La dimension interculturelle dans l’enseignement du français langue de spécialité 

Marie-Thérèse CLAES,

Society for Intercultural Education, Training and Research (SIETAR)

La compétence interculturelle est une compétence communicative faisant appel à la langue comme un des langages de communication. En effet, les langages utilisés dans la communication peuvent être verbaux ou non verbaux. Si la langue est essentielle dans la communication, on prétend toutefois que le non-verbal intervient pour près de 80 % dans la communication orale. Cela signifie que la façon de se tenir, de s’habiller, les gestes et les expressions faciales sont autant porteurs de messages que la langue, si ce n’est pas davantage. S’il existe des différences dans les langues, il en existe autant dans la communication non verbale dans les différentes cultures : là aussi le code peut changer d’un groupe à l’autre, et faire naître des malentendus, voire des conflits. Dans cet exposé, j’aborderai donc les différentes formes de communication qui composent la compétence communicative, et j’insisterai plus particulièrement sur le rôle des cultures dans cette compétence.

Selon Lambert (1972), l’acquisition d’une langue peut être considérée comme une série de barrières à franchir, avec la langue et la culture comme barrières principales. Dans une large mesure, la langue implique la maîtrise du vocabulaire, facilitée avec l’expérience. La culture semble être une barrière plus résistante et plus difficile à franchir. L’apprentissage culturel implique que l’apprenant assimile certains aspects d’une culture différente, aspects influençant la langue et le comportement. Comme l’apprenant est un usager potentiel de la langue dans un groupe social, Galisson recommandait déjà en 1989 un " niveau seuil de comportement " qui l’aiderait à comprendre les locuteurs natifs. Actuellement, on s’accorde à dire que l’on ne peut séparer langue et culture. L’apprentissage de la culture doit donc être intégré dans l’apprentissage de la langue, et dépasser le niveau de " civilisation ", " Landeskunde ", pour aborder des éléments plus profonds tels les systèmes de valeurs ou de croyances, et la vision du monde. Si la langue influence la manière dont nous nous comportons et percevons les choses, la culture est aussi inhérente à la langue même, à sa structure, à son vocabulaire, ses expressions, et peut être enseignée en même temps que la langue.

  1. La compétence de communication

Dans la compétence de communication l’on distingue généralement les composantes linguistiques, paralinguistiques, sociolinguistiques, référentielles, discursives, stratégiques et socioculturelles, bien que cette dernière composante soit souvent négligée dans l’enseignement des langues étrangères (Binon et Claes, 1995). Nous allons voir comment toutes ces composantes de la compétence communicative comportent un aspect culturel aussi bien que linguistique.

La composante linguistique est l’habileté à interpréter et à appliquer les règles du code (phonétiques, phonologiques, morphologiques, syntaxiques, sémantiques etc.). La structure d’une langue reflète souvent les thèmes importants de la culture. Ainsi, beaucoup de langues distinguent une forme formelle et une forme informelle d’adresse (tu et vous en français, du et Sie en allemand, tu et Usted en espagnol etc.), cependant la différence réside dans les configurations contextuelles qui incitent les personnes à choisir une forme plutôt qu’une autre, et le passage de la forme formelle à la forme informelle se fait de manières très différentes d’une langue à l’autre. Par ailleurs, la structure complexe d’adresse en japonais reflète la structure sociale et hiérarchique pareillement complexe de cette société.

