pays, les rédacteurs ne sont pas eux-mêmes équipés. Ils ne possèdent pas d’ordinateur et n’ont pas de connexion à leur domicile. À chaque fois qu’ils auront à faire quelque chose, ils devront donc se déplacer. Or, pour pouvoir maîtriser ces outils, il faut pouvoir les utiliser au jour le jour. Si vous ne pratiquez pas, les meilleurs formateurs ne pourront rien faire pour vous.

Quand j’ai commencé à m’intéresser à ces technologies en 2000, je me souviens que pour travailler avec mes collègues ou accéder aux cours, je devais me rendre dans des cybercafés ou à l’université. La meilleure des connexions ne dépassait pas alors les 56 Ko… Il y avait tellement de problèmes que si j’avais été de nature pessimiste, j’aurais abandonné. Le paysage a aujourd’hui complètement changé. Au Maroc, on peut par exemple avoir accès à internet pour 60-70 dirhams, c’est-à-dire trois fois rien.

Enseignement à distance ou pas, technologie de l’information ou pas, il s’agit en fait toujours du même métier. J’insiste beaucoup, pour ma part, sur la démarche et l’effort de conception qu’il est nécessaire de déployer pour monter une formation à distance et j’essaye de sécuriser les stagiaires en leur disant que la technique est ce qu’il y a de plus facile à maîtriser, dès l’instant où l’on choisit les bons outils. Et si l’on n’y arrive pas, on peut toujours demander l’aide d’un technicien.

Pour utiliser les technologies de l’information et de la communication dans sa pratique pédagogique, nul besoin donc d’être informaticien. Les instituteurs ont d’ailleurs un exemple vivant devant eux… moi-même ! Je suis initialement professeur de français, j’ai enseigné au lycée d’abord en tant que professeur de français, puis à l’université pendant 20 ans. Puisque j’y suis arrivé, pourquoi pas eux ?

Les modules

Les modules sont principalement publiés sous forme de livret papier imprimé. Le passage du format papier à la mise en ligne se fait au moyen d’une plateforme "open source" d’enseignement à distance (Moodle). Les six modules du Burundi sont actuellement en libre accès et les modules du Bénin le seront prochainement.

Quand les connexions sont limitées, tout ce qui est de l’ordre de la fioriture se transforme en obstacle. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de faire sobre. Il sera toujours temps, quand la situation s’améliorera, de modifier les pages, en y ajoutant des outils plus gourmands, comme ceux du web 2. Mais, pour l’instant, modestie et simplicité.

Entretien réalisé à Paris, le 28/10/09 - Rédaction : Emeline Giguet-Legdhen / Bruno Marty

Première publication : 09/11/09 - Mise à jour : 09/11/09

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