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Rencontre cubaine

Entretien avec Rita Gonzalez Delgado et Felino Martinez Alvarez

Mme Rita Gonzalez Delgado est professeur des universités, ancienne doyenne de la faculté des langues étrangères de l'université de La Havane (1985-2001), maître de conférences à l'université des Antilles et de la Guyane, actuellement vice-rectrice de l'université de la Havane et M. Felino Martinez Alvarez est secrétaire général GELFRA-CUBA, président de la COPALC-FIPF, professeur à l’Ecole des hautes études d'hôtellerie et du tourisme (EAEHT), professeur adjoint à la faculté des langues étrangères de l’université de La Havane.

Dans cette île hispanophone des Grandes Antilles, le français, comme nous le verrons lors de ce double entretien, se consolide comme la deuxième langue étrangère dans pratiquement toutes les institutions, et est même en progression soutenue.

Etudié à la faculté des langues étrangères de l'université de La Havane, dans toutes les filières, et plus particulièrement dans le cadre de la formation des futurs spécialistes en langues étrangères, le français est également de plus en plus enseigné dans les formations sur objectifs spécifiques (comme à l'Ecole des hautes études d'hôtellerie et de tourisme), car cela répond à de nouveaux besoins et débouchés dans des domaines tels que le tourisme, le droit, la médecine.

Faisons le point avec nos deux invités, Mme Rita Gonzalez et M. Felino Martinez, qui ont bien voulu nous donner des précisions sur la situation actuelle.

Comment situez-vous la langue française aujourd'hui à Cuba ?

R. Gonzalez : Le français a été la langue étrangère la plus enseignée, la plus diffusée dans le pays pendant l’époque coloniale. Pendant les six premières décennies du XXe siècle, l’anglais a pris cette place, cependant le français n’a pas été oublié. Des institutions culturelles et éducationnelles ont organisé des cours et des activités différentes qui ont permis de maintenir vivant le français et les cultures qu’il véhicule. Cependant, malheureusement, l’accès à ces institutions était très limité et on ne peut parler d’une grande diffusion.

A partir de 1959, avec les transformations subies par le système éducatif et de promotion culturelle à Cuba, on a développé de façon significative l’enseignement des langues étrangères, dont le français, et la promotion d’activités variées qui pourraient contribuer à donner à cette langue et à cette culture une place importante. Aujourd’hui le français est la deuxième langue étrangère dans le pays et il y a une préférence croissante pour les manifestations culturelles des pays francophones.

F. Martinez : A la suite de plusieurs années d’inertie, notamment dans les années 1990, la situation de l’apprentissage de la langue française a commencé à évoluer de façon très encourageante ; les autorités éducatives du pays ont exprimé la volonté d’inclure une deuxième langue étrangère dans le système éducatif.

Tout d’abord, après l’anglais, des cours de français par la télévision ont été organisés et se sont déroulés pendant quelques semaines. Ensuite, un plan de formation accélérée de professeurs a été mis sur pied, avec le soutien logistique de l’Ambassade de France. A l’heure actuelle, des actions concrètes s’organisent en vue de former les formateurs des formateurs nécessaires dans les instituts pédagogiques et dans quelques-unes des universités du pays.

Pendant les années 1990, ces formations avaient diminué dramatiquement à cause surtout de la dépression économique suite aux événements des pays de l’Est.

De façon ponctuelle, plusieurs autres institutions et ministères possèdent des systèmes d’enseignement des langues étrangères où le français occupe une place privilégiée ; c’est le cas des alliances françaises qui voient leurs inscriptions augmenter sans cesse ; les écoles de langues du soir du ministère de l’Education ; le ministère du Tourisme et son système Formatur de formation professionnelle des ressources humaines dans ce domaine où l’apprentissage des langues occupe une place essentielle et où le français vient juste après l’anglais ; les écoles de ballet et les écoles d’art relevant du ministère de la Culture et tant d’autres.

En tant que secrétaire général de la GELFRA-CUBA, association des professeurs de français et président de la COPALC, membre actif de la FIPF, quelles sont vos priorités et vos principales activités ?