Pour sa part, le vocabulaire a un aspect culturel important, puisqu’il est adapté à l’environnement naturel et culturel : il existe plus de termes pour désigner la neige dans les langues inuits que de termes pour désigner un chameau, et l’inverse est sans doute vrai dans les langues du Sahara. Des objets, des concepts nouveaux sont hérités d’une autre culture avec, en général, le mot les désignant dans la langue étrangère, comme par exemple les mots " bungalow ", " sauna ", ou même notre tomate, qui vient de l’aztèque " tomatl ", notre chocolat, cacao ou pizza. Des problèmes de communication surgissent souvent lorsque la signification d’un mot diffère d’une langue à l’autre : ainsi le concept de " village " est différent en Inde ou en Europe, le concept " liberté " n’a pas la même signification en Europe qu’aux États-Unis d’Amérique. Si le concept " indépendance " a une connotation positive aux États-Unis, celle-ci peut être négative dans des cultures plus collectivistes (comme la Turquie par exemple), où l’interdépendance est plus valorisée. La culture a donc été définie, entre autres, comme un système de significations partagées. Si les significations diffèrent, des malentendus naissent, car on ne parle pas de la même chose : si le mot " mariage " est associé par les Américains du Nord à l’idée d’amour et de partenariat, les Japonais y associent la confiance, mais aussi le compromis, les restrictions, les obligations, la " fin de la vie ", tandis que les Français, fidèles au stéréotype sans doute, associent le mariage à l’amour, à la passion et au sexe. Ces associations montrent comment le dictionnaire mental est structuré, et quels mots sont disponibles à l’esprit en réponse à un stimulus donné. On découvre ainsi le champ de significations du mot, et on peut voir dans quelle mesure ces significations se recouvrent ou divergent d’une langue à l’autre.

La composante paralinguistique concerne les gestes, les mimiques et tout le langage du corps, ou ce qu’on appelle encore le langage non verbal. Dans ce domaine, la prudence est de mise, car des gestes peuvent être interprétés de manière différente ou même contraire à l’intention. Ainsi, faire un O en joignant le pouce et l’index signifie OK aux États-Unis, zéro en France, de l’argent au Japon, et est un geste obscène dans beaucoup de pays latins. De même, le sourire, que nous interprétons comme une expression de plaisir, est souvent une façon de cacher l’embarras ou même la douleur dans des cultures asiatiques. S’il est relativement facile d’observer comment les gens se saluent dans une culture donnée, les signaux infimes dans la composition du visage nous échappent la plupart du temps, et quelqu’un qui ne nous regarde pas quand nous lui parlons nous irrite en général, tandis que dans sa culture cette personne exprime ainsi le respect.

La composante sociolinguistique est l’habileté à interpréter et à utiliser différents types de discours en fonction des variables de la situation de communication et des règles qui s’en dégagent. Ainsi, on ne s’adresse pas de la même façon à un ami qu’à un supérieur, à un étranger, etc. Comme nous l’avons vu plus haut, les manières formelles et informelles d’adresse varient selon les langues, mais aussi selon les cultures. Si en France on utilise facilement le prénom d’une personne accompagné de " vous ", en Belgique francophone l’usage du prénom signifie automatiquement le tutoiement, et le prénom accompagné de vous ne s’entend que dans des situations comme ’chez le coiffeur’. Un correspondant étranger qui dans un reportage radio utilise soudain l’expression " ils s’en foutent " choquera, ou du moins étonnera facilement ses auditeurs francophones.

La composante référentielle est la connaissance des domaines d’expérience, des objets du monde et de leurs relations, tels que les sports, l’économie, la politique, etc. Ces domaines sont en général abordés dans ce qu’on appelle les cours de " civilisation " : on étudie les institutions, les organisations et les données chiffrées d’un pays, on parle de la manière de se loger, de se nourrir, de se divertir, de travailler ou d’enseigner. La difficulté de lire un journal dans une langue étrangère réside souvent plus dans la connaissance de toutes ces références liées à l’actualité d’un pays ou d’une région que dans la connaissance de la langue. De même, la référence dans la publicité, ou les attentes que les personnes d’une culture peuvent avoir par rapport à la publicité, sont à prendre en compte par les grandes agences qui ne demanderaient pas mieux que de pouvoir faire de la publicité " globale " et des économies d’échelle par la même occasion. Dans tous les pays d’Europe, la publicité doit être avant tout honnête et informative : c’est le modèle normatif moyen européen. Cependant, des écarts apparaissent entre la publicité attendue et la publicité perçue : par-delà le modèle normatif moyen, les divergences s’affirment. Les attentes des consommateurs européens par rapport à la publicité peuvent être résumés dans un tableau (Bonnal, 1990):

 

Allem.

Dan.

Esp.

Fr.

G.-B.

Ital.

Créative

   

X

X

 

X

Esthétique

   

X

X

 

X

Amusante

     

X

X

 

Spirituelle

       

X

 

Honnête

X

X

   

X

 

Informative

X

X

       

Sérieuse

 

X

X

     

Déjà, on voit se dessiner la séparation entre le Nord de l’Europe et le Sud, avec la Grande-Bretagne entre les deux. Nous y reviendrons plus bas.

