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Former à l'interculturel

Entretien avec Filomena Capucho

Filomena Capucho est professeur de langue et linguistique française à la faculté des lettres de l'université catholique portugaise, pôle de Viseu.

Pour bon nombre de professeurs et d’étudiants, la notion d’"Interculturel" n’est ni évidente ni facile à définir : comment la définiriez-vous, en quelques lignes ?

Voilà une question bien difficile ! En effet, la notion d’"interculturel" recouvre tellement de phénomènes et de processus que quelques lignes (voire des pages entières) ne suffiront pas à la définir… Bon, mais j’essaierai quand même une définition réductrice : "L’ensemble des enjeux déclenchés lors de la rencontre communicationnelle d’acteurs sociaux appartenant à des univers linguistiques et/ou culturels différents."

Afin d’introduire cette notion dans un cours de langue, la formation des professeurs s’avère-t-elle, à votre avis, nécessaire afin qu’ils puissent ensuite former eux-mêmes à la connaissance et à la pratique de leur propre culture et de la culture de l'autre ?

Tout à fait ! L’enseignement/apprentissage des langues a longtemps ignoré qu’une langue est avant tout un instrument d’expression de soi et de sa culture et un outil de socialisation et donc de rencontre(s) interpersonnelle(s). Il faut absolument que les enseignants se forment eux-mêmes à cette perspective avant de pouvoir l’intégrer dans leurs pratiques concrètes de salle de classe. Il faut aussi que les programmes scolaires intègrent la notion de façon à ce qu’elle devienne une réalité dans le quotidien de la classe.

Comment un enseignant de langue peut-il enseigner une langue et une culture tout en incluant l’enseignement de l’interculturel dans ses cours ? Auriez-vous quelques exemples concrets de démarches possibles, d’activités de classe ?

Je poserai la question à l’envers, car je me demande bien comment on peut enseigner une langue et une culture sans inclure l’enseignement de l’interculturel… Une langue est un espace de vie et à chaque instant il faut qu’enseignants et apprenants en soient conscients. Apprendre une langue c’est donc approcher un lieu différent où des gens vivent, pensent, aiment, pleurent et rient. On doit systématiquement le prendre comme un espace de découvertes (de l’autre et de nous-mêmes) où il y aura, bien sûr, des zones de proximité et des zones d’éloignement, mais cette dimension interculturelle de l’apprentissage de la langue permettra de nous éloigner des stéréotypes, des idées reçues et des préjugés qui ont tellement nui à l’entente entre les peuples et les individus.

Il y a de nombreuses possibilités d'activités visant le développement de l’interculturel, mais personnellement je crois surtout à l’efficacité de tout travail visant la découverte de ce que l’on appelle "la culture quotidienne" et les implicites cachés dans la communication.

Ceci est possible à travers l’analyse de documents médiatiques (audiovisuels ou électroniques), mais aussi et surtout à travers le développement d’une pédagogie des échanges (directs ou à distance) et de projets d’apprentissage communs. L’interculturel semble aller de soi, quand on attache à la langue une tête, une voix, un sourire, une personne que l’on rencontre et que l’on veut découvrir.

Votre article "La pub à la télé : art, marketing et pédagogie" porte sur la publicité en classe de français langue étrangère et aborde, notamment, les activités les plus intéressantes du point de vue de l’apprentissage linguistique et culturel : comment travailler et développer certains thèmes sous une perspective interculturelle ?

Justement en se posant des questions sur le "cadre" et la "scène" (j’emprunte ces notions de Dell Hymes) où les différents sujets sont ancrés. Ce ne sont pas les sujets eux-mêmes qui sont importants, c’est la perspective d’approche qui change tout. Prenons par exemple un thème comme "les moyens de transport" : on peut tout simplement en faire une liste de vocabulaire à apprendre par cœur, mais ce qui me semble intéressant c’est d’étudier quels sont les moyens de transport les plus utilisés dans la ville X, quels en sont les prix, qui en sont les usagers, que font ces gens pendant les trajets, où peut-on acheter les titres de transport... Chaque thème peut devenir vivant si on le place dans un monde vivant. Cela dit, il y a des sujets comme "la pub" qui sont particulièrement riches de ce point de vue-là.

Vous avez vous-même fait des travaux de recherche sur le thème de l’interculturalité et vous dirigez actuellement deux thèses sur ce sujet. Où en est, selon vous, la recherche sur l’interculturel, et plus particulièrement sur l’interculturel en classe de FLE ? Y a-t-il de plus en plus de travaux de recherche, de projets, de filières universitaires spécialisés dans ce domaine ?

L’interculturel a été un thème très à la mode pendant les années 70 et 80, dans le cadre de la didactique du FLE (notamment avec les travaux de Robert Galisson, Louis Porcher ou Geneviève Zarate, entre autres). Depuis, et pendant presque vingt ans, il me semble que l’on a moins produit sur ce sujet, ce qui ne veut pas dire que des formations et des expériences n’aient pas été développées, soit en milieu universitaire soit en d’autres espaces de formation, comme le Centre international d’études pédagogiques (CIEP).

Plus récemment, disons à partir de 2000, un intérêt nouveau pour le sujet s’est développé, plus ou moins lié à des recherches universitaires en sociopragmatique et à la réflexion sur le multilinguisme, devenue une priorité dans le cadre des projets de coopération européenne.

Il faut dire aussi que beaucoup de chercheurs et beaucoup d’enseignants de FLE sentent le besoin de réagir contre le courant de "l’anglais international" qui imposerait une seule langue vidée de tout aspect culturel comme moyen de communication universel. Il s’agit là aussi d’une prise de position idéologique qui défend la pluralité et la diversité tout en mettant l’accent sur le respect de l’autre, de son individualité et de sa spécificité culturelle. En quelque sorte, c’est aussi une réaction contre les aspects réducteurs et négatifs d’une certaine conception de la globalisation.

Pourquoi vouer une telle passion et un tel intérêt pour l’interculturel ?

Parce que, étant moi-même bi-culturelle, je le vis comme une immense richesse. Parce que j’ai découvert l’Europe comme espace de vie et de travail et je m’y plais infiniment. Parce que j’aime les différentes couleurs du monde et des idées. Parce que je crois que l’interculturel conduit à l’ouverture et au respect. Parce que le monde appartient à tous, pas seulement à moi ou à toi…

Je ne conçois pas les citoyens d’aujourd’hui (ni ceux de demain) fermés dans leur petit univers casanier, éloignés des autres et du reste du monde. Il faut apprendre à jouir des possibilités de communication infinies dont nous disposons à présent. Mais pour cela, il faut apprendre à se connaître et à connaître les autres. Il faut apprendre à s’accepter pour pouvoir aller vers les autres. C’est donc tout un programme éducatif auquel je crois et pour lequel j’aime me battre.

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À lire également dans ce dossier, l'article de Filomena Capucho :

Rédaction : Emeline Giguet-Legdhen - Première publication : 2005 - Mise à jour : 08/07/08

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