actualités


Accueil > Entretiens

Musique au lycée franco-allemand de Fribourg

Entretien avec Ludovic Gourvennec

Ludovic Gourvennec est professeur de FLE au lycée franco-allemand de Fribourg et coordonnateur du projet musical "Louise Attaque".

Après Les Têtes Raides et Les Ogres de Barback en 2001, Dionysos en 2003, Cali en 2004, le lycée franco-allemand de Fribourg a sollicité cette année le groupe Louise Attaque pour réaliser un nouveau projet : en quoi consistent ces initiatives ?

Les artistes sollicités sont invités à venir à Freiburg deux ou trois jours (quatre cette année avec Louise Attaque !) afin de se produire sur scène et prendre ensuite le temps de participer à diverses activités et de rencontrer les élèves qui auront préalablement abordé leur œuvre en classe avec leur(s) enseignant(s). Ce projet donne donc lieu à un temps réparti en trois phases : l’avant constituant la préparation (entre deux et trois mois), le pendant où l’accent est mis sur l’intensité des échanges mais aussi sur la nécessité de ne pas tout faire dans l’urgence, et l’après où les élèves sont amenés à réagir, à l’écrit ou à l’oral.

Quels ont été les objectifs présidant à l’élaboration de ces projets musicaux, originaux et novateurs, dans votre établissement ?

Le lycée franco-allemand, qui accueille des élèves des deux nationalités qui doivent maîtriser progressivement la langue du partenaire, a véritablement une vocation biculturelle. Ce type de projet axé sur un domaine important de la culture française a donc pour ambition de décliner la notion d’ouverture.

Ouverture culturelle tout d’abord car la chanson constitue un formidable reflet d’une société et de la culture qui la définit. Un élève allemand qui découvre l’œuvre de Louise Attaque ou de Cali perçoit donc une part de la culture française actuelle à laquelle il peut se confronter à la lumière de sa propre culture ; on aborde ici le cadre de l’acquisition des compétences socioculturelles et sociolinguistiques, d’autant plus que ces élèves vont se trouver en situation de dialoguer "en vrai" avec ces artistes. Ouverture géographique ensuite puisque le projet est l’occasion de placer notre établissement au cœur d’un réseau constitué de la ville de Freiburg (les concerts ont lieu dans une salle du centre ville, une exposition est proposée au Centre culturel français qui assure également la gestion financière), d’autres établissements allemands de la zone fribourgeoise et des partenaires transfrontaliers (l’Ecole nationale de musique, de danse et de théâtre de Mulhouse ou des lycées de Sélestat et Guebwiller) qui rendent concrets les rapports entre les deux pays. Ouverture pédagogique enfin car ces diverses activités permettent d’aborder des pratiques nouvelles et donnent l’occasion aux élèves de voir l’école autrement selon une pédagogie de projet.

Cependant, pour être tout à fait complet, il faudrait ajouter ouverture des artistes eux-mêmes qui, sans faille, acceptent les conditions proposées et jouent le jeu avec un état d’esprit réellement louable.

Cali

Cali, lors des ateliers créatifs :
les précieux conseils d’un artiste aux élèves

En 2004, le projet mené avec Cali était articulé autour du thème fédérateur du bonheur ("C’est quoi le bonheur ?") et a mobilisé 22 professeurs et 250 élèves, lesquels ont pu aborder l'œuvre du groupe par le biais correspondant à la matière enseignée : comment mobiliser tous les enseignants de toutes les matières afin que cela devienne un projet pluridisciplinaire ?

J’écoute moi-même beaucoup de "chanson française", je suis en contact avec un certain nombre d’artistes avec lesquels j’ai tissé des relations depuis une petite dizaine d’années. Chaque année, au fil de mes écoutes, je propose donc à un noyau de 5-6 professeurs des possibilités et nous décidons ensemble du groupe à solliciter et du thème fédérateur qui unifiera les diverses activités. Pour Louise Attaque, cette année, il s’agit ainsi de "L’Invitation" ("Aufforderung"). Il convient ensuite de bien communiquer à l’échelle de l’établissement pour que chaque professeur soit informé du projet et puisse décider de s’y joindre ou pas. Cette part d’information, de sollicitation des collègues, de partage des projets envisagés est très importante et fondamentale pour la réussite de l’ensemble. Les réunions sont ensuite souvent l’occasion d’un bouillon d’idées où chacun arrive avec des orientations mais repart avec des projets de prolongement.

L’objectif est d’englober plusieurs disciplines : le français (analyse de chansons, création de textes, etc.), l’allemand (les chansons du groupe sont traduites en classe par les élèves et projetées en direct pendant les concerts à l’attention du public essentiellement germanophone), la musique (les élèves assurent la première partie du concert en adaptant des morceaux du groupe invité), les arts plastiques, la philosophie (l’hospitalité à travers l’œuvre de Derrida par exemple), l’instruction civique ou les sciences économiques et sociales (le problème de la propriété intellectuelle, du téléchargement sur Internet…).