La composante discursive est la capacité de comprendre et de produire certains types de discours, comme un fait divers, une fable, la macrostructure d’un mode d’emploi ou de la notice de la boîte d’un médicament. Ainsi, une présentation selon le modèle français (thèse, antithèse, synthèse) n’est pas nécessairement bien accueillie par des auditeurs de culture anglo-saxonne : ils la trouveront chaotique et manquant de structure et de clarté. Inversement, une présentation selon le mode anglo-saxon aura un effet souvent négatif sur des auditeurs latins qui la trouveront superficielle et simpliste (Bennett et al, 1998).

La composante stratégique concerne l’habileté à utiliser des stratégies verbales et non verbales pour réaliser et maintenir le contact avec les interlocuteurs, et gérer l’acte de communication en accord avec l’intention de communication du locuteur. Un aspect important et pourtant négligé de cette stratégie verbale est le tour de parole et l’interruption. Dans certaines cultures, l’interlocuteur doit montrer son intérêt en intervenant avant que l’autre n’ait terminé sa phrase (cultures latines : A et B). Dans d’autres cultures, l’interruption est vue comme impolie et inadmissible : on attend que la personne ait terminé sa phrase avant de commencer à parler (cultures anglo-saxonnes et allemandes : C et D), tandis que dans d’autres encore, il faut respecter une pause avant de répondre (cultures asiatiques : E et F).





A




B





C




D




E




F

La composante socioculturelle est la connaissance de la culture de l’interlocuteur : sa perception du temps, son échelle de valeurs par exemple. Les différences dans les valeurs provoquent de graves problèmes de communication. Les valeurs correspondent à ce qu’on accepte comme étant beau, bon et juste, et ce qui ne l’est pas. Ces valeurs influencent fortement le comportement, car chaque culture trouve des solutions, souvent différentes, aux questions fondamentales concernant l’homme, sa relation avec les autres, avec la nature, avec le surnaturel. Les réponses peuvent varier selon les cultures, mais aussi selon l’appartenance ethnique, religieuse ou sociale. Un politicien qui profite de sa position pour donner des emplois et des contrats aux membres de sa famille est considéré comme immoral dans la plupart des cultures occidentales, et on parlera de népotisme. Dans les cultures africaines, le politicien qui dans cette situation ne donnerait pas de travail aux membres de sa famille serait jugé immoral.

Ainsi, au dilemme de Trompenaars (1993, 1994) concernant la relation de l’homme à la nature, les réponses varient de 9 à 53 % de répondants qui choisissent A plutôt que B dans le choix suivant :

  1. Cela vaut la peine d’essayer de contrôler les forces naturelles importantes, telles que le climat.
  2. La nature doit suivre son cours et nous devons l’accepter comme elle est et faire de notre mieux.

Si l’enseignement des langues étrangères privilégie surtout la composante linguistique, il néglige souvent les autres composantes et certainement les composantes stratégique, paralinguistique et surtout sociolinguistique et socioculturelle. Or ces composantes constituent avant tout la dimension interculturelle de la compétence de communication et s’avèrent particulièrement importantes dans un monde multiculturel et économiquement global. Une prise de conscience des différences qui peuvent exister au niveau culturel devient donc de plus en plus indispensable.

2. Les composantes clés d’une culture

En observant la communication et l’interaction entre personnes appartenant à des systèmes culturels différents, Hall (1990) distingue trois composantes principales qui constituent autant de clés pour comprendre et déchiffrer le comportement de l’étranger : le temps, l’espace et le contexte de communication.

Le temps est perçu et organisé différemment d’une culture à l’autre. Il s’agit bien sûr de la ponctualité et de l’exactitude, appréciées par certains, moins importantes ou plus flexibles dans d’autres cultures. On peut se demander à partir de combien de minutes on est " en retard ", à partir de combien de retard il faut s’excuser, combien de temps on va attendre quelqu’un, mais il s’agit aussi de l’importance relative accordée au passé, au présent et au futur. Trompenaars (1994) fait dessiner trois cercles pour ces trois temps, avec une taille et un recouvrement tels qu’on les perçoit : il visualise ainsi les différences entre les pays.

