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Multimédias et enseignement du FLE

Entretien avec Nathalie Hirschsprung

Nathalie Hirschsprung exerce depuis plusieurs années dans le domaine de la coopération linguistique et culturelle en France et à l’étranger et s’est spécialisée dans l’étude du multimédia. Elle a également créé plusieurs médiathèques et publié articles et cédéroms. Aujourd’hui, elle dirige un centre culturel, s’investit dans des actions de formation et pilote des projets de création de ressources multimédias. Elle est l'auteur de Apprendre et enseigner avec le multimédia (Hachette, 2005).

Vous dirigez actuellement le centre culturel français Romain Gary à Jérusalem. Vous travaillez en tant qu'experte pour des projets multimédias et vous êtes également formatrice (stage BELC d’été). Comment définiriez-vous le multimédia et quelles sont les caractéristiques des supports multimédias ?

Il est bien évidemment difficile de répondre à cette double question en quelques lignes… De façon très schématique, on peut dire que ce qui définit le multimédia, au sens large, est la coexistence sur un même support des technologies de l’écrit, de l’image et du son, ainsi que le principe fondateur de l’hypertexte, qui présente l’information selon une modalité de lecture non linéaire (les unités de sens sont reliées entre elles par la présence de liens). On ne peut visualiser la globalité de l’hypertexte, c’est l’action de l’utilisateur qui le rend interactif car les choix de ce dernier sont prépondérants dans le cheminement vers l’accès au sens. Cette non-linéarité est proche du fonctionnement du cerveau humain, par l’activation de réseaux et d’entrecroisements. L’accent est mis sur l’action de l’utilisateur, sur la possibilité qu’on lui donne d’effectuer des choix. L’attitude de l’utilisateur sollicitée par le support multimédia est donc proche de celle de l’apprenant : associations d’idées, éclatement et recomposition, tâtonnements, essais, erreurs, cheminements et détours. A ce principe fondamental s’ajoutent trois caractéristiques essentielles : la structure arborescente, la multicanalité et la multiréférentialité.

Tout comme une ressource papier s’articule autour d’un sommaire, une ressource multimédia s’appuie, elle, sur une arborescence (graphe en arbre qui donne la structure d’un ensemble d’informations). Le principe est de faciliter au maximum les associations entre les informations et les médias qui les véhiculent. Ainsi, quelle que soit l’entrée sélectionnée par l’utilisateur dans le cours de son cheminement, il a toujours la possibilité d’accéder à un fonds commun d’informations.

La non-linéarité et la structure arborescente des ressources multimédias sont complétées par la multicanalité. Cette caractéristique désigne les interactions entre les images animées ou non (mode iconique), les sons (mode auditif) et les textes (mode linguistique). L’intérêt de cette présence à multiples facettes est précieux pour l’apprentissage des langues, puisqu’il permet à l’utilisateur non seulement d’utiliser le canal de communication qui lui convient le mieux à un moment donné de son apprentissage, mais aussi de développer des capacités cognitives qu’il ne sollicite pas habituellement en recourant aux autres canaux proposés par le produit.

La dernière caractéristique qui différencie les supports multimédias d’autres types de supports est la multiréférentialité. C’est la mise en rapport d’un univers avec ses sources, sa création, ses différentes versions, ses réseaux référentiels et thématiques. Elle constitue donc virtuellement la possibilité de voyager dans le temps et dans l’espace (référents géographiques, temporels, historiques).

Quelle place occupent aujourd’hui les Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement ? Pensez-vous que les enseignants, notamment de FLE, sont correctement formés à cette nouvelle forme d’enseignement ?

La présence de ressources multimédias est largement visible dans les institutions dispensant des cours de FLE ainsi que dans les centres d’autoformation guidée. De nombreux apprenants y ont recours dans les centres de ressources-médiathèques. En revanche, force est de constater que ni les formules hybrides (cours en présentiel et séances complémentaires avec des outils multimédias), ni les entretiens conseils (autoformation guidée), au cours desquels les enseignants recommandent à des apprenants une utilisation individuelle de ces supports, ne se sont réellement imposés dans les pratiques. La raison principale de ce constat réside dans la méfiance que ressentent encore beaucoup d’enseignants face à ces ressources ainsi qu’au niveau d’implication qu’elles exigent (au moins dans un premier temps) pour les maîtriser.

Si les institutions souhaitent évoluer vers ces formules nouvelles parce qu’elles sont conscientes que le marché d’aujourd’hui est particulièrement demandeur d’individualisation dans les cursus d’apprentissage, elles ne peuvent pas faire l’économie de formations pour leurs enseignants, particulièrement dans ce domaine du multimédia dans lequel on ne leur demande pas seulement de se familiariser avec un outil, mais surtout de repenser intellectuellement et psychologiquement leur rôle dans l’apprentissage.

Ne faudrait-il pas faire évoluer les pratiques actuelles vers une intégration des supports multimédias dans l’enseignement/apprentissage du FLE ?

L’émergence de besoins spécifiques conduit une partie de la population potentielle d’apprenants de FLE à souhaiter s’affranchir des cours en présentiel qui ne leur apportent qu’une réponse partielle et leur posent souvent des problèmes de rythme. Par ailleurs, la variété des besoins exprimés ne permet pas toujours d’ouvrir des cours répondant à toutes les demandes. Une ébauche de solution transite donc par les centres d’autoformation qui s’appuient sur l’utilisation massive de supports multimédias et sur une équipe de professeurs conseillers.