Je pense que la règle primordiale est de laisser l’enseignant tout à fait libre d’intégrer le projet comme il le sent : certains vont travailler une séance, d’autres une séquence de trois semaines. Mais chacun à sa façon apporte sa pierre à l’édifice. Cela étant, on se rend compte chaque année que des collègues, un peu réticents les années précédentes, franchissent le pas et réalisent concrètement la pertinence qu’il y a d’utiliser la chanson dans la didactique en général et du français (langue étrangère et langue maternelle) en particulier.

Pendant le concert, Juliette Brousset (élève du LFA)
est accueillie sur scène par Cali (sur la chanson "Pensons à l’avenir")

Quelle place ont concrètement les élèves dans la préparation, l’organisation et la réalisation de l’événement ?

C’est avant tout un projet pédagogique : aussi les élèves occupent-ils une fonction prépondérante. S’ils ne suivent pas, rien n’est possible. Le discours qui leur est tenu en amont est donc simple (ce qui ne veut pas dire que son application le soit…) : d’une part ils doivent faire preuve de curiosité pour une autre culture (en tant que membre d’un établissement biculturel, c’est presque un devoir) – ce qui ne signifie évidemment pas qu’ils doivent forcément aimer le style et les œuvres proposés – afin d’aiguiser leur sens critique ; d’autre part (et conséquemment) se comporter plus en producteur qu’en consommateur afin de devenir les acteurs d’un ensemble qui, sans leur participation, n’est plus le même.

Les résultats obtenus chaque année montrent que les élèves sont à la hauteur de ces perspectives. Mais deux remarques : il serait faux de penser que les élèves se lancent a priori joyeusement dans les activités car, pour la plupart d’entre eux (et notamment les Français), la "chanson française" ne leur est pas familière – utiliser la chanson française en classe n’est donc pas, contrairement à un argument répandu, une démarche facile (démagogique diront certains) visant à solliciter l’élève par ce qui le passionne le plus ; mais d’autre part, les résultats finalement obtenus – et les réactions des élèves qui en émanent - viennent effacer les doutes ou hésitations didactiques qui peuvent venir ponctuer le déroulement du projet : l’expérience accumulée d’une année sur l’autre par le professeur et (surtout) les élèves permet d’élargir toujours un peu plus le champ des attentes.

Cali

Au gré du concert de Cali, des danseuses
sont librement intervenues sur des chorégraphies improvisées

Quels sont les apports d’un tel projet pour les élèves, les enseignants et l’établissement en général ?

Toutes les personnes qui découvrent ce projet annuel constatent avec plaisir sa capacité d’une part à fédérer les énergies mais aussi à les libérer : les expositions, les concerts, les articles produits par les élèves constituent la preuve de cette créativité. Et en tant que professeur de français, je dois avouer que je suis inlassablement ému de pouvoir lire un texte poétique en langue française écrit par un élève allemand apprenant ma langue maternelle. Cette entrée dans l’épaisseur des mots (et donc dans une forme d’accès à la sensibilité de notre langue) me touche toujours autant.

À l’échelle de l’élève, la pédagogie de projet doit lui permettre de donner un sens concret aux activités qu’il développe : si on étudie une chanson, c’est dans la perspective d’une rencontre avec l’artiste qui l’a produite ; si on écrit, améliore, transforme un texte personnel, c’est en vue de l’exposer au regard du public qui viendra découvrir l’exposition ; si on apprend musicalement un morceau et si on en donne une version collective personnelle, c’est pour le présenter en live devant un vrai public et en première partie du groupe. Et cela constitue une forme crédible d’évaluation. À l’échelle de l’établissement, même si ces manifestations entraînent des bouleversements ponctuels liés à l’organisation globale – et donc des reproches eux aussi ponctuels, il faut reconnaître qu’elle fédèrent les collègues et crédibilisent aussi la direction sans l’ouverture de laquelle cela ne serait pas possible.

Quels conseils donneriez-vous aux professeurs et élèves qui souhaiteraient se lancer dans cette belle aventure ?

Il est sans doute difficile de reproduire un projet identique à cette échelle (car solliciter les artistes, fédérer les collègues, coordonner les activités, définir le budget… prend du temps et de l’énergie). Mais on peut imaginer des formes différentes : il est possible de solliciter un groupe lors d’un concert qu’il donne dans la ville où l’on enseigne. Il est très fertile pour l’enseignant de langue de mener des activités transdisciplinaires avec ses collègues : illustrer en arts plastiques le personnage qui apparaît dans une chanson, demander au professeur de musique d’expliquer comment l’utilisation d’un instrument va démultiplier ou modifier le sens d’un mot.

Et cela peut ensuite donner lieu à une exposition dans le cadre de l’établissement où des invités extérieurs peuvent donner une dimension plus solennelle ou officielle.

tableau

Tableau réalisé par un élève

Lien :
Rédaction : Emeline Giguet-Legdhen - Première publication : 2005 - Mise à jour : 31/01/06

© Franc-parler.org : un site de
l'Organisation internationale de la Francophonie