Un aspect extrêmement intéressant mis en valeur par Hall est la distinction entre les cultures monochroniques et les cultures polychroniques. Le temps monochronique est linéaire, tandis que le temps polychronique se caractérise par la simultanéité de différentes activités. On peut dire que les pays du nord de l’Europe sont plutôt monochroniques, et les pays du sud plus polychroniques. Il faut cependant insister sur le fait qu’en matière de différences culturelles, on n’est jamais dans une situation dichotomique, mais plutôt sur une ligne continue, sur laquelle on se situe tantôt plus d’un côté, tantôt plus de l’autre. C’est pourquoi le tableau qui reprend les différences entre les deux systèmes de temps est à utiliser prudemment (d’après Hall, 1990) :

Système polychronique

Système monochronique

Tâches simultanées

Interruptions et changements admis

Les relations entre individus priment

Programmes et projets peuvent être modifiés

Priorité aux proches

Échanges, prêts et emprunts fréquents

Exactitude relative

Relations intenses et durables

Manque de patience, on passe directement à l’action

Les engagements contraignants concernent les personnes

Une chose à la fois

On se consacre exclusivement à une tâche

L’exécution de la tâche prime

Les programmes sont scrupuleusement suivis

Réserve et distance : on ne dérange pas

Propriété bien définie

Exactitude extrême

Relations plus superficielles et éphémères

Individus plus lents, plus méthodiques, moins engagés

Les engagements contraignants portent sur le temps, les dates, la durée

 

 

 

 

Dans l’enseignement des langues, on explique souvent la grammaire des temps en traçant une " ligne du temps ", avec le passé à gauche, le présent au milieu et le futur à droite :

Passé Présent Futur


 

Dans beaucoup de cultures non occidentales, le temps est cependant représenté comme un cercle ou une spirale, sans aucun sens particulier :

 

 

 

Si nous ne " sentons " pas le temps ainsi, des personnes d’autres cultures ne comprennent pas plus notre ligne du temps.

La notion d’espace fait référence à l’attachement au territoire, fortement conditionné par la culture. On peut poser la question de ce que l’on considère comme territoire personnel ou non personnel : mon bureau, ma table de travail, mon tiroir, ma cuisine, mon frigo, ma voiture ? Dans quelle mesure accepte-t-on que des étrangers occupent ces territoires sans permission ? Les Américains, lorsqu’ils arrivent chez vous, entreront dans votre cuisine et se serviront dans le frigo sans rien vous dire… D’après Hall, le sens du territoire est aussi plus développé chez les Allemands que chez les Français, notamment concernant l’utilisation de la voiture. L’espace peut également être vu comme un signe de pouvoir : la superficie du bureau plus ou moins bien situé reflète souvent la position hiérarchique de l’occupant dans une entreprise.

Outre cette territorialité, l’espace ou la bulle personnelle dans laquelle on vit est un élément culturel important. L’accès dans cette bulle personnelle est interdit, sauf aux plus intimes, ou alors restreint et limité dans le temps (dans un ascenseur). La distance ou la proximité à laquelle on peut confortablement discuter avec une autre personne varie considérablement d’une culture à l’autre. Là encore, la différentiation se fait entre les cultures du Nord de l’Europe (y compris les cultures anglo-saxonnes) et celles du Sud. En effet, un Français discutant avec un Américain aura tendance à s’approcher jusqu’à une distance confortable pour lui, mais inconfortable pour l’Américain qui, se sentant menacé, reculera jusqu’à ce qu’il se trouve le dos au mur et s’esquive en s’excusant. Dans le même ordre d’idées, le contact physique, tel que s’embrasser pour dire bonjour ou toucher pour accentuer un point, sera plus ou moins normal ou fréquent selon la culture. Encore une fois, tout cela est bien relatif, puisque l’on trouvera des cultures, arabes par exemple, où la bulle personnelle est plus petite que dans la culture française.