F. Martinez : Conformément à ce qui vient d’être dit plus haut, les priorités se situent, à notre avis, au niveau des formations des formateurs ; les besoins sont par conséquent plutôt d’ordre objectif (bourses d’études, équipement technique, bibliographie spécialisée actualisée, etc.). Si on pense au nombre de cadres de haut niveau nécessaires pour faire face aux formations dans les institutions formatives, on peut se rendre compte que la situation est loin d’être résolue. C’est pourquoi la tendance à la normalisation de cette situation se place à moyen terme et non pas dans l’immédiat.

Notre association possède le bulletin "Les nouvelles", avec 2 numéros par an. Les colloques annuels ont lieu, ainsi que des séances de travail et des réunions s’organisent de façon bimestrielle.

GELFRA-CUBA est engagé dans deux projets dans le domaine du français sur objectifs spécifiques : le premier en partenariat avec la CAN (commission Amérique du Nord de la FIPF), et le deuxième avec la COPALC (commission pour l’Amérique latine et la Caraïbe) à propos de l’adaptation de la méthode du français du tourisme "Vacances cubaines" aux pays de l’Amérique centrale.

La présence des professeurs cubains aux Sedifrale*, aux congrès mondiaux, aux stages de formation en France et au Québec et leur participation aux autres manifestations linguistiques et didactiques à Cuba et à l’étranger en disent beaucoup du dynamisme et du niveau des professeurs cubains.

Que dire de l'enseignement du français dans le supérieur au niveau de la formation en français général et en français sur objectifs spécifiques (FOS) ?

R. Gonzalez : Dans l’enseignement supérieur à Cuba, il est obligatoire d’introduire dans le curriculum d’études une langue étrangère, mais c’est la commission d’experts qui établit ce curriculum qui décide quelle langue enseigner en fonction des besoins du futur professionnel. C’est l’anglais qui est introduit dans la plupart des programmes de formation. Le français est étudié dans les licences en lettres, en droit, en biochimie, en musique, en théâtre, en danse, en éducation...

Le français joue une place très importante dans la formation des futurs spécialistes en langues étrangères car on conçoit une formation double, en tant que traducteurs-interprètes et professeurs en deux langues étrangères, dont le français, qui est choisi par de nombreux étudiants.

C’est ainsi que les étudiants de la licence en anglais, en allemand ou en russe ont la possibilité de se former en français aussi. Il y a même la possibilité de suivre les cours d’une troisième langue étrangère et les étudiants qui font une paire de langues, qui n’inclut pas le français, peuvent faire ce cours qui n’a pas comme objectif la formation d’un spécialiste mais qui donne des possibilités de communication en langue française. Le nombre d’étudiants a donc augmenté sensiblement pendant les dernières années. Il y a aussi des cours de français en modalité extracurriculaire, pour les étudiants, pour les professeurs aussi, et il y a toujours un bon nombre de personnes intéressées à suivre ces cours.

Quant aux débouchés, il y a eu un essor dans les dernières années car le tourisme et la création de nombreuses entreprises mixtes où le français est exigé ont contribué à élargir ces horizons. Le FOS a connu aussi un renouvellement spécialement dans le cas du tourisme et plus récemment dans le cas de français juridique. On pourrait dire qu’il existe une volonté de développer les formations en langues étrangères ce dont le français bénéficie évidemment.

Quel est le rôle exact de l'Ecole des hautes études d'hôtellerie et du tourisme (EAEHT), et comment s'organisent les formations en français sur objectifs spécifiques ?

F. Martinez : Formatur est le bureau du ministère du Tourisme qui s’occupe de la formation des ressources humaines dans ce domaine ; il possède un réseau de 19 écoles de formation dans toutes les régions touristiques de Cuba ; il existe des départements de langues dans toutes ces écoles, avec 30 professeurs de français en général. L’Ecole des hautes études d’hôtellerie et du tourisme est le fleuron de ces centres. Fondée en 1994, elle organise les projets de formation et regroupe le plus grand nombre de professeurs et d’élèves.

La direction des ressources humaines dans le domaine du tourisme prévoit que le personnel occupant 51 postes de travail dans l’activité hôtelière et touristique parle une ou deux langues étrangères, notamment les guides, les animateurs, le personnel des relations publiques, les réceptionnistes.