Dans la classe également, si l’approche communicative s’est souciée d’installer dans les apprentissages des outils simulant des situations de communication aussi vraisemblables que possible, l’environnement de la classe de langue en présentiel, quoi qu’on en dise, reste inscrit dans un cadre fictif. On y joue à être quelqu’un et à faire quelque chose, mais on demeure dans le domaine de la théâtralisation, faute de réalité tangible sur laquelle rebondir au sortir de la classe, sauf si l’apprentissage a lieu en milieu endolingue. La possibilité de mettre en réseau des groupes d’apprenants dans le monde entier, de tisser des relations entre apprenants et natifs au service de projets structurants pour l’apprentissage offre des perspectives motivantes.

Les outils multimédias gagnent à être positionnés en complément de pratiques plus traditionnelles. La possibilité qu’ils offrent d’apprendre en semi-autonomie ne peut pas et ne doit pas être ignorée. Il en va de l’avenir de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères.

Comment aider les enseignants, formateurs ou documentalistes spécialisés en FLE à choisir un outil multimédia adapté et à exploiter les ressources multimédias en complément dans leur salle de classe ou dans des dispositifs d’autoformation guidée par exemple en centre de ressources ?

Afin de se repérer dans la profusion des solutions multimédias proposées par le marché de l’édition et sur Internet, le recours à un mode de classification prenant en compte les objectifs des produits et les publics ciblés est indispensable. Il convient également de s’interroger sur les critères de sélection qui feront opter pour un produit en particulier, dans une double perspective : celle d’une approche cognitiviste de l’apprentissage et celle d’une pédagogie de l’action. Les modes de classement et outils d’analyse évoqués ici sont développés dans plusieurs titres de la bibliographie proposée en fin d’article et entre autres dans le troisième chapitre de Apprendre et enseigner avec le multimédia.

Quant à l’exploitation des ressources multimédias en complément de la classe ou en centre de ressources, ici encore la thématique est bien trop vaste pour être traitée en quelques lignes. En effet, plusieurs questions se posent : les outils multimédias peuvent-ils être utilisés tels quels, sans intervention de l’enseignant ? Peuvent-ils être didactisés, adaptés à une situation d’enseignement-apprentissage ? Quel est le rapport de complémentarité entre le cours en présentiel et l’autodidaxie ? Les lecteurs qui le souhaitent trouveront des exemples concrets dans l’excellent site réalisé par François Mangenot par exemple, ou encore dans le quatrième chapitre de Apprendre et enseigner avec le multimédia.

Quel est alors le rôle de l’enseignant dans un nouveau programme intégrant des ressources multimédias ?

Le rôle de l’enseignant se trouve modifié par rapport à celui qu’il tient dans la classe en présentiel, dans laquelle il délivre des connaissances au moyen d’une démarche, durant un temps donné, une seule fois et pour tous les apprenants en même temps.

Dans un programme intégrant des ressources multimédias, l’enseignant devient concepteur de tâches d’apprentissage. En effet, il doit ici s’interroger sur le parcours à établir parmi les différentes ressources pour que l’apprenant puisse apprendre en autonomie. Puis, pendant le déroulement de la séance elle-même, il doit abandonner progressivement le rôle de référent central qui est le sien dans un cours traditionnel. Il évolue vers la fonction d’accompagnateur ou de tuteur, apportant de l’aide uniquement quand et si c’est nécessaire et seulement à ceux qui en ont besoin. En termes d’évaluation, il ne mesurera plus seulement le résultat final, mais aussi les comportements qui ont jalonné le parcours. Enfin, l’enseignant revêt le rôle d’administrateur de l’apprentissage : choix des supports, maîtrise des outils, mise en place du volet temporel.

Bibliographie indicative :

BARBOT Marie-José, Les auto-apprentissages, Paris, CLE-International, 2000.

GRISELIN Madeleine, MASSELOT-GIRARD Maryvonne, PETEY Mathilde (dir.), Multimédia et construction des savoirs. Actes du Colloque International 25-28 mai 1999, Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, 2000, 315 p.

GAUTELLIER Christian, CRINON Jacques (dir.), Apprendre avec le multimédia et Internet, Paris, Retz, 2001, 220 p.

LINARD Monique, Des machines et des hommes. Apprendre avec les nouvelles technologies, Paris, L'Harmattan, 1996, 288 p., coll. "Savoir et formation" (nouvelle édition actualisée)

NAYMARK Jacques (dir.), Guide du multimédia en formation : bilan critique et prospectif, Paris, Retz, 1999, 368 p.

Publications de Nathalie Hirschsprung :

"Le centre de ressources multimédias", Alliances, mars 2002

Campus 1 (cédérom), Clé International, coll. "FLE", janvier 2005

Apprendre et enseigner avec le multimédia, Hachette FLE formation, 2005

Catalogue de vidéos documentaires, français-hébreu (cédérom), IFTA, CCF Gaston Defferre, CCF Romain Gary, juillet 2005.

Liens :
Rédaction : Emeline Giguet-Legdhen - Première publication : 01/09/05 - Mise à jour : 31/01/06

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