Un tout autre aspect de la notion d’espace est celui auquel nous avons déjà fait référence avec la ligne du temps, notamment que nous lisons et regardons de gauche à droite et en général du haut vers le bas dans nos cultures occidentales. Or, dans de très nombreuses cultures on regarde un texte et une image autrement. Ceci est un aspect important des illustrations et de la publicité en particulier, où on discerne souvent un mouvement allant d’en bas à gauche vers le haut à droite, indiquant ainsi une certaine dynamique. De même, un cas célèbre est celui de telle marque de nourriture pour bébés avec son affiche divisée en trois parties : un bébé qui pleure, un petit pot de nourriture et un bébé qui rit, qui a fait chuter la vente du produit dans un pays arabe.

Le contexte de communication fait référence à la différence entre cultures à contexte riche et cultures à contexte pauvre. Cette notion correspond à l’importance du contexte pour comprendre un mot et pour pouvoir le traduire dans une autre langue : la signification peut varier selon le contexte. De même, la signification de la communication peut varier selon le contexte, du moins dans les cultures à contexte riche. Cela implique que dans ces cultures il n’est point besoin de tout dire, puisque le contexte est riche de sens. On peut ne rien dire, ou utiliser un code non verbal très raffiné, ou encore dire quelque chose tout en signifiant autre chose. On dit alors que le message est implicite. Ainsi, une jeune fille belge qui passe un an dans une famille en Indonésie racontait qu’un jour elle demanda à sa maman indonésienne si elle pouvait aller au cinéma. Celle-ci répondit : bien sûr, puis regardant le ciel d’un bleu éclatant, ajouta : tu ne crois pas qu’il va pleuvoir ? Ce message, pris explicitement ou à la lettre, suscite une réponse dans le sens de : mais non, il ne va pas pleuvoir, avec des doutes sur la santé mentale de la personne. Implicitement, ce que la femme veut dire, le message caché derrière les mots, c’est qu’elle préfère que la jeune fille n’aille pas au cinéma. Dans les cultures à contexte pauvre ou cultures explicites, on ne laisse pas de doute quant à la signification du mot, et " oui ", c’est " oui ". Une culture plus implicite évitera de demander ou de répondre directement : les messages seront implicites, indirects, et il faut pouvoir lire entre les lignes.

Cultures implicites, à contexte fort

Cultures explicites, à contexte faible

Information intériorisée ou issue de la situation

Indications non verbales, entre les lignes

Accent sur la communication orale

Information par messages explicites

Information spécifique

Accent sur la communication écrite

Les cultures germaniques, scandinaves et américaines sont explicites, tandis que les cultures latines sont plus implicites, alors que les cultures asiatiques peuvent être extrêmement implicites, et donc très difficiles à interpréter (voir aussi Usunier, 1990).

Pays

Implicite, contexte fort

Explicite, contexte faible

Allemagne, Suisse

Pays scandinaves

États-Unis d’Amérique

France

Angleterre

Moyen-Orient

Chine

Japon

 

 

X

XX

XXX

XXX

XXXX

XXXX

XXXX

XXX

X

Il convient de remarquer ici que l’Angleterre est plus implicite que les États-Unis, et que les Anglais, célèbres pour leur humour et leurs euphémismes (understatement ), souvent trouvent les Américains trop directs, pas assez diplomatiques. A noter aussi que de par le monde, plus nombreuses sont les cultures implicites que les cultures explicites, et que cet aspect est une des difficultés essentielles et des plus grandes dans la communication interculturelle. L’extrême qualité implicite que l’on retrouve au Japon se reflète aussi dans la langue. En effet, dans les cultures collectivistes, qui sont aussi implicites, on évite d’être direct pour se protéger la face et pour protéger la face de l’autre. On évitera donc de dire " non ", car cela fait perdre la face à l’autre, mais on trouvera de multiples façons de dire, ou plutôt d’indiquer " non " sans le dire : " je ferai de mon mieux " n’est pas à prendre à la lettre comme une personne explicite le ferait, mais à interpréter comme " c’est impossible ". Cette façon de parler est souvent perçue comme confuse et même malhonnête, mais est en fait pour celui qui parle une marque de politesse et de respect. Si en français (ou dans une autre langue européenne) on demande : " Vous n’avez pas son numéro de téléphone ? ", la personne interpellée, qui ne l’a pas répondra " Non, je ne l’ai pas ". En japonais, elle dira : " Oui, je ne l’ai pas ", ce qui laisse un interlocuteur européen perplexe. Ce que le Japonais veut dire est : " oui, ce que vous dites est juste, je n’ai pas son numéro de téléphone . Il est clair dans cet exemple que la culture japonaise est plus orientée vers l’autre que vers soi-même.