Depuis plusieurs années, les cours de français sur objectifs spécifiques se sont multipliés, surtout dans le domaine médical, juridique et artistique. Mais le domaine où il y a eu un véritable bouleversement de l’enseignement/apprentissage du français a été dans le tourisme.

A l’heure actuelle, il y a plus de 500 apprenants dans les cours de français de Formatur : des jeunes en formation et des travailleurs en formation continue. Une équipe de professeurs de français de l’EAEHT et un groupe de chercheurs du CRAPEL* (université Nancy 2) ont conçu une méthode modulaire pour l’apprentissage du français du tourisme.

La démarche modulaire répond aux besoins des professionnels cubains ; baptisé "Vacances cubaines", ce matériel d’enseignement - le premier fabriqué dans ce domaine qui tient compte des tâches professionnelles à remplir par les préposés cubains - a déjà fait ses preuves dans le réseau Formatur avec un grand succès ; par ailleurs, il est en train de s’adapter à tous les pays de l’Amérique centrale avec la collaboration de l’équipe cubaine et avec l’appui du centre culturel et de coopération pour l’Amérique centrale.

Des professeurs de l’Alliance française de La Havane ont également fabriqué un outil d’enseignement adressé aux médecins ; d’autres professeurs mettent au point un matériel adressé aux étudiants en sciences juridiques.

Il existe des besoins réels de formation en FOS dans plusieurs domaines, mais nous pensons qu’en dehors de l’utilisation ponctuelle d’un certain matériel existant sur le marché, mais dont les contenus ne s’adaptent forcément pas aux réalités nationales, il est important et nécessaire que les professeurs puissent penser à l’élaboration d’outils d’enseignement en partenariat avec des institutions francophones de formation et avec des groupes de recherche.

La formation du personnel enseignant dans le réseau Formatur est organisée suivant des voies diverses : des stages régionaux et nationaux de formation, des colloques, des bourses spécialisées dans les pays francophones, des visites d’observation des cours, etc.

Au niveau de la recherche et des projets au sein de la faculté des langues étrangères de l'université de La Havane, y-a-t-il des partenariats internationaux et des échanges ?

R. Gonzalez : A la faculté il y a des groupes de recherche dans plusieurs thématiques : la didactique de langues étrangères, la terminologie, la traductologie, les études sémantiques appliquées, la littérature.

La faculté a des relations de travail avec d’autres universités du pays, université d'Oriente, université centrale de Las Villas, université de Holguín, instituts supérieurs pédagogiques, institut supérieur d’art. Il y a aussi des liens avec l’Ecole de hautes études d’hôtellerie et du tourisme. On maintient aussi des contacts avec les écoles de langue appartenant au ministère de l’Education et avec l’Alliance française.

Pour le français, il y a aussi de très bons rapports avec des établissements internationaux comme par exemple avec les universités de Nancy et d’Antilles-Guyane, rapports qui sont très systématiques, mais aussi avec d’autres universités telles que Trois rivières à Québec, Mons en Belgique, Caen en France, et de très bonnes relations avec l’Agence universitaire de la francophonie (AUF)*.

La faculté favorise et appuie la mobilité des professeurs et des étudiants. Aussi, il ne faut pas oublier que les professeurs de français de la faculté, comme ceux qui appartiennent à d’autres institutions sont membres de l’association des linguistes de Cuba et spécialement de son groupe de spécialistes en langue française, GELFRA, notre association et par cette voie, il y a aussi de nombreuses activités intéressantes et importantes pour les échanges entre professionnels.

Contacts

Mme Rita Gonzalez Delgado
Vice-rectrice de l'université de la Havane
Universidad de la Habana
Rectodaro
San Lazaro y L. Vedado
10400 Plaza
La Habana - CUBA
Courriel : ritagonzalezd@yahoo.es

M. Felino Martinez Alvarez
Secrétaire général de la GELFRA-CUBA
Avenue Salvador Allende 710
10300 La Habana – Cuba
Fax : 00 53 7 60 9542
Courriel : ada@infomed.sld.cu

Liens
Rédaction : Emeline Giguet-Legdhen - Première publication : 10/06/03 - Mise à jour : 26/01/06

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