  1. La compétence interculturelle

Comme nous l’avons vu, la compétence de communication interculturelle implique plus que la connaissance de la langue en tant que code linguistique comprenant grammaire et vocabulaire. Or, dès qu’on parle une autre langue, on entre dans un autre modèle culturel, et il devient essentiel de lier à cette compétence linguistique toutes les autres composantes d’une réelle compétence de communication. Afin de comprendre, d’accepter et de tolérer la différence, il faut commencer par la discerner, et être capable de le faire sans juger.

Cette compétence de communication entre cultures s’exerce à plusieurs niveaux, et pas seulement au niveau des différences entre pays. A l’intérieur d’un même pays, les personnes sont différentes de par leur région, leur ethnicité, leur religion, leur langue, mais aussi de par le sexe, la génération et l’éducation ou la profession. Hofstede (1991), Bollinger et Hofstede (1987) définit la culture comme " la programmation collective de l’esprit humain qui permet de distinguer les membres d’une catégorie d’hommes par rapport à une autre ". Cependant, les différences entre pays semblent être dominantes par rapport aux autres variables.

Liées aux langues européennes sont les cultures correspondantes, et des tendances communes aux cultures " germaniques " (pays germanophones, pays anglo-saxons, pays scandinaves, Pays-Bas) se distinguent de celles qui sont communes aux cultures " latines " (de langues romanes). Gauthey et Xardel (1990) résument les contrastes européens comme suit :

 

 

 

 

 

 

 

Tendance latine

Tendance anglo-saxonne

  • raisonnement déductif
    (les concepts d’abord)
  • organisation polychronique
    (temps flexible, exécution de tâches simultanées)
  • communication implicite
    importance relative du non-dit et du langage non verbal
  • importance de la relation émotionnelle dans le travail
  • orientation " être "
    qualité de la vie
    consommer
  • religion catholique
  • formalisme élevé
    protocoles, rites, étiquettes
    séparation " tu/vous "
  • résistance au changement
    conservateur
    démocratie chrétienne
  • hiérarchisation élevée
    structure pyramidale
    autoritaire
    nombreux niveaux hiérarchiques
    faible mobilité sociale
    importance du rôle des élites
    système éducatif sélectif
  • syndicat
    faible syndicalisation
    idéologiques
    non intégrés à la vie de l’entreprise
  • flux de décision
    ordre
  • taille des entreprises
    petites et moyennes dominantes
    % masse salariale
  • développement économique
    intermédiaire
  • raisonnement inductif
    (les faits d’abord)
  • organisation monochronique
    (respect du temps, exécution des tâches séquentielles)
  • communication explicite
    importance du langage verbal
    concision dans les messages
  • séparation travail, relations
    • orientation " faire "
      travailler dur pour réussir
      épargner
    • religion protestante
    • formalisme faible
      simplicité appréciée
      pas de séparation " tu/vous " (ex. " you ")
    • faible résistance au changement
      réformateur
      social-démocratie
    • faible hiérarchisation
      structure râteau
      participative
      moindre nombre de niveaux
      forte mobilité sociale
      peu d’élites
      système d’éducation démocratique
    • forte syndicalisation
      pragmatiques
      intégrés à la vie de l’entreprise

    • débat

    • grandes entreprises

    • élevé
       

    Il est bien clair que cette séparation n’est pas aussi nette, et qu’une fois de plus il faut penser en termes de ligne continue plutôt qu’en termes de noir et blanc.

    Le comportement est déterminé par d’autres variables que la variable culturelle. Nous sommes déterminés en premier lieu par la variable universelle qu’est la nature humaine : nous sommes tous des hommes, nous commençons à sourire deux mois après la naissance, nous devons manger pour vivre, nous parlons. Ce sont les différences dans la manière de faire tout cela, ou dans les significations attachées à ces évènements qui distinguent un groupe d’hommes d’un autre : nous avons vu que le sourire peut avoir de significations différentes, nous savons varie que la manière de manger, ce qu'on mange, comment, avec qui et quand, et que nous parlons des langues différentes. Ces variables culturelles ont un fort impact sur le comportement, et peuvent causer des malentendus dans la communication. A ces variables universelles et culturelles, il convient d’ajouter les variables individuelles : la personnalité, le caractère. Si les variables universelles sont héritées, et que les variables culturelles sont apprises, en famille, à l’école, au travail, les variables individuelles sont en partie héritées et en partie apprises.

    Variables universelles

    Nature humaine

    Héritées

    Variables culturelles

    Spécifiques au groupe

    Apprises

    Variables individuelles

    personnalité

    Héritées et apprises

    Tous ces comportements sont des formes de communication. On pourrait dire que le besoin de communiquer se situe au niveau universel, tandis que les différentes manières de communiquer sont culturellement variables. Comme ces variables culturelles sont apprises, on peut présumer qu’il est possible d’en apprendre d’autres, comme il est possible d’apprendre une autre langue. Dans l’apprentissage des langues, on distingue la connaissance explicite de la grammaire et du vocabulaire (composante linguistique) et la compétence implicite (l’usage). Cette distinction entre connaissance et compétence est intéressante au niveau interculturel, car là aussi, on peut apprendre c’est-à-dire acquérir des connaissances sur la culture (le savoir), mais encore faut-il acquérir la compétence (le savoir-faire). Cette compétence, tout comme dans l’apprentissage linguistique, ne peut se développer que par la pratique. La pratique est holistique, elle intègre connaissance et compétence, et permet d’arriver à un changement de comportement (le savoir-être).

    En guise de conclusion , et pour en revenir à la compétence de communication telle que nous l’avons décrite avec ses différentes composantes, on pourrait dire qu’une véritable compétence communicative interculturelle requiert non seulement l’apprentissage du code linguistique, mais aussi la connaissance et la pratique des autres composantes, notamment sociolinguistiques et socioculturelles. L’apprentissage de la langue et de la culture vont de pair à tous les niveaux, et l'un ne se fait pas sans l’autre si le but est une compétence de communication.

    Références bibliographiques

    Bennett, John, M-T. Claes, J. Forsberg, N. Flynn, W. Obenaus, T. Smith. 1998. Doing effective presentations in an intercultural setting. Vienne, Ueberreuter.

    Binon, Jean et Marie-Thérèse Claes. 1995. Intercultural communication and negotiation in a business environment. In : Jensen, A.A, K. Jaeger & A. Lorentsen (eds). Intercultural competence. A new challenge for language teachers and trainers in Europe. Vol. II : The adult learner. Aalborg University.

    Bollinger, D. et G. Hofstede. 1987. Les différence culturelles dans le management. Comment chaque pays gère-t-il ses hommes ? Paris, Les Editions d’Organisation.

    Bonnal, Françoise. 1990. Les goûts publicitaires des européens. In D. Schnapper et H. Mendras. Six manières d’être européen. Paris, Gallimard, Bibliothèque des Sciences Humaines.

    Galisson, Robert. 1989. Lexique, langue et culture. Paris, CLE International, Collection D.L.E.

    Gauthey, Franck et Dominique Xardel. 1990. Le management interculturel. Paris, Presses Universitaires de France. Collection Que sais-je ?

    Hall, Edward T. et M. Hall. 1990. Understanding cultural differences. Germans, French and Americans. Maine, Interultural Press.

    Hofstede, Geert. 1991. Cultures and organisations. Software of the mind. Londres, McGraw-Hill.

    Lambert, Wallace.E. 1972. Developmental aspects of second language acquisition. In Lambert W.E. Language, psychology, and culture. Essays. Selected and introduced by Anwar S. Stanford CA, Stanford University Press, 9-31.

    Trompenaars, Fons. 1993. Riding the waves of culture. Londres, N. Brealey.

    Trompenaars, Fons. 1994. L’entreprise multculturelle. Paris, Laurent Du Mesnil, Collection institut du management d’EDF et de GDF.

    Usunier, Jean-Claude. 1990. Management international. Paris, Presses Universitaires